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Critique de film
Le film

Hibernatus

L'histoire

Au milieu des années soixante, une expédition scientifique découvre au pôle Nord le corps d’un homme enfoui dans les glaces depuis des décennies. Un éminent biologiste parvient à ranimer cet « hiberné », mais un psychiatre déconseille formellement d’exposer brutalement le sujet au monde contemporain ; le choc serait bien trop rude. L’État autorise donc ses descendants (biologiquement plus vieux que lui !) à l’accueillir dans leur maison (qui, de fait, est légalement toujours la sienne) à condition qu’il ait l’illusion de s’être réveillé à son époque : décor, vêtements, tout est donc refait à la mode 1900, et les descendants de l’hiberné se font passer auprès de lui pour ses ascendants. Mais une telle mise en scène ne saurait être maintenue éternellement...

Analyse et critique


Le cinéma français étant une grande famille où tout le monde aime tout le monde (les Césars n’en sont-ils pas la preuve ?), Edouard Molinaro déployait toujours des trésors de diplomatie - voire, entre autres, ses mémoires intitulés Intérieur soir - quand il lui fallait évoquer les divergences artistiques qui étaient apparues entre Louis de Funès et lui-même lors du tournage d’Oscar en 1967, et, deux ans plus tard, lors du tournage d'Hibernatus, mais on sait aujourd’hui que ces divergences étaient bien plus que des divergences. De Funès n’aimait guère ce réalisateur qui, derrière la caméra, se contentait de rire « intérieurement » de ses pitreries (Gérard Oury était nettement plus expansif...). En face, Molinaro, qui entendait construire chacun de ses films comme un ensemble et qui pensait que le comique naît avant tout d’une situation, appréciait très modérément ce comédien qui, peut-être pour se venger d’une longue période de vaches maigres et de rôles secondaires, ne cessait de se livrer à des one man shows au détriment de ses partenaires.


Les choses s’étaient donc mal passées avec Oscar. Cependant, Oscar ayant remporté un énorme succès, les deux hommes donnèrent immédiatement leur accord quand un producteur leur proposa de travailler de nouveau ensemble pour l’adaptation cinématographique d’une autre pièce de boulevard, Hibernatus. Mais avec Hibernatus ce fut pire encore. Le scénario avait connu une bonne demi-douzaine de versions avant que le tournage ne commence, mais, alors que celui-ci était largement entamé, il fallut tout arrêter pendant une semaine, Sa Majesté Louis ayant décidé que, tout bien considéré, il convenait de revenir à la première version. Sa Majesté Louis ne craignit pas non plus d’interdire certains jours l’accès du plateau au malheureux Édouard, qui se consolait en allant boire un café à la cantine du studio et qui fut très heureux de quitter le navire avant la fin du voyage - cela avait été prévu dès le départ - pour s’attaquer à Mon oncle Benjamin, projet bien plus cher à son cœur. (La majorité des scènes d’extérieurs d’Hibernatus, dont l’ouverture située au pôle Nord, ont été tournées par Pierre Cosson, réalisateur seconde équipe.)


Hibernatus attira les foules. C’était l’époque des Fantômas et des Gendarme - époque où, pour reprendre une formule alors employée par un exploitant, « de Funès écrasait Bond ». Reste à savoir si, un demi-siècle plus tard, Hibernatus, le film, est aussi bien conservé que son héros et s’il fait encore rire un spectateur de bonne foi, autrement dit ne se situant ni dans le clan des inconditionnels de de Funès, ni dans celui des allergiques.

Édouard Molinaro faisait justement remarquer que - abstraction faite du gentlemen’s disagreement que nous venons d’évoquer - il y avait dès le départ une fausse note dans la partition qu’on lui avait soumise : le public qui lit sur une affiche le nom de Louis de Funès et le titre Hibernatus s’attend spontanément à voir de Funès dans le rôle de l’hiberné. Grosse erreur. On dira qu’on avait déjà le même cas de figure avec Oscar, mais le personnage d’Oscar était en quelque sorte l’Arlésienne de l’histoire et ne faisait qu’une apparition éclair in extremis. L’hiberné, en revanche, est bien le personnage central d’Hibernatus, celui autour duquel s’organisent toutes les stratégies des autres personnages, mais, paradoxalement, nous n’avons pratiquement jamais l’occasion de partager son point de vue.


Il ne s’agit pas seulement ici de marketing primaire, d’étiquette sur le flacon. Il s’agit de la figure comique qu’était l’acteur de Funès. Figure tout entière construite sur le principe d’un autoritarisme sans véritable autorité (dans Le Corniaud, par exemple, le plus corniaud des deux n’était pas forcément Bourvil...). Cette contradiction, qui faisait de lui un méchant sympathique, existe bien dans Hibernatus : Hubert Barrère de Tartas (de Funès) est PDG d’une société, mais son pouvoir est de fait extrêmement limité puisque l’actionnaire principal de la société en question n’est autre que sa femme (Claude Gensac, who else ?). Conflit donc il y a, mais à l’intérieur d’une intrigue au fond secondaire, l’hiberné n’intervenant jamais directement dans le déroulement des événements (si ce n’est pour embrasser les jeunes filles qu’il croise) et ne découvrant qu’à la fin - dans un dernier acte outrageusement bâclé - son statut de Belle au bois dormant reprenant vie dans une réalité qui n’est en fait qu’une mise en scène, qu’un décor. Sur le même thème, Good Bye Lenin ! était tout à la fois plus drôle et plus profond.


Il est toujours très vain de reprocher à un livre ou à un film de ne pas être autre chose que ce qu’il est, et l’on devra de toute façon reconnaître à Hibernatus le charme du théâtre dans le théâtre, tout le monde se déguisant et s’appliquant à jouer un rôle pour ne pas traumatiser l’hiberné, mais le théâtre dans le théâtre n’est véritablement intéressant que lorsqu’il permet de révéler, dans un personnage ou dans une société, une vérité jusque-là cachée. Rien de tel ici.

Et c’est dommage. Le sujet permettait une transposition moderne des Lettres persanes, dans laquelle nous aurions découvert le monde contemporain, notre monde, à travers les yeux d’un voyageur venu d’un autre temps et non plus à travers ceux de deux voyageurs venus d’un autre lieu. C’est là que les grimaces d’étonnement et de terreur de de Funès auraient fait merveille. Elles trouvèrent leur vraie place quatre ans plus tard avec Les Aventures de Rabbi Jacob.

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La fiche IMDb du film

Par Frédéric Albert Lévy - le 19 juillet 2021