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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Fiancée de Chucky

(Bride of Chucky)

L'histoire

Tiffany (Jennifer Tilly), celle qui était avec Chucky (Brad Dourif) de son vivant, récupère, non sans faire montre de ses propres talents de psychopathe, la poupée où il était réincarné et lui redonne la vie. Leurs rapports tournent vite au vinaigre : Chucky assassine la bienfaitrice qui avait tôt fait de l’encager dans un lit d’enfants et la réincarne, elle, dans une autre poupée. Ainsi réunis dans un duel d'amour vache, ils profitent de la cavale d’un jeune couple, Jade (Katherine Heigl) et Jesse (Nick Stabile), pour tenter de se rendre au cimetière où le corps de Chucky était enterré pour qu'il s'y réinjecte. Moult péripéties et ellipses hasardeuses s’ensuivent.

Analyse et critique

L’élément qui date le plus La Fiancée de Chucky est sa volonté affirmée (et qui pourrait paraître un brin désespérée si le film n’était pas aussi allègre) d’être de son temps : il se passe difficilement quinze minutes à l’écran avant qu’une poupée tueuse ne nous rappelle que nous sommes dans les années 1990. Chucky, le meurtrier réincarné dans un jouet, passe pour une création de la décennie précédente, celle de franchises horrifiques alors essoufflés ou finies (Ronny Yu retentera l’opération ici pratiquée avec le pas beaucoup moins sympathique Freddy vs. Jason). Un masque de hockey et une tronçonneuse, remisés lors de l’ouverture comme des pièces à conviction, indiquent ce qui aurait pu être sorti d’autre du bric-à-brac des studios et des « produits » dont ils possèdent les droits (de même qu’un dernier clin d’œil à Alien, des allusions à L'Exorciste ou Psychose, ou un hommage clouté à Hellraiser). Supposé donner un coup de jeune à la créature de Don Mancini (à qui ce dernier aura consacré toute sa vie artistique), le film assume un caractère dérivatif, avec ses clins d’œil constants, ses répliques méta pas toujours très finaudes, ou ne serait-ce qu’une affiche qui recopie celle de Scream (au pinacle de l’ironie horrifique 90’s). Nous sommes bien à la fin des années 1990, avec son ironie constante, des procédés de distanciation à présent mainstream. Chucky n’avait pourtant pas attendu ce moment pour exercer le mauvais esprit, mais il était jusque-là restreint par une noirceur de ton où les tentatives de punchlines les plus corrosives possibles restaient encadrées par cette volonté d’inquiéter. Mancini tentera de renouer avec cette veine avec Curse of Chucky, qu’il a comme les épisodes suivant La Fiancée réalisés lui-même, mais ce qu’il amorce ici est la période la plus dévergondée (et à vrai dire réjouissante) de cette aventure dont les codes et rituels sont maintenant bien mis en place (il y a désormais un manuel de pratique vaudou pour les Nuls à disposition), trop à vrai dire pour pouvoir mécaniquement les appliquer sans en jouer.

Le modèle du film, des extraits en sont d’ailleurs montrés, est bien entendu La Fiancée de Frankenstein (1), soit une suite qui elle aussi reprenait l’élément d’humour déjà présent dans un prédécesseur pour aller franchement vers la comédie horrifique - avec toutefois une dimension mélancolique parfaitement absente de ce film beaucoup plus superficiel (c’est aussi ce qui fait son charme idiot). Il y a un potentiel de ridicule toujours menaçant à mettre en scène une poupée massacrant une flopée d’humains, et chaque épisode des Chucky cherche à sa manière comment éviter ce point de chute... ou au contraire, comment déjouer ce risque en s’y vautrant paradoxalement. Les acrobaties de Chucky et de sa belle et douce en ombres chinoises (blaguounette sur le latex comprise) tirent cet univers vers une potacherie à la Austin Powers, où l’angoisse primaire serait remplacée par une gêne pas forcément moins efficace. Outrancièrement rigolard (et tombant ce faisant un bon quart du temps à plat), le film pose par moments la question d’à quel point son comique est volontaire. Jennifer Tilly susurrant « le petite mort (sic) » à une victime métalleuse, celle qui offre au film son meurtre le plus fameux commençant par l’arrachage d’un piercing à la lèvre, vient injecter une dose de camp bienvenue à tout cela. Voix haut-perchée et formes généreuses pas le moins du monde amoindries, elle se pose en digne héritière de Jayne Mansfield (une sataniste, en son temps), dans un film qui joue de tout ce que l’outrance de la culture métal peut avoir d’amusante (à son meilleur de façon assumée, à son nadir à son corps défendant), sur fond de Slayer et de Rob Zombie.

