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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Grande farandole

(The Story of Vernon and Irene Castle)

Analyse et critique

Seulement six ans après le très agréable Carioca (Flying Down to Rio), le couple qui fit les beaux jours de la RKO et des spectateurs du monde entier décide de s’arrêter, chacun des deux souhaitant désormais voler de ses propres ailes. La Grande farandole marque donc la fin de cette remarquable collaboration avant que le couple ne fasse, dix ans après, un ultime come-back en Technicolor pour la MGM dans le très moyen Entrons dans la danse (The Barkleys of Broadway). En 1939, le public commençait à se lasser des comédies musicales et The Story of Vernon and Irene Castle en pâtit ; ce sera le plus gros échec des neufs films du duo Astaire / Rogers pour le studio RKO. De plus, les fans ne supportaient pas l’idée de devoir assister à la mort de Fred Astaire à l’écran, ce qui ne lui était encore jamais arrivé. Car en effet, le film est un "biopic" narrant l’histoire vraie d’un célèbre couple de danseurs du début du 20ème siècle ayant "sévi" à Paris tout en lançant quelques modes, non seulement dans la danse mais aussi vestimentaires et autres. Tout le monde était donc déjà au courant que Vernon Castle s’était tué accidentellement lors d’une démonstration aérienne après s’être engagé dans l’armée lors de la Première Guerre mondiale, et que le film allait probablement se conclure sur son décès. Dès 1936, la RKO avait mis la main sur les mémoires d’Irene Castle avec l’idée bien arrêtée d’en faire un véhicule pour ses deux poulains. La danseuse s’était toujours opposée à ce que Ginger Rogers l’incarne à l’écran mais les producteurs réussirent à lui faire penser à autre chose en l’évinçant discrètement des plateaux de tournage ; bien leur en a pris puisque l’actrice prouvait une nouvelle fois à cette occasion qu’elle n’était pas seulement une formidable danseuse mais aussi une comédienne géniale arrivant dans la même minute à nous faire rire et pleurer. Fred Astaire, moins cabotin qu’à l’habitude (rôle oblige), même s’il est un acteur au registre moins varié que sa partenaire, se révélait à nouveau à la hauteur et le duo fonctionnait à merveille. Irene Castle, qui avait tourné une vingtaine de films muets entre 1915 et 1924, avait interprété son propre rôle dans l’un d’entre eux aux côtés de son époux. Racontant déjà leur carrière, de nombreux éléments de ce film furent repris pour écrire le script de la présente version.

Il faut savoir que La Grande farandole diffère beaucoup des huit précédents films de la collaboration Astaire / Rogers, une des autres raisons pour laquelle les amateurs ne suivirent pas leurs idoles sur cette nouvelle voie. Fini le style "téléphone blanc", d’où l'absence de décors art-déco (mais néanmoins des intérieurs et extérieurs très bien photographiés) ; fini les quiproquos, mais une solide histoire bien charpentée ; fini les seconds rôles "clownesques", même si les formidables Walter Brennan et Edna May Olivier se révèlent souvent très amusants ; fini les chorégraphies sophistiquées, mais à la place de simples (et néanmoins admirables) danses de salon ; quasiement fini les chansons (excepté la superbe Only When You’re in My Arms de Kalmar et Ruby), mais presque uniquement de la danse. Mais le plus grand changement provient des relations entre les deux personnages principaux qui ne sont plus forcément basées sur le sarcasme de type "Screwball Comedy" - le couple se "haïssant" pendant tout le film pour mieux tomber dans les bras l’un de l’autre au final - mais sur une complicité et une tendresse inédites qui haussent le film vers quelques beaux pics d’émotion. En une petite heure et demie, H.C. Potter (surtout connu pour avoir réalisé le cultissime Hellzapoppin) nous livre un biopic sans prétention mais extrêmement bien enlevé (le réalisateur jouant de l’ellipse avec talent), correctement réalisé (avec de superbes idées de mise en scène, comme ce plan d'ensemble très éloigné en contre-plongée filmant les danseurs évoluer sur une carte géante des USA pour nous montrer leur parcours sur le continent) et ô combien charmant ! Plus de la moitié du film est consacrée à la rencontre de ces deux cabotins rêvant de danser, de leur coup de foudre mutuel (séquence de la demande en mariage à la fois drôle et touchante), de leurs galères avant de trouver le succès grâce à un "mécène" féminin joué à merveille par Edna May Olivier (superbe la même année dans Sur la piste des Mohawks de John Ford) dans son rôle bien rôdée de femme acariâtre au grand cœur. Les dernières vingt minutes seront consacrées à l’entrée en guerre de l’Angleterre et aux conséquences qu’elle aura pour le couple. Au final, un film que l’on pourrait qualifier de plutôt routinier, mais que le manque de prétention ne rend jamais indigeste et qui se révèle au contraire constamment plaisant grâce aussi aux séquences musicales toujours aussi délicieuses de par le génie de nos deux danseurs émérites, jamais ennuyeux grâce à un scénario bien écrit et qui file à 100 à l’heure. Même si Tavernier et Coursodon sont impitoyables avec lui, il est néanmoins permis de le préférer aux plus réputés Top Hat, Swing Time ou autres Shall We Dance. Une délicieuse comédie musicale !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 22 septembre 2009