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Critique de film
Le film
Affiche du film

Foix

Analyse et critique

C'est en 1973 que Luc Moullet fait la découverte de Foix, ville qui saute à ses yeux comme étant la plus ringarde de France. Pendant les vingt années suivantes, il garde en tête ces images de Foix qui ont impressionné sa rétine de manière indélébile, cherchant si chaque nouvelle ville qu'il visite peut, même de loin, rivaliser avec ce parangon de ringardise. Au bout de ces longues années de recherche assidue, il ne peut que conclure que Foix reste indétrônable. Désirant réaliser son hommage à la ville, il y retourne en 1994 et constate que rien n'a changé depuis cette année 73. Heureux cinéaste qui va enfin pouvoir imprimer sur pellicule ces images qui le hantent depuis deux décennies...

Le principe du film est des plus simples, avec des images qui viennent contredire un discours touristique décliné imperturbablement en voix off. Le portrait est accablant. La ville est construite n'importe comment, sans aucune vue d'ensemble urbanistique, tout est empilé à la va-comme-je-te-pousse, en dépit du bon sens et bien sûr sans aucune recherche d'esthétisme. D'improbables compositions florales, des canaux inutilement tarabiscotés, des enseignes vétustes (lorsqu'il y en a, Moullet débusquant même un commerce vierge de toute inscription !) plaquées sur des façades abominables, des bâtiments d'une incommensurable laideur, des statues modernes d'une incommensurable laideur qui poussent comme des champignons... Rien n'est pensé, tout se mêle dans un fatras délirant que Moullet  résume en ces termes : « La politique de l'urbanisme se fonde sur le mélange, figure mère de l'art néo foixéen. »

Moullet s'amuse à traquer les détails délirants et le film est une succession d'instantanés de l'absurde : un lycée dans lequel on pénètre en passant par l'hôpital ; un homme qui doit enjamber un mur pour atteindre la première marche de l'escalier menant à sa maison ; une fontaine installée au milieu d'une route et écrasée par les voitures ; la maison de la culture coincée entre la prison et le cimetière... Moullet assure pourtant n'avoir pas choisi le pire, mais bien d'avoir dressé un portrait fidèle de la ville. Pour montrer que le comique de Foix naît naturellement et n'est pas l'effet d'un regard décalé et orienté que le cinéaste porterait sur elle (ce dont on doutera bien sûr, mais jouons le jeu...), Moullet décide de céder pour une fois sa place pour la voix off, considérant qu'elle est trop marquée, trop peu traditionnelle et qu'une voix de speaker typique servirait bien mieux le projet.

Luc Moullet manie si bien l'art du décalage qu'il désarçonne toujours le spectateur. Même si l'on est familier de son cinéma, on ne peut avoir de longueur d'avance sur le déroulement de ses films et l'on reste constamment surpris par la manière dont ils se déploient. Cette méthode fonctionne même dans quelque chose a priori d'aussi balisée que la visite touristique d'une ville et Foix est un admirable exemple de cet art de l'absurde que Moullet peaufine de film en film. Jusqu'au générique de fin où défilent les remerciements à la ville et aux commerçants, ultime pied de nez concocté par notre facétieux réalisateur qui durant le tournage a sollicité les boutiques et la mairie pour obtenir de menues choses... et ce uniquement pour pouvoir les citer dans ses remerciements !

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 16 janvier 2014