Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Jusqu'au bout du monde

(Bis ans Ende der Welt)

L'histoire

1999, dans un futur proche (par rapport à la date de tournage). On vient de perdre le contrôle d’un satellite atomique en orbite autour de la Terre ; il pourrait non seulement s’écraser sur notre globe mais également générer un champ magnétique détruisant toutes les mémoires d’ordinateurs. Comme le dit en voix off son compagnon (Sam Neill), qu’elle vient de quitter pour cause d’adultère, Claire Tourneur (Solveig Dommartin) n’en ressent aucune angoisse, toute à ses problèmes sentimentaux. Alors qu’elle rentre en France après être allée se ressourcer en Italie, elle rencontre deux cambrioleurs qui lui donnent une part de leur butin en échange d’un service. Continuant son périple en direction de Paris, elle tombe amoureuse d’un homme pris en auto-stop, Trevor McPhee (William Hurt). En se réveillant un matin, elle se rend compte s’être fait subtiliser une partie de l’argent par cet homme dont elle apprendra plus tard qu’il met au point avec l’aide de son père (Max Von Sydow) un appareil capable de faire retrouver la vision aux aveugles ; une invention dont beaucoup cherchent à mettre la main dessus. Avec l’aide d’un détective allemand (Rüdiger Vogler), elle va partir à sa recherche... jusqu’au bout du monde.

Analyse et critique



Cet improbable patchwork de film noir, de comédie, d’histoire d’amour, de drame, de science-fiction et de film d’aventures que constitue Jusqu’au bout du monde est parfaitement bien résumé par Wim Wenders lui-même lorsqu’il le décrivait ainsi : "Un film d'amour aventureux futuriste sous forme d'enquête sur les routes du monde, ou inversement." Sorti en 1991 dans une version d’à peu près trois heures qui ne semble pas avoir eu l’aval du cinéaste, le film a fait sa réapparition sur les écrans en 1994 dans son montage director’s cut d’une durée de 275 minutes, déjà bien réduite par rapport à la version de huit heures qu’avait eue d’emblée en tête le réalisateur allemand. Ce tournage sur quatre continents et neuf pays ne nécessita pas moins que d’un budget de plus de 20 millions de dollars ; une "bagatelle" qui en fait peut-être le film d’auteur le plus cher de l’histoire du cinéma comme il est rappelé en préambule de cette version. Ce qui n’empêcha pas son cuisant échec financier, qui, ajouté à une presse dans l’ensemble plutôt tiède, fut probablement la raison pour laquelle le film était devenu assez difficile à visionner ces dernières années. Ayant pu découvrir le film à sa sortie, la version courte m’avait alors semblé certes très bancale mais pas pour autant désagréable, grâce surtout à la fantaisie d'une intrigue oscillant entre Tintin, L’Ami américain et Alice dans les villes, le tout saupoudré d’anticipation. Revu aujourd’hui au sein du montage souhaité par Wenders, autant dire que j’ai vite déchanté tellement l'aspect boiteux du film semble encore plus flagrant, le sentiment principal qui en est ressorti ayant été celui, non pas d’un "grand film malade" selon la définition de Truffaut, mais bel et bien d’un immense gâchis.



Cela s’avère d’autant plus triste lorsque l’on a porté au pinacle la plupart de ses œuvres précédentes et certaines autres qui suivront, le cinéaste n’ayant guère eu son pareil dans le domaine du road movie - ces derniers sont tellement attachants que cela ne nous aurait pas dérangé que leurs durées fussent encore moins raisonnables (Alice dans les villes, Au fil du temps) - puis plus tard se révélant tout aussi enthousiasmant dans le genre documentaire (de Tokyo Ga au Sel de la terre, en passant par Buena Vista Social Club). De plus, Jusqu’au bout du monde aura été le long métrage suivant immédiatement dans son imposante filmographie non moins que le chef-d’œuvre du réalisateur, le magnifique Les Ailes du désir, véritable hymne à la vie, à l'amour, à notre état de mortalité, aux choses simples, à l'enfance... tout simplement à "l'humain" ! Un vaste programme que Wenders, sans aucun cynisme et avec une sincérité totale, arrivait à mener à son terme, à transcender avec la grâce et la poésie qui avaient dû lui être délivrées par les anges de son film. Tant de tendresse, de beauté et d'humanité m’avaient laissé terrassé d’émotion. Et voilà qu’à partir d’une ambition au moins toute aussi démesurée, n’en oubliant pas de condenser et résumer ses thématiques et ses obsessions, son film suivant qu’est ce Jusqu’au bout du monde me fait quasiment l’effet inverse, l’estimant aussi laborieux, ridicule et anémié que le précédent m’avait paru miraculeux, intelligent et ô combien vivant !



Alors oui, nous sommes bel et bien dans l’univers de ce passionnant auteur : thématiques, marottes et personnages récurrents sont bien tous recensés sans qu’il n’y ait le moindre oubli ; une sorte de long résumé de son œuvre. Nous retrouvons ainsi le thème de l’errance présent dans ses premiers films avec également l’acteur qui en était la plupart du temps le principal protagoniste, le sympathique Rüdiger Vogler, interprétant ici le détective pittoresque, sorte de pendant à ceux un peu différents de L’Ami américain ou Hammett. Wenders nous fait ainsi voyager dans le monde entier et en profite pour nous offrir d’amples et splendides mouvements de caméra sur de très grands plans d’ensemble dont il a le secret (notamment lors de la partie cévenole ou durant la traversée du désert australienne) et nous parle du pouvoir dangereux et/ou malsain des images (même s’il l’a souvent fait auparavant avec bien plus de subtilité). Musicalement, il nous fait à nouveau partager sa passion du rock avec un excellent soundtrack conviant non moins que U2, Lou Reed, Nick Cave, Patti Smith, Elvis Costello, DM, REM, Daniel Lanois Peter Gabriel, Talking Heads, Elvis Costello, Neneh Cherryh... à qui il avait demandé de composer des morceaux exprimant leur perception de l’an 2000. Ces chansons sont principalement utilisées dans la première partie du film, la seconde étant dévolue quasi-intégralement à Graeme Revell. Dommage que tous ces bons morceaux de rock semblent parfois plaqués sur les images, ou qu’à d'autres rares occasions ils nous paraissent envahissants comme lors de la très belle séquence de la traversée du désert pour laquelle il aurait peut-être été plus efficace émotionnellement parlant de lui juxtaposer une musique plus douce ou encore plus judicieux... de s’en passer.



