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Critique de film
Le film
Affiche du film

Henry V

L'histoire

1414. Le Roi Henry V d'Angleterre décide de faire valoir ses droits à la couronne de France. Il décide alors de mener une bataille contre la France. En cours de route, le jeune roi doit se battre contre la baisse de morale de ses troupes et vaincre ses propres doutes. Une fois sur le sol français, les troupes anglaises progressent sans rencontrer de grande résistance et assiègent bientôt Harfleur...

Analyse et critique

C'est comme une forme de symbole, en cette année 1989 où allait nous quitter Laurence Olivier émergeait à la face du monde (puisque déjà révélé dans le milieu du théâtre anglais) avec ce Henry V un immense talent qu'on allait (et qui se rêvait tel quel également) rapidement désigner comme son plus digne successeur. Les similitudes s'affirmaient d'emblée puisque la première réalisation d'Olivier fut également une adaptation de Henry V en 1944 et que, comme son modèle, Kenneth Branagh allait par la suite porter haut l'étendard shakespearien durant toute sa carrière. Chacune des adaptations shakespearienne de Branagh porte la marque de son auteur, que ce soit son goût pour le rococo (la Toscane de Beaucoup de bruit pour rien (1993), certains décors de Hamlet (1996), tout As You Like It (2006)), la grandiloquence et l'emphase assumées, les transposition dans des cadres et des ton inattendus (l'irrésistible comédie musicale de Peines d'amour perdues (2000), le Japon du XIXe de As You Like it) et un respect de Shakespeare qui tient autant du verbe que du ton selon l'angle souhaité. On retrouve déjà un peu de tout cela dans ce premier essai, plus ou moins affirmé. Malgré les inévitables coupes nécessaires (on n'a pas encore la marge pour s'aventurer aux quatre heures à la virgule près de Hamlet), la trame de la pièce est parfaitement respectée ; et paradoxalement c'est par les modifications et les ajouts que l'esprit shakespearien se trouve transcendé par Branagh. Henry V concluait dans l'oeuvre de Shakespeare une tétralogie historique entamée avec Richard II et les deux parties de Henry IV.

Branagh inclut donc tout naturellement des éléments de ces deux opus dans Henry V, donnant à son héros la profondeur que les coupes auraient pu atténuer. Le flash-back dans lequel Henry désavoue Falstaff est issu de Henry IV (le personnage de Falstaff étant absent de Henry V) et affirme ainsi le renoncement du futur souverain à ses compagnons de débauche pour prendre la mesure de sa stature à venir. Plus subtilement et pour exprimer la même idée, une phrase de Falstaff - « Do not, when thou art King, hang a thief » - est attribuée au personnage de Bardolph en flash-back pour appuyer le difficile sacrifice du présent où, coupable d'avoir dévalisé une église, il est pendu à contrecoeur par Henry soucieux de faire un exemple devant ses hommes. La plus grande qualité du film est cependant de réussir à apporter une ampleur toute cinématographique tout en ne perdant jamais de vue l'origine théâtrale de l'oeuvre. La scène d'ouverture fait figure de note d'intention. Derek Jacobi, narrateur, traverse un décor de cinéma contemporain (on voit même des projecteurs et une caméra en arrière-plan), déclamant comme sa prose sera peu apte à retranscrire les hauts faits à venir et, arrivant au bout de l'espace, ouvrant une immense porte dans laquelle on s'engouffre dans un ample mouvement de caméra et figurant bien sûr des rideaux de théâtre et le début du récit. Avec pareil entame, Branagh s'absout de tout reproche de non respect d'une quelconque réalité, il ne met pas en scène un film historique mais sa vision du Henry V de Shakespeare. Dès lors, cette grandiloquence qui lui va si bien brille de mille feux tout au long du film. La première apparition toute théâtrale de Henry dégage une rare puissance, simple ombre majestueuse s'avançant dans l'embrasure d'une porte immense.

Branagh adopte en quelque sorte le parti pris de John Boorman dans son Excalibur (1981), celui de jouer sur le pouvoir d'évocation et de la légende plutôt que sur le réalisme. C'est très certainement une question de manque de moyens, mais ce plan de Henry dressé sur son cheval entouré de flammes et haranguant ses troupes durant le siège de Harfleur a plus de souffle que tout les figurants numériques du monde. De même, la déséquilibrée bataille d'Azincourt entre Anglais et Français, où on a bien du mal a distinguer les dix mille combattants dont on nous parle, atteint des sommets épiques par la simple puissance que Branagh parvient à conférer à la hargne désespérée de ses Anglais donnés perdant à coup sûr et qui sortiront pourtant vainqueurs. Dernier très grand atout : la capacité de Kenneth Branagh à élever au firmament toute la puissance du verbe de Shakespeare par sa mise en scène et sa direction d'acteurs. Les échanges belliqueux par messagers interposés entre le Roi de France et Henry sont d'emblée chargés d'électricité par le jeu fier et fragile à la fois de Branagh, parfait et déjà récompensé pour son interprétation du rôle sur scène.

Magnifique moment également lors de la veillée d'armes, où Henry parcourant anonymement ses troupes constate comme leur moral est au plus bas, l'espace se fait cette fois volontairement plus théâtral pour capter cette intimité. La photo de Kenneth MacMillan assombrit de manière totalement artificielle le décor naturel rendu factice, comme une scène de théâtre où Henry se retrouve seul et en proie au doute. Pour sa première expérience au cinéma (et sa première collaboration avec Branagh, qui lui aura donc donné sa chance), Patrick Doyle délivre un score d'une formidable puissance romanesque et épique qui, associé à la virtuosité du réalisateur, fait passer un sacré frisson lors du discours exalté de Henry qui réveille ses troupes avant la décisive bataille d'Azincourt. Et parfois même les mots sont inutiles lorsque la douleur des pertes vient atténuer la joie de la victoire, avec ce long travelling accompagnant Henry qui transporte le jeune page mort (joué par Christian Bale adolescent) jusqu'à un chariot. Et après plus de deux heures d'oppressante atmosphère médiévale guerrière, le marivaudage franco-anglais irrésistible entre Branagh et Emma Thompson amène une légèreté et un romantisme bienvenus qui nous prépare à la bulle de savon euphorisante que constituera Beaucoup de bruit pour rien. Bien loin du galop d'essai, c'est déjà un grand film que nous offrait là Kenneth Branagh avec cette entrée en matière.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 23 avril 2021