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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Madone aux deux visages

(Madonna of the Seven Moons)

L'histoire

Traumatisé dans son adolescence, Maddalena possède une double personnalité. Le jour de la fête de sa fille, Angela, elle s'enfuit vivre avec son amant Nino, avec qui elle est Rossanna.

Analyse et critique

Au croisement du thriller, du mélodrame et du film psychanalytique, Madonna of the Seven Moons est un des films les plus étranges et audacieux produits par le studio Gainsborough. Le film adapte un livre de Margery Lawrence, romancière spécialiste du récit surnaturel à mystèred et l'on sera servi tant on empruntera ici des chemins inattendus. Alors qu'elle est encore adolescente au couvent, Maddalena (Phyllis Calvert) est violée par un inconnu. La scène est filmée comme dans un cauchemar, saccadée, sans parole et avec un expressionnisme prononcé traduisant la sidération de la victime. C'est un traumatisme aussi bref qu'halluciné que notre héroïne n'aura de cesse d'effacer de sa mémoire au prix de sa santé mentale. La jeune fille n'aura pas le temps d'encaisser le choc de cette agression puisque dans la foulée, elle doit quitter le couvent pour se marier selon la volonté de son père et la douleur refoulée va avoir un effet surprenant sur elle. Nous la retrouvons bien des années plus tard, mariée, heureuse et attendant le retour de sa fille partie étudier depuis de longues années en Angleterre.

Le ton et l'esthétique du film créent un choc permanent entre passé et modernité. La demeure de Maddalena à Rome semble restée figée dans une Renaissance pieuse et luxuriante, tandis que Phyllis Carver arbore de longues robes sophistiquées qui ajoutée à sa présence évanescente en font une sorte d'icône religieuse en mouvement. Cela est contrebalancé par l'énergie pétillante de sa fille Angela (Patricia Roc, qui a pourtant le même âge que Phyllis Carver) qui affirme sa féminité et sa séduction avec un aplomb qui effraient Maddalena. Quelques indices annoncent le basculement à venir quand on apprend que, touchée par une maladie mystérieuse, la mère n'a pas écrit à sa fille durant une année entière et n'est pas venue lui rendre visite. Tous ses changements semblent profondément troubler Maddalena jusqu'au vrai choc lorsqu'elle apprend les fiançailles d'Angela. L'agression initiale a en fait provoqué chez Maddalena un dédoublement de la personnalité, et c'est à Florence qu'elle va fuir pour endosser son autre "moi" et redevenir Rossanna, l'amante volcanique du gangster local Nino (Stewart Granger) dont elle s'est éprise lors d'une précédente crise quelques années plus tôt.

Phyllis Calvert, d'habitude si douce et bienveillante dans ses emplois chez Gainsborough, trouve enfin un rôle lui laissant exprimer une vraie démesure avec cette schizophrénie. Effrayée par toute évocation du sexe en Maddalena, elle devient lascive et provocatrice en Rossanna. Les coiffures sophistiquées de Maddalena laissent place au cheveux lâchés de son double pour passer de la retenue corsetée à l’érotisme agressif. Arthur Crabtree, ancien directeur photo ayant fait ses armes au sein du studio, fait jouer ce passif dans la sensualité prononcée qu’il confère au film telle la scène en ombres chinoises après l'étreinte entre Maddalena et Nino. Les repères sont troublés avec cette intrigue se déroulant de nos jours, mais dont tout ramène au passé avec des décors de studio jouant totalement la carte du rêve éveillé, via le ton prude issu de la personnalité de Maddalena (la procession religieuse tout droit sortie d'un livre d'iconographie) ou par une outrance et une luxure surprenantes lors de la pétaradante scène de carnaval finale. Une pure intrigue policière s'ajoute à tout cela avec les activités illicites de Nino pour donner un mélange des genres pas loin d'être indigeste dans ses ruptures de ton et ses multiples personnages secondaires. L'émotion parvient néanmoins à émerger grâce à l'intense histoire d'amour entre Rossanna et Nino, Stewart Granger livrant une prestation ardente en brute épaisse rongée par la passion. On en espérerait presque que Maddalena ne retrouve pas sa personnalité initiale pour qu'ils restent ensemble, malgré une toujours attachante Patricia Roc en fille menant l'enquête pour retrouver sa mère, seul lien fort avec l'ancienne vie puisque le personnage du mari est un rival trop fade face à Stewart Granger.

Entre ce passé douloureux et le futur incertain, la résolution semble se trouver dans un présent sous forme de recueillement dans un film multipliant les symboles religieux. Seul moment heureux son existence, le souvenir des paisibles années de couvent apaise Maddalena par cette imagerie tandis que le versant païen s’exprime par la culture gitane (une récurrence qui teinte une grande partie des productions Gainsborough, et ici avec le mystère des sept lunes) et éveille ses ardeurs mais signifie également la malédiction qui pèse sur elle. Le script ne choisit pas réellement, la paix mais aussi l'ennui dominent du côté de Maddalena tandis que la passion et la douleur forment le tempérament de Rossanna. La conclusion, poignante, résout dramatiquement ce conflit permanent par un poignant adieu. Objet inclassable, Madonna of the Seven Moons sera pourtant un grand succès au box-office anglais, établissant un peu plus Stewart Granger comme la grande star montante locale et saluant les audaces de Gainsborough qui en cette même année 1945 triomphe avec Le Septième voile de Compton Bennett, autre ovni teinté de psychanalyse.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 2 avril 2021