Contrairement au terme trilogie accolé au titre du film, je n’y vois personnellement que deux longues parties, "l’enquête-voyage-course poursuite" à travers le monde puis le segment australien qui, après un moment de flottement (probablement la demie heure la plus convaincante du film, à partir de l'instant où toute l’électronique se dérègle et cesse même de fonctionner jusqu'aux retrouvailles avec Jeanne Moreau), prend un virage vers la pure science-fiction. Malheureusement il s'agit de "'SF philosophico-New Age" sentencieuse, kitsch et moralisatrice aux dialogues lénifiants, faisant encore plus sombrer le film dans le ridicule et l’ennui le plus profond. Si la première partie pleine de fantaisie (sur le papier et non à l’écran) peinait à trouver un rythme malgré son mouvement incessant, la seconde se perd dans un trop-plein d’idées, les unes aussi vite rejetées qu’elles étaient apparues, les autres virant pour la plupart au cliché. La captation des rêves et de ses potentiels dangers, la possibilité pour les aveugles de pouvoir enfin voir les personnes qu’ils aiment et le monde qui les entoure, le probable cataclysme mondial étant sur le point de se produire... autant de thèmes qui auraient pu être passionnants mais qui nous plongent au contraire encore plus dans un océan de perplexité. Il faut dire que l’on ne s’improvise pas scénariste et que l’égérie d’alors de Wim Wenders, Solveig Dommartin, avait beau ne pas manquer d’imagination, le scénario qui découle de son histoire n’est plus qu’un informe "gloubiboulga" tarabiscoté qui part dans tous les sens sans aucune cohérence. Quant aux ¾ des tentatives humoristiques, elles ratent leur cible, la résolution de Wenders d’apporter de la légèreté à son pensum philosophique n’en restant qu’au stade de la volonté, ne se concrétisant que très rarement à l’écran.



Les comédiens et le cinéaste ne peuvent rien pour rendre ce scénario plus captivant. Les premiers, leurs personnages étant peu ou mal développés / écrits, semblent soit amorphes (Sam Neill, William Hurt) soit mauvais (Solveig Dommartin), les autres ayant l’air de se demander ce qu’ils peuvent bien faire ici (on est un peu gêné pour le couple Jeanne Moreau / Max Von Sydow) ; le second n’arrive que rarement à retrouver l’état de grâce qui présidait à nombre de ses précédents films, sa mise en scène s'avérant ici assez plate. Quant à ses intentions ? Les écrits, la poésie et l’art littéraire nous sauveraient du pouvoir malfaisant des images et de la technologie ; un message assez paradoxal pour un cinéaste, si tant est que ce soit celui qu’il ait voulu nous délivrer, car sur ce sujet non plus ce n’est pas forcément très clair. Quoi qu’il en soit, son cheval de bataille à propos de son aversion pour la télévision et certaines évolutions technologiques, il nous en a déjà parlé avec plus de subtilité auparavant. Enfin, pour ce qui est de l’émotion tant attendue (car il y avait matière au vu de l'histoire), elle se trouve également pointer aux abonnés absents car les personnages s’avèrent quasiment tous pour le moins "ectoplasmiques", le monteur ayant coupé bien trop vite à chaque fois qu'elle semblait vouloir s'installer (il fallait le faire exprès sur un film qui n'avait pourtant pas peur de s'étendre sur une très longue durée... pour quelles raisons ?!) Parmi les points positifs, outre un étonnant et passionnant soundtrack, on relève deux ou trois personnages picaresques (Chick Ortega notamment), la drôlerie de The Bounty Bear, un programme informatique créé par le détective pour retrouver les personnes recherchées, quelques images marquantes signées par le talentueux chef opérateur Robby Müller, toujours aussi doué pour photographier l’immensité des paysages à sa disposition, la vision cocasse d’un futur qui nous a désormais dépassé, des prédictions technologiques s'étant avérées assez justes notamment dans le domaine de la communication, une esthétique parfois savoureuse qui mélange ancien et moderne concernant décors et costumes, et enfin quelques rares séquences assez réussies dans la partie centrale du film.



Mais arrêtons-nous en là pour ne pas plus longuement affliger les admirateurs du film (et ils sont nombreux). Et que l’éditeur ne me tienne pas rigueur de cette critique très négative ; en acceptant de l’écrire, je pensais de bonne foi que la sincérité de Wenders (qui n’est pas à remettre en cause) arriverait à m’embarquer pour ces 4h30 de visionnage ; il n’est d'ailleurs jamais dans mes intentions d’éreinter un film pour le plaisir. Que ceux qui voudraient le découvrir n’hésitent surtout pas à le faire ; ils pourraient éprouver un ressenti totalement différent, ce film étant tout autant susceptible d’en agacer certains que d’en envouter d’autres. Naufrage ou chef-d’œuvre, le mieux est de vous faire votre propre opinion !


DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : tamasa

DATE DE SORTIE : 18 NOVEMBRE 2015

La Page du distributeur

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 27 novembre 2015