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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Théorie des Dominos

(The Domino Principle)

L'histoire

Alors qu'il purge une longue peine de prison, Roy Tucker est demandé par un certain Tagge, qui va régulièrement s'entretenir avec lui. L'homme semble puissant, ayant notamment un pouvoir total sur le directeur de la prison lui-même. Tagge propose à Tucker de le faire sortir, lui garantissant une évasion sans encombre, en l'échange d'une mission qu'il ne précise pas. Suspicieux et intrigué, Tucker ne peut toutefois pas refuser la promesse de recouvrer sa liberté. Il s'évade finalement en suivant le plan de Tagge avec son compère de cellule et ami Spiventa. Mais la contrepartie qu'il devra donner à Tagge prendra des proportions dramatiques qu'il n'avait pas imaginées.

Analyse et critique

Les divers événements politiques et sociaux qui marquèrent les Etats-Unis durant les années 60 ont engendré l'essor d'un type particulier de films que l'on qualifia de thriller paranoïaque, reflets des peurs profondes de la société américaine qui se sent menacée de l'intérieur par un ennemi indéterminé. Schématiquement, ces films mettent en scène un citoyen lambda dont la vie est bouleversée par une conspiration dont les véritables commanditaires, et leurs motivations, resteront inconnus. On imagine généralement derrière ces organisations puissantes des forces gouvernementales, voire supra-gouvernementales, dont les capacités d'action sont sans limites. Si l'on peut associer au genre des films antérieurs aux années soixante, on marquera le début de son "âge d'or" avec Un crime dans la tête, terrifiante fiction construite sur le traumatisme de la guerre de Corée qui anticipe les scandales qui feront trembler l'Amérique dans les années suivantes. Une autre guerre, celle du Vietnam, ainsi que l'assassinat du président Kennedy ou le scandale du Watergate fourniront un terreau encore plus fertile aux successeurs du film de John Frankenheimer. On notera entre autres, parmi les sommets du genre, la marquante trilogie d'Alan J. Pakula, A cause d'un Assassinat, Les Hommes du président et Klute, ou l'étouffant film de Francis Ford Coppola, Conversation secrète. Alors que ces réalisateurs appartiennent globalement à la jeune génération qui bouleverse le cinéma hollywoodien à ce moment-là, des réalisateurs plus chevronnés se confronteront aussi au genre. En 1977 c'est le cas du vétéran Stanley Kramer, un des producteurs les plus influents de Hollywood depuis la fin des années quarante, qui tourne La Théorie des Dominos.

Adaptation d'un roman d'Adam Kennedy, un ancien acteur, le scénario de La Théorie des Dominos est typique du genre. Une organisation mystérieuse, visiblement composée de militaires ayant accès aux moyens de l'armée américaine, va manipuler Roy Tucker, emprisonné pour le meurtre du mari de sa compagne. Elle lui propose de retrouver la liberté en échange d'un petit service. Suspicieux, mais impatient de retrouver sa liberté, Roy Tucker accepte à la condition de s'échapper avec son compagnon de cellule Spiventa, avec qui il a noué une solide amitié. L'évasion se déroule mal, Spiventa étant abattu sous ses yeux, mais l'organisation a rempli sa part du contrat : Tucker est libre et peut profiter de sa nouvelle vie avec sa compagne. Cependant, lorsqu'il prend conscience de la nature de la mission qu'il doit accomplir, Tucker recule et ne souhaite plus s'acquitter de sa dette. Evidemment, il n'a pas les moyens de refuser. L'histoire combine habilement action, aventure, suspense, romance ainsi qu'un sous-titre politique évident, notamment lors de la conclusion du film, mais traité avec une grande légèreté. Un mélange habilement traduit à l'écran par Stanley Kramer. Le réalisateur, bon artisan hollywoodien, nous semble excessivement dénigré par la critique. On le compare parfois au cinéaste français André Cayatte. C'est l'avis, par exemple, du critique Jean-Pierre Dionnet. La comparaison est juste sur le fond, Kramer ayant pris l'habitude de s'attaquer à des sujets sociaux forts, comme le racisme dans l'excellent La Chaine ou dans Devine qui vient diner... et à mettre en scène des films tournant autour de la justice, comme Procès de singe ou le fameux Jugement à Nuremberg. La comparaison est par contre injuste sur la forme. Si Cayatte est trop souvent lourd dans sa mise en scène, pénalisant ainsi le message noble qu'il défend, il ne nous semble pas que ce soit le cas de Stanley Kramer qui sait généralement donner à ses films suffisamment de dynamisme pour qu'ils restent efficaces. Il fait à nouveau preuve de ces qualités avec La Théorie des Dominos, film particulièrement rythmé qui ne souffre d'aucun moment creux, ni d'aucune démonstration théorique trop pesante. Au contraire, on pourrait presque faire au film le léger reproche de ne pas porter un message politique et idéologique aussi fort que les grandes réussites du thriller paranoïaque, ce qui n'empêche évidemment pas de l'apprécier pour ce qu'il est, un excellent divertissement.