Entre sado-masos, échangistes et stoners, le film offre un défilé décadent loin de la façon dont il s’agissait (quand les Chucky tentaient encore d’être un minimum sérieux) de montrer une cellule familiale, peut-être fragilisée (l’absence du père dans le premier), mais relativement intègre, subir les agressions d’une puissance criminelle encore désignée comme un-dehors à celle-ci. Ici, la corruption (pas seulement des mœurs, mais littérale, avec un policier porté sur les pots-de-vin) semble généralisée et il est difficile de tout à fait croire à l’innocence du couple appelé à être martyrisé par Chucky et sa fiancée, qui en est au départ réduit à se voir en douce puis partir en cavale, la jeune fille étant sous la coupe d’un oncle contrôlant ses faits et gestes à des motifs vénaux. Il s’agit d’opposer le couple « sain » de jeunes amoureux à l’enfer domestique que représente les rapports de Chucky et de Tiffany, les seconds pouvant préfigurer l’avenir des premiers (« Je leur donne six mois, trois si elle prend du poids. » - l'ère de Kate Moss idolâtrait la minceur), mais même ce simple contraste paraît difficile à maintenir. Par certains aspects, Jade et Jesse s’apparentent à ces adolescents qui, selon la coutume hollywoodienne, sont joués par des comédiens plus âgés de dix ans, par d’autres ils sont des adultes en capacité de se marier (mais pas de gérer ses avoirs concernant Jade) et les deux tableaux sont souvent juxtaposés. Il n’est pas anodin que Katherine Heigl ait par la suite percé chez Judd Apatow (avant une carrière dans la comédie romantique qui ne fera jamais d’elle une célébrité complète), tant le référentiel constant pratiqué ici infusera plus la comédie des années 2000 (surtout sur son versant le plus verbal) qu’un cinéma d’horreur qui aura tendance à renouer avec le primitivisme (horreur des années Bush contre celle des années Clinton, en somme, pas esthétiquement antipathiques aux mêmes motifs). Le couple de jeunes beaux plus ou moins vertueux fait évidemment pâle figure à côté de celui formé par les deux tueurs, créant un film de cavales où l’amour et la pulsion sont dissociés de façon rassurante. On ne peut pas vraiment soupçonner ces modèles de jeunesse américaine athlétique d’être des assassins en puissance (leurs faillites morales sont d’un ordre plus banal) et, même dans la scène où leur meilleur ami croit soudainement cela possible, le film ne nous le demande pas. Ils ont la bonté, ou la fadeur, de leur côté. Il y a une composante de classe à ce clivage, la dulcinée qui loge dans un véritable manoir représentant la jeunesse dorée à la quelle son prétendant garé dans un camping aspire, là où Chucky et Tiffany, qui habitent une caravane, sont plus prolos et dirtbags tu meurs (d'où ce qu'il y a de commode à ajouter artificiellement une injustice autour d'un héritage concernant la jeune fille). Justice cosmique toutefois : le look goth de Tiffany a beaucoup mieux vieilli que l'accoutrement de slasher des deux jolis coeurs ou, plus brutal encore, que la coupe de leur comparse qui, dans une blague d'une folle originalité, n'est pas présenté comme gay mais comme aspirant théâtreux (dans tous les cas : ça confère de la latitude, mais ça n'excuse pas tout).

En dépit de la cruauté, tout cela est assez bon enfant. C’est peut-être précisément l’abandon de la représentation de l’enfance (plus de petit ou jeune garçon pourchassé) qui autorise cette détente. Ce que le film offre est une attraction ponctuée de figurines vicieuses (les poupées peuvent finir par paraître plus humaines que les acteurs en chair et en os) qui ne joue plus sur la surprise (que le jouet cache un meurtrier est bien connu) mais sur des attendus détournés à des fins amusées, ou purement et simplement d'humour navrant. On pourrait objecter à cette approche de petit malin (qui ne l’est jamais assez pour son propre bien), mais il y a un fond d’idiotie assumée à l’entreprise qui la rend charmante. Ce grotesque enjoué (un relooking sur le Call Me de Blondie) permet aussi un climat où la violence, comme dans un final brutal, s’insère d’autant mieux que la garde est baissée. Il y avait à n'en pas douter quelque chose d’usant et de stérile au culte du méta des années 90, avec son sarcasme rigolard qui assume ouvertement que tout est un produit de consommation (Chucky traite de cela plus franchement que toutes les autres franchises horrifiques de son temps, en en mettant littéralement en scène un), mais vu depuis une ère d’extrême littéralité, où le mauvais esprit est plus que jamais en voie de disparition, sujet non pas aux ricanements complices mais au blâme, il y a aussi quelque chose de rafraichissant à ré-explorer des titres d’une époque où les losers étaient ceux prompts à être choqués ou indignés - et où l’idiotie était moins docte. À écueil contre écueil,  « c’est du jamais vu » a de quoi faire regretter le « on a déjà tout vu ». Sinon, que devient Ronny Yu ? See you hell !

(1) On peut en plus voir le titre comme une allusion à The Bride With White Hair du même cinéaste, avec déjà à la photographie (ici moins, mais toujours assez, chatoyante) Peter Pau.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Jean Gavril Sluka - le 5 décembre 2022