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Critique de film
Le film
Affiche du film

Batman

(Batman : The Movie)

L'histoire

Un yacht faisant route en pleine mer transporte une invention révolutionnaire. Après avoir reçu un message affirmant que le navire et son capitaine courent un grave danger, les intrépides Bruce Wayne et Dick Grayson s'empressent d'enfiler leur tenue de super-héros. Ainsi Batman et son fidèle protégé Robin se lancent fièrement dans une nouvelle aventure à bord de la Batmobile. Alors qu'ils survolent le yacht dans leur Batcopter, afin de permettre à Batman de monter à son bord, l'embarcation disparaît comme par magie et le justicier doit se défaire d'un requin portant une bombe. Batman comprend vite qu'ils ont été victimes d'un guet-apens. Les auteurs du forfait ne sont plus longtemps un mystère, quatre super-criminels ont uni leurs forces pour s'emparer de l'invention dévastatrice et parvenir à leurs fins : le Pingouin, le Joker, le Sphinx et Catwoman. Parallèlement à son enquête, Batman / Bruce Wayne tombe sous le charme d'une très belle et mystérieuse journaliste russe qui n'est autre que l'une de ses ennemis jurés, la dangereuse femme-chat...

Analyse et critique

« Pow ! » ; « Zok ! » ; « Biff ! » ; « Blap ! » ; « Whap ! » Ce festival sonore d'onomatopées reconnaissable entre mille ne manquera pas d'évoquer pour les plus âgés d'entre nous (pas nécessairement les sexagénaires, merci les rediffusions) une après-midi pluvieuse devant son poste de télévision à rire de situations cocasses et/ou ridicules développées par une série télévisée vintage colorée à la truelle, en excusant au passage - entre deux prises de