
L'histoire
Johnny Dalton (Frank Sinatra) est employé dans une banque. Avec son modeste revenu, notre héros a du mal à envisager l’avenir et notamment un mariage avec sa collègue et fiancée, Mildred Goodhue (Jane Russell). Suite à un quiproquo, Johnny sauve un caïd de la pègre qui le récompense en lui faisant gagner 60 000 dollars aux courses ! Ce jour là, le patron de Johnny annonce qu’un des employés a volé plusieurs milliers de dollars dans les coffres. Afin d’éviter tous soupçons à son encontre, Johnny demande à son ami Emile (Groucho Marx) de prendre en charge la somme gagnée aux courses avec la plus grande discrétion…
Analyse et critique

Malheureusement, Howard Hughes (qui dirige alors le studio) saborde le projet en repoussant sa sortie de trois ans. Renommé Double Dynamite, le film sort sur les écrans en 1951 sans véritable promotion. Par ailleurs, le nabab ‘aviateur’ impose que le nom de Sinatra n’apparaisse qu’en troisième position sur l’affiche et au générique et ceci malgré l’immense popularité du chanteur à cette époque. Au terme de ces manigances, le film est un énorme échec au box-office. A la question de savoir quelles étaient les motivations de Hughes, nul n’est véritablement capable de répondre. D’après les éléments réunis par Anthony Summers dans sa biographie du crooner (1), Sinatra était au cœur d’une discorde avec le producteur : les deux hommes étaient certainement les deux plus grands coureurs de jupons qu’Hollywood ait connus à cette époque. Il est donc fort probable que Jane Russell ou une autre starlette fut à l’origine de la vindicte orchestrée par Hughes !
Double Dynamite recèle pourtant quelques qualités que ses déboires commerciaux ne devraient pas occulter. Notons d’abord, qu’il s’agit du dernier film réalisé par Irving Cummings. Véritable pionnier d’Hollywood, Cummings a démarré sa carrière au début du 20ème siècle sur les planches de Broadway. En 1909, il s’oriente vers l’industrie naissante du cinéma et tourne sous la direction de Cecil B DeMille ou Buster Keaton. Quelques années plus tard, il devient scénariste, producteur puis réalisateur et consacre l’essentiel de son œuvre à des films d’actions ou des comédies. Si Cummings n’a pas laissé le moindre chef d’œuvre à la postérité, il n’en demeure pas moins un excellent artisan de l’usine à rêve. En 1929, il est nommé pour l’Oscar du meilleur réalisateur pour Old Arizona, un western grâce auquel Warner Baxter remporte la statuette. Il rencontre également quelques succès dans les années 30 en mettant en scène des comédies musicales en technicolor parmi lesquelles Poor Little Rich Girl (1936), Curly Top (1935) avec la toute jeune Shirley Temple. Pour l’anecdote rappelons également qu’il réunit le couple des Chemins de la gloire (Howard Hawks, 1936), June Lang et Warner Baxter, dans White Hunter en 1936. Fort de son expérience, le studio lui confie alors la réalisation de Double Dynamite. S’il ne révolutionne pas la comédie, Cummings fait néanmoins preuve d’un indéniable savoir-faire. Les scènes de comédies sont bien menées et souvent efficaces notamment grâce à un rythme soutenu des dialogues. Aucune digression ne vient rompre la dramaturgie et l’ensemble est d’une légèreté que l’on pourrait qualifier d’agréable. Certes, on est loin du rythme et des thématiques développés par un Hawks, de la truculence d’un Lubitsch ou de la finesse d’un Cukor, mais le film n’en demeure pas moins plaisant si on le compare à du Garson Kanin ou du HC Potter !
Côté casting, Double Dynamite est indéniablement une rareté. En réunissant un trio de comédiens aussi bigarré qu’un chanteur pour midinettes (2), un ‘sex symbol’ et un maître comique le film contient les ingrédients d’un cocktail pour le moins explosif ! A l’époque, Sinatra est alors l’un des acteurs les mieux payés d’Hollywood. Sous contrat avec la MGM, il est prêté à la RKO pour un rôle de prêtre dans Le Miracle des Cloches puis dans Double Dynamite. Si les deux films sont des échecs et marquent une traversée du désert dans son ascension fulgurante vers le succès, il n’en demeure pas moins que le comédien laisse son charme opérer et fait une nouvelle fois preuve de charisme. Pourtant son personnage est en totale inadéquation avec sa personnalité : pingre, froussard, peu intéressé par la gente féminine, Johnny Dalton est un monsieur tout le monde pour le moins austère. Néanmoins Sinatra semble se glisser dans sa peau sans la moindre difficulté. Certes, il est bien loin des interprétations qu’il signera chez Preminger (L’homme au bras d’or) ou Fred Zinnemann (Tant qu’il y aura des hommes) mais sa ‘coolitude’ opère et continue de séduire.

Le troisième Marx Brothers joue ici le rôle d’Emile J. Keck, un ami de Johnny Dalton pour le moins extravagant. Avec ses célèbres coups d’œil, ses jeux de mots tordants et son humour absurde, il apporte une touche de folie au film qu’on aurait peut-être aimé voir développée d’avantage…
Une mise en scène solide, associée à un trio de comédiens talentueux ne peuvent pourtant prétendre à une réussite totale sans un scénario millimétré. C’est certainement là que le bât blesse dans Double Dynamite. En racontant l’histoire d’un employé de banque chanceux et obligé de cacher sa fortune sous peine de passer pour un voleur, le récit devient rapidement répétitif. L’intrigue avance lentement mais grâce à la présence des trois comédiens et la rigueur de la mise en scène de Cummings, le spectateur échappe heureusement à l’ennui.

Enfin, il est regrettable que Double Dynamite n’ait pas mis plus en avant les talents de chants de ses comédiens. Deux titres sont offerts au spectateur : d’une part, un duo composé de Sinatra et Groucho (It’s Only Money) et d’autre part un merveilleux morceau que Sinatra partage avec Russell (Kisses and Tears) tous deux écrits par Jule Styne et Sammy Kahn. Les trois scènes ‘musicales’ (It’s Only Money est repris deux fois) sont de purs petits bijoux et justifient à elles-seules de découvrir Double Dynamite. L’édition du film dans la collection DVD RKO permettra aux admirateurs de Sinatra, Russell ou Groucho de redonner une chance à cette comédie qui, malgré le manque d’originalité et de richesse de son scénario, se déguste avec beaucoup de plaisir !
(1) cf. Sinatra sa vie (A. Summers, Editions Denoel)
(2) Précisons qu’à la fin des années 40 Sinatra n’est pas encore reconnu comme un immense artiste. Son public est essentiellement composé de jeunes filles.