Critique de film
Le film
Affiche du film

La Faute à Voltaire

L'histoire

Jallel (Sami Bouajila), jeune tunisien, immigre clandestinement en France et essaye de faire son trou à Paris afin d’envoyer de l’argent à sa famille restée au bled. Il est hébergé dans un foyer d’accueil où il fait de belles rencontres qui l’aident à supporter la solitude. Il trouve des petits boulots à la sauvette dont la vente de fruits dans le métro ou de roses dans les restaurants, espérant ne pas se faire appréhender par la police. Il tombe sous le charme de Nassera (Aure Atika), une serveuse qui élève seule son enfant et à qui il demande de faire un mariage blanc afin de régulariser sa situation, puis de Lucie (Elodie Bouchez), nymphomane névrosée dont il fait la connaissance lors d’un séjour en hôpital psychiatrique…

Analyse et critique

Premier film d’Abdellatif Kechiche, La Faute à Voltaire contient en germe tout ce qui fera du réalisateur l’un des plus doués et des meilleurs représentants du cinéma français de ce premier quart du 21ème siècle avec, pour ma part à ses côtés mais dans des styles on ne peut plus différents, Stéphane Brizé, Olivier Assayas, Mikhaël Hers ou surtout le regretté Laurent Cantet. Après ce merveilleux coup d’essai le cinéaste d’origine tunisienne ne déméritera jamais, enchainant six films remarquables ayant tous beaucoup fait couler d’encre : le jubilatoire L’esquive osant conjuguer Marivaux avec les cités de banlieues tout en faisant éclater le talent de Sarah Forestier, l’immense La Graine et le mulet faisant la même chose avec la sublime Hafsia Herzi et qui se payait le culot de concurrencer Hitchcock en tant que maître du suspense durant l’impressionnante dernière demi-heure, l’excessivement sombre et malaisant Vénus noire, film d'époque sur la Vénus Hottentote, celui que l'on ne présente plus, La Vie d’Adèle, sur l’homosexualité féminine qui n’a pas volé sa Palme d’or en 2013 tout en révélant Adèle Exarchopoulos et confirmant le talent de Lea Seydoux, et enfin son chef d’œuvre, Mektoub my Love : canto uno, malheureusement son dernier film nous étant à ce jour parvenu, sa suite, Intermezzo n’ayant été présentée qu’au festival de Cannes 2019. Espérons une sortie prochaine pour ce dernier film semble-t-il encore plus radical que les précédents.


Sous forme de chronique sans spécifiquement d’intrigue, le film suit le parcours d’un jeune tunisien entré clandestinement en France, considérant le pays comme un Eldorado et espérant bien trouver du travail pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille restée au pays. La première séquence est assez étonnante, très politiquement incorrecte, montrant sans détours la préparation de Jallel par ses compatriotes d'une génération précédente à ‘l’examen d’entrée’ en France pour pouvoir pleinement profiter du système en mentant sur son identité, sa provenance et en court-circuitant la loi. Jallel, un homme affable, extrêmement sympathique, éternel optimiste et débordant d’énergie qui va néanmoins découvrir que, contrairement à ce que sa candeur lui avait fait rêver, tout n’est pas aussi simple pour parvenir à se fondre dans la foule d’autant plus en étant comme lui en situation irrégulière et malgré sa sincère envie de travailler et son profond désir d’intégration. Contrairement à ce que l’on pourrait croire au vu de cette description, aucuns clichés dans le film, pas plus que de tabous, de misérabilisme ou de tentative de moralisation : Kechiche, comme il le fera toujours, ne juge pas ses personnages, les dépeint certes avec empathie et tendresse sans néanmoins occulter leurs faiblesses et leurs mauvais côtés. La chronique sociale et de mœurs de Kechiche se décline en tranches de vie naturalistes d’une profonde justesse aboutissant à une sensation d’authenticité, faisant ressortir beaucoup d’humanité et de tendresse, prônant avec beaucoup d’humour la solidarité, la fraternité et la loyauté par l’intermédiaire de tous les compagnons de galère de Jallel, ses potes du foyer d'accueil comme les patients d'un hôpital psychiatrique qui forment une superbe galerie de personnages hétéroclites et saisissants de vérité.


Le film est très grossièrement divisé en deux parties qui correspondent aux deux rencontres amoureuses consécutives de Jallel. La première est celle avec Aure Atika, la barmaid abandonnée par son mari, se retrouvant seule avec son enfant en bas âge sous les bras, et qui va accepter de faire un mariage blanc pour régulariser la situation de son amant, sans que ce ne soit sans contrepartie (sympathique mais pas philanthrope) ; la seconde, plus longue, met en scène Elodie Bouchez dans le rôle casse-gueule d'une jeune nymphomane déséquilibrée et en manque d’amour, touchante de vulnérabilité. Certains pourront penser que ces deux segments s’articulent assez mal, la jeune mère de famille interprétée par Aure Atika disparaissant trop tôt du récit mais cet ‘évanouissement’ s’avérant très crédible, ça ne pose aucun problème si ce n’est le fait de ne plus ensuite côtoyer cette comédienne qui aura rarement été aussi mémorable qu’ici et notamment lors de cette formidable scène de danse et d’ivresse dans le bistrot dès le premier quart d’heure du film. Kechiche continuera film après film à nous démontrer son immense maitrise dans la mise en scène de séquences festives ou de danse tout aussi bien que dans celles de sexe parmi les plus longues (trop pour certains), les plus impudiques mais sans doute aussi les plus belles vues sur un écran de cinéma. Kechiche, recherchant avant tout à capter la vérité chez ses comédiens, colle au plus près de leurs corps et de leurs visages, s’arrête longuement sur un sourire ou un regard, octroie à leurs personnages des dialogues fortement authentiques et prend le temps de les faire exister même si pour se faire il choisit d’étirer plus que de coutume dans la durée certains de ses plans, de ses séquences, ce qui lui sera souvent reproché par ses détracteurs. Cette constante recherche de la plus grande véracité peut même lui faire décider de garder une prise au montage même s’il s’aperçoit d’une perche dans le champ ou de raccords lumière parfois choquants au sein d’une même séquence.


Malgré quelques autres maladresse - y compris parfois dans le jeu de Sami Bouajila sinon inoubliable - nous serions bien restés quelques temps encore en compagnie de tous ces attachants personnages. En tout cas, le quatuor constitué par Sami Bouajila, Bruno Lochet, Elodie Bouchez (son personnage aurait facilement pu faire qu'elle soit vite agaçante mais elle reste constamment touchante) et Aure Atika est formidable. La mise en scène est tout aussi remarquable que l'interprétation, et ce jusqu'aux dernières minutes qui font se succéder drôlerie (le pagnolesque tournoi de pétanque) et grande amertume (l'abrupte image finale). Un premier film revigorant et très réussi, qui n’enjolive ni ne caricature, Kechiche s’étant dès lors avéré comme le digne et quasi unique successeur de Maurice Pialat dans le domaine du naturalisme et de la direction d’acteurs. Salué comme il se doit en Italie au festival de Venise 2000, La faute à Voltaire fut récompensé non seulement par le Lion d'Or de la Meilleure Première Œuvre mais également par le Prix du Jeune Public. C’est au tour du Blu-ray de lui faire une place afin que le plus grand nombre puisse découvrir ce coup de maitre qui à postériori peut nous faire dire que dès 2001 le style de Kechiche était totalement défini.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

la faute à voltaire
Blu-Ray
 

Sortie le 27 février 2025
Editions BQHL

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Par Erick Maurel - le 10 avril 2025