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Critique de film
Le film
Affiche du film

Deux Héros

(Fang Shiyu yu Hong Xiguan)

L'histoire

Le monastère Shaolin a été incendié par les Mandchous et ses jeunes élèves, pour la plupart, ont été assassinés. Quelques survivants sont parvenus à échapper à la folie meurtrière de la puissance occupante et sont chassés sans relâche par leurs bourreaux. L’un de ces disciples, le valeureux et redouté combattant Hung Hsi Kuan, blessé à la jambe, tente de regagner Kwantung, point de ralliement pour les moines Shaolin. Les chefs mandchous réussissent à tromper le jeune et puissant disciple Shaolin Fang Shi Yu, en lui faisant croire que Hung est un dangereux criminel en fuite. Grâce à son aide, ils parviennent à l’attraper pour le livrer au général Che. Vilipendé par ses congénères, Fang Shi Yu se rend compte du stratagème dont il a été la victime et décide d’aller secourir son frère d’armes prisonnier des chefs mandchous.

Analyse et critique

Cinéaste prolifique et fortement inspiré dans cette période des années 1960 / 1970, Chang Cheh conclut une année 1973 particulièrement chargée en réalisations avec 2 Héros. A cette époque, le Kung Fu Pian devient le genre le plus prisé des spectateurs de Hong Kong. Le film conjugue sur une mode minimal les apports personnels du réalisateur au Wu Xia Pian, les nécessités de style du Kung Fu Pian et l’art Shaolin que Chang Cheh aborde pour la première fois. 2 Héros met en présence une figure légendaire du Kung Fu Shaolin, Hung Hsi Kuan, expert dans la technique du " Point Hung " (une démonstration de son art est disponible dans l’un des bonus du DVD). Pour l’incarner à l’écran, Chang Cheh fait appel à Chen Kuan Tai qu’il avait révélé dans Le Justicier de Shanghai (1972). Face à lui, il oppose le jeune comédien Alexander Fu Sheng dont la grâce, l’insouciance et la bonne humeur prennent le contre-pied de la rudesse et de la sauvagerie exprimées par Chen Kuan Tai. Le charisme des deux acteurs fait merveille à l’écran, surtout celui d'Alexander Fu Sheng qui connaîtra une carrière fulgurante, mais hélas très courte, car il mourra à l'âge de trente ans dans un accident de voiture. Si les deux personnages pratiquent le même art martial, leurs différences de caractère vont considérablement enrichir leur rivalité temporaire. Ce qui ne sera pas du luxe pour un film malheureusement un peu trop répétitif dans sa narration.

En effet, et conformément aux exigences du genre, l’action règne en maître dans 2 Héros. Pour le plus grand bonheur du cinéphile amateur de sensations fortes, cela va s’en dire. Le problème réside dans le fait que tout le reste est quasiment évacué. Chang Cheh avait déjà traité de l’occupation de la Chine par les Mandchous dans des films précédents comme Frères de sang (1973). Il ne s’en préoccupe plus trop ici. De même, en tant que metteur en scène et esthète, il avait déjà révolutionné le genre du film de sabre à maintes reprises et il n’entend manifestement pas poursuivre une telle tâche. Enfin, conformément à ses habitudes, il réserve au seul personnage féminin de son film un rôle extrêmement réduit (le romantisme sombre du Retour de l’Hirondelle d’or n’est même plus de mise ici). Dramatiquement parlant, Chang Cheh se concentre donc principalement (oserions-nous dire exclusivement) sur la relation unissant ses deux héros magnifiques. D’abord ennemis, puis partenaires et frères, ils illustrent les thématiques de l’honneur, de la loyauté et de l’amitié virile chères au réalisateur. On mesure ici à quel point l’influence qu’a pu avoir Chang Cheh, et ce film en particulier, sur un cinéaste comme John Woo (les personnages frères / ennemis de The Killer ou d’A toute épreuve ne sont pas loin). La mythologie des héros, leur glorification - au risque même de se ridiculiser dans l’écriture du scénario, Fang Shi Yu creusant en deux jours un tunnel de taille équivalente à celui que Richard Attenborough avait fait creuser par ses soldats prisonniers en deux ans dans La Grande évasion - et le sentiment fraternel qui les réunit dans l’adversité font tout le sel de cette œuvre coup-de-poing, au premier degré du terme (Chang Cheh ne se sent visiblement pas concerné par la philosophie Shaolin, l’incendie du temple enterrant toute velléité de s’appesantir sur son mode de pensée et d’enseignement).