Les sujets forts qu'il aborda tout au long de sa carrière, ainsi que son statut de producteur, ont offert à Kramer de grandes réussites au box-office. On ne peut par contre pas associer à ce réalisateur un style visuel particulièrement marqué, le fond prenant nettement le pas sur la forme. C'est également vrai pour la Théorie des Dominos, film très agréable à regarder mais qui ne marquera pas par sa personnalité. Kramer pioche dans le style visuel des cinéastes en vogue, de William Friedkin à Alan J. Pakula, sans y apporter de vision particulière. Ce n'est pas nuisible au film, Kramer étant un solide artisan capable de s'approprier ces esthétiques à la mode et de s'entourer des meilleurs techniciens pour l'épauler. Il fait ainsi appel à deux chefs opérateurs de renom, Fred J. Koenekamp, qui travailla notamment avec Franklin J. Schaffner sur Patton et Papillon d'une part, et de l'autre Ernest Laszlo, entre autre collaborateur de Robert Aldrich sur ses premiers films. Une pratique caractéristique du caractère de  Stanley Kramer, qui souhaitait mettre le maximum d'atouts de son côté. A l'écran, le travail de l'un ou l'autre des photographes n'est pas identifiable mais le résultat est tout à fait remarquable. Si le réalisateur sait choisir ceux qui l'aideront derrière la caméra, il a aussi bon goût au moment de sélectionner ses acteurs. Le casting de La Théorie des Dominos est son principal atout. En tête de liste, Gene Hackman s'avère parfait dans le rôle de Roy Tucker. L'acteur est un habitué de ce genre de cinéma, ayant tenu par exemple le rôle principal de Conversation secrète de Coppola, et il se montre particulièrement à l'aise dans la peau de ce personnage manipulé, qui se débat vainement contre un invincible adversaire. Face à lui, le représentant principal de l'organisation qui le manipule est incarné par Richard Widmark, vétéran Hollywoodien, qui trouve ici l'un des ses rôles les plus inquiétants, ce qui n'est pas peu dire pour celui qui débuta au cinéma avec l'incroyable interprétation de Tommy Udo, dans Le Carrefour de la mort. Autour de ces deux géants, la distribution est impressionnante, réunissant Candice Bergen, Eli Wallach et l'ancien enfant star Mickey Rooney. Tous se révèlent parfaits, et contribuent à la remarquable efficacité du film.

Stanley Kramer est un invité surprenant dans un style cinématographique particulièrement attaché à la nouvelle génération de cinéastes hollywoodiens des années 60 et 70. Parfaitement à l'aise dans cet univers, il réussit un très bon film, qui n'est pas le plus marquant du genre mais s'impose comme un excellent spectacle grâce à de formidables acteurs. Malheureusement, La Théorie des Dominos sera un échec critique et public qui marquera la fin ou presque de la carrière de son réalisateur derrière la caméra. Un échec injuste qu'il convient aujourd'hui d'effacer pour redonner à ce film la place qu'il mérite, celle d'une belle réussite pleinement emblématique de son époque.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 9 juin 2015