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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Mousson

(The Rains of Ranchipur)

L'histoire

1938. En Inde, la Maharani de Ranchipur fait ses derniers adieux à son défunt mari, le Mahârâja Man Singh Bahadur. Quelques dignitaires ont fait le déplacement pour les obsèques. Parmi eux, Lord Albert Esketh et sa femme, Lady Edwina. Cette dernière va tomber amoureuse du Dr Rama Safti, un jeune homme autrefois adopté par les suzerains de la région, et que la Maharani considère comme son propre fils. Une idylle que refuse la veuve, et que les éléments déchaînés vont mettre à mal.

Analyse et critique

The Rains of Ranchipur est la seconde adaptation du roman de Louis Bromfield et constitue donc un remake de The Rain Came, la fabuleuse version réalisée par Clarence Brown deux ans après la parution du livre. Pour la Fox, qui produit le film, on est là dans une démarche proche de celle de la MGM lorsqu'elle produisit le remake La Belle de Saigon pour en faire le Mogambo de John Ford. Il s'agit donc de revisiter un ancien classique à l'aune des techniques et des éléments en vogue du moment, ici le Cinémascope et le visuel monumental qui en découle, l'exotisme tapageur magnifié par le Technicolor flamboyant. On le saisit dès l'ouverture durant laquelle Jean Negulesco multiplie les vues grandioses de cités et de paysages à perte de vue, fait déambuler les personnages dans des palais gigantesque et luxueux.


L'histoire est sensiblement la même que dans le film original, mais avec plusieurs modifications essentiellement dues à la présence de Lana Turner qui monopolise bien plus l'attention que Myrna Loy chez Clarence Brown, lequel avait réalisé un vrai film choral. On en est loin ici, où l'histoire d'amour entre l'ingénieur alcoolique joué par Fred MacMurray et la jeune Joan Caulfield (George Brent et Brenda Joyce dans l'original) est nettement plus en retrait et moins intéressante, la faute notamment à la prestation un peu transparente de l'actrice. L'attention sera donc essentiellement portée sur Lana Turner et ses amours coupables avec le Docteur Safti. Le personnage de Lady Edwina est d'ailleurs nettement plus chargé ici dans ses mœurs dissolues : mariée à son époux uniquement pour son titre de noblesse, elle lui mène la vie dure par ses infidélités qu'il ne peut discuter puisqu'il dépend d'elle financièrement. Invités à la cour de la Maharani de Ranchipur, elle jette son dévolu sur le vertueux et innocent Docteur Safti (Richard Burton), futur héritier et dévoué à son peuple. Lana Turner excelle dans ce registre de séductrice vénéneuse et sans cœur, que ce soit au début du film dans le train où elle humilie son mari (Michael Rennie) ou encore la séduction tout en œillades brûlantes qu'elle fait auprès de Richard Burton. Le problème survient quand l'histoire d'amour surgit et qui, si elle fonctionne, paraît bien fade pour qui a vu le film de Clarence Brown.


Dans le film de 1939, Safti, bien que troublé par les avances d'Edwina, ne cède pas car il devine l'égoïsme de cette dernière. Ce n'est que dans la dernière partie, lorsque Edwina ayant elle-même connu la souffrance se dévoue aux autres qu'elle éveille des réels sentiments chez Safti. La prestance et la noblesse dégagées par Tyrone Power et l'intensité dégagée par Myrna Loy y étaient pour beaucoup. De plus, la mise en scène de Brown regorgeait d'idées prodigieuses (cette allumette éteinte qui plonge l'image dans l'obscurité, Myrna Loy qui découvre qu'elle est empoisonnée...) transcendant encore la prestation des acteurs. Jean Negulesco n'a pas ce talent et fait finalement reposer l'évolution des personnages sur le seul dialogue, Lana Turner devenant amoureuse éperdue d'une scène à l'autre sans que l'on ait trop vu la transition, tout comme Richard Burton qui lui cède bien trop facilement. On sent d'ailleurs Burton prêt à apporter sa propre personnalité, avec un Safti plus dur par rapport à l'interprétation bienveillante de Tyrone Power, mais cela ne sera qu'esquissé. L'histoire d'amour fonctionne donc néanmoins mais on se retrouve plus devant un mélo exotique conventionnel que face au drame poignant de Clarence Brown. La scène de la catastrophe naturelle résume à elle seul le fossé qui sépare les deux films. Elle est aussi spectaculaire dans les deux œuvres mais là où, chez Negulesco, on a le sentiment d'une démonstration du département des effets spéciaux, avec Brown on a un vrai point de vue sur cette apocalypse aquatique en marche, bien plus douloureuse et intense par les choix du réalisateur, la capture bien plus terrifiante de cette panique ambiante.


Le seul vrai démarquage se situe dans la conclusion, et reste assez discutable. Le choix entre devoir et passion constitue l'enjeu final dans chaque film mais, là où en 1939 ces responsabilités sont vues comme nécessaires malgré les sacrifices, elles sont ici un poids et presque une source de culpabilité en adoptant le seul point de vue égoïste de Lana Turner, comme en témoigne le dialogue final avec la Maharani. La fin de The Rain Came était un déchirement où le héros abandonnait douloureusement sa patrie, là ce serait plutôt le renoncement d'une Lana Turner jamais soucieuse de ce qui l'entoure qui l'emporte (même si la séparation finale est très belle). Un choix assez curieux tout de même. Donc chez Brown, on avait eu un film d'une vraie subtilité, porté par un regard personnel (et probablement plus fidèle au livre), alors que Negulesco propose une production façonnée par le studio et phagocytée par sa star. Cela étant dit, The Rains of Ranchipur est fort dépaysant, romanesque et agréable à suivre si l'on n'a pas vu le premier film, dont la connaissance biaise un peu l'avis au désavantage de son remake.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 2 novembre 2017