La chorégraphie des combats a été confiée au duo composé par Tang Chia et Liu Chia Liang (futur réalisateur de La 36ème chambre de Shaolin en 1978), formidable paire d’artistes martiaux qui prennent un vrai plaisir à créer une gestuelle précise, élégante, esthétique et percutante basée sur le monde animal pour honorer l’art dont il se font les hérauts. La guerre que se livrent Chinois et Mandchous ne s’inscrit pas seulement dans une opposition nationaliste mais également dans une opposition de styles de combat. C’est une approche récurrente de ce genre de film, dans lequel les techniques de combat et les principes de vie tracent des frontières entre les différents clans et nationalités. La longue et intense séquence finale en est une parfaite illustration. De son côté, Chang Cheh se désintéresse quasi-totalement de la création et de la préparation des combats ; seules l’intéressent la violence, la cruauté et l’inscription des personnages dans l’espace que sa mise en scène va magnifier. Les coups sont mortels et le sang gicle. Dans le domaine de la réalisation tout est permis, même si l’on pourra regretter de ne pas trouver ici les travellings latéraux impressionnants dont a pu faire preuve le réalisateur dans le Wu Xia Pian des années précédentes.

Le spectateur occidental peu habitué aux films de Kung Fu devra se retourner vers le western italien s’il veut chercher des points de comparaison. Le style de mise en scène est complètement décomplexé et se permet toutes les audaces avec des techniques de prises de vues dont on fait usage avec parcimonie dans des cinématographies qui nous sont plus familières. Et cela, même si 2 Héros est un film qui se prête finalement moins que d’autres à ce genre de bravoure visuelle. Les zooms, avant ou arrière, qui accompagnent les coups ou soutiennent les regards, amplifient démesurément la violence exacerbée par Chang Cheh. De même, les ralentis et les cadrages obliques, quoique ici bien peu nombreux, participent de la glorification de ces moines soldats qui se livrent sans retenue à des combats à mort. Le filtre rouge utilisé lors des plans les plus sanglants inscrit ces moments dans une sorte d’espace-temps suspendu, même si la raison première de cet artifice relève d’une volonté d’amenuiser la violence graphique de ces images (Quentin Tarantino saura s’en souvenir avec Kill Bill et sa scène en noir et blanc). Afin de valoriser le travail de Liu Chia Liang et l’adresse des nombreux comédiens, la priorité est néanmoins donnée aux plans larges dans lesquels les mouvements sont parfaitement détaillés. La précision et la beauté de la chorégraphie, qui s’apparente à un vrai ballet, associées à la violence de la mise en scène de Chang Cheh, constituent la richesse première d’une œuvre telle que ce 2 Héros qui s’achève dans une séquence de Kung Fu monumentale dans laquelle s’affrontent une cohorte de combattants déchaînés. 2 Héros est un œuvre particulièrement plaisante pour l’amateur de ce type de films d’action hongkongais. Le néophyte, lui, aura sans doute plus de difficultés pour entrer dans cet univers devant la minceur des enjeux narratifs et l’aspect répétitif des combats. Pour découvrir la richesse des films de Chang Cheh, on ne saurait donc trop lui conseiller de commencer par des œuvres plus ambitieuses au niveau thématique et esthétique, comme Le Trio magnifique (1966), Le Retour de l’Hirondelle d’or (1968), Heroic Ones ou La Rage du Tigre (1971).

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 17 novembre 2004