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Critique de film
Le film
Affiche du film

Eugenio

(Voltati Eugenio)

L'histoire

Eugenio, dix ans, vit chez ses grands-parents depuis la séparation de ses parents. Il est confié à un ami du couple qui doit le ramener à son père, avec qui il doit partir à Londres. Sur la route de l'aéroport, il ne cesse d'agacer le conducteur. Excédé, ce dernier l'abandonne au bord de la route. La police est alertée et, durant les recherches, les parents d'Eugenio revivent leur passé, prenant alors conscience qu'ils n'ont jamais été de vrais parents pour leur fils...

Analyse et critique


Eugenio constitue pour Luigi Comencini une nouvelle variation plus méconnue de son thème fétiche de l’enfance. Dans le bouleversant L’Incompris (1967), les tourments de l’enfant venaient, comme son titre l’indique, de l’incompréhension de son père à gérer la perte récente de sa mère. Le plus caustique Casanova, un adolescent à Venise (1969) montrait l’innocence de l’enfant pervertie par un environnement corrompu, façonnant le séducteur le plus impitoyable de son temps. Enfin Les Aventures de Pinocchio (1972) était un conte moral où entre laxisme bienveillant de Gepetto, sévérité de la fée bleue et tentations diverses, le modèle à suivre restait confus pour le pantin de bois aspirant à être un vrai petit garçon. Chacun des films montrait un dialogue complexe entre le monde des adultes et l’enfant qui conduisait au drame. Cependant, toutes ces œuvres mettaient l’adulte dans l’erreur par une volonté sincère de s’occuper de l’enfant. Eugenio, par son cadre plus contemporain et réaliste, fait un constat bien plus cruel avec l’enfant comme véritable fardeau pour l’épanouissement des adultes. La scène d’ouverture donne le ton, lorsqu’un ami de la famille ramenant en voiture le jeune Eugenio (Francesco Bonelli) à son père, agacé par le comportant du petit garçon, l’abandonne tout simplement sur une route de campagne et poursuit son chemin. Tout le film est là : plutôt que de raisonner, éduquer l'enfant, on s'en débarrasse. Alerté de sa disparition, son père Giancarlo (Saverio Marconi) se lance à sa recherche tout en prévenant Fernanda (Dalila Di Lazzaro), son ex-compagne dont il est séparé, mais également les grands-parents. La culpabilité le ronge tout au long de cette recherche car il sait bien que ce qui a permis ce geste absurde et irresponsable, c’est le réel abandon dans lequel a grandi Eugenio. La narration entrecoupée de flashbacks nous fait ainsi parcourir les circonstances qui ont amené l’enfant à un tel désœuvrement. A la fin des années 60, Giancorlo et Fernanda sont un jeune couple d’activistes qui deviennent parents par accident. Une circonstance banale mais qui se prête bien mal à l’époque prônant l’hédonisme, la révolution, et bien peu adaptée à l’éducation d’un enfant synonyme de carcan familial aux antipodes de l’idéal libertaire.

Comencini filme ainsi des situations absurdes mais témoignant de l’immaturité du couple qui embarqué dans une dispute descend d’un train en y oubliant leur nourrisson... Désormais un garçon de dix ans, Eugenio, sera au gré des disponibilités et des réconciliations ponctuelles balloté entre ses deux parents ou ses grands-parents. La sensibilité à fleur de peau du héros de L’Incompris, l’innocence du jeune Casanova ou la crédulité de Pinocchio en faisaient des enfants de leurs âges, frappés par les épreuves qu’ils traversaient. Eugenio laisse ici éclater ses émotions au gré des trahisons constantes de ses parents - le mensonge sur l'Espagne, la manière dont il les dérange dans la nuit pour être sûr qu'ils sont toujours là -, mais au fil du récit arbore la désinvolture et la lassitude amère de celui qui n’attend plus rien. Une des dernières scènes marque par son naturel cruel dans laquelle Eugenio, après une énième dispute entre ses parents, va spontanément préparer ses valises car il sait que cela entraînera un déménagement de plus pour lui. Comencini ne fait pas des parents des indifférents sans cœur, mais de simples reflets de leur époque. Les aspirations artistiques, l’activisme politique et la liberté sexuelle en font une génération plus libre mais pas préparée à l’éducation d’un enfant. Malgré toute leur bonne volonté, celui-ci restera toujours un objet encombrant - un dialogue cinglant d’un personnage annexe le souligne - qui les empêche de s’accomplir et qu’ils se repassent au gré de leur culpabilité ou d'un sursaut d’affection. Eugenio le ressent et le jeune acteur excelle à exprimer une mélancolie ordinaire où la fougue enfantine s’estompe progressivement. Comencini n’est cependant jamais moralisateur et fustige le fameux modèle familial italien machiste, une tentative d’existence plus classique qui explosera en plein vol quand Fernanda comprendra qu’elle se retrouve désormais réduite à la ménagère servile à qui l’on offre des appareils ménagers à Noël.


Coincée entre une tradition étouffante et une modernité immature, l’Italie fait un terrible constat d’impasse tout au long du récit. Les personnages des grands-parents (dont un excellent et sensible Bernard Blier) semblent s’être pliés plus qu’avoir apprécié ce modèle traditionnel et seront incapables de raisonner leurs enfants qui rejettent ce schéma étouffant. C’est sans doute le film le plus amer de Luigi Comencini sur le sujet car pas baigné de l’exaltation de ton des oeuvres précédentes (dans le mélodrame, la comédie caustique et historique ou le récit d’initiation) et offrant la simple chronique ordinaire d’un abandon, d’une solitude. Le leitmotiv musical de Romano Checcacci, aux paroles légères et désabusées, souligne bien la conscience qu'a  Eugenio de l'indifférence qu'il suscite dans le final poignant de simplicité.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 24 juin 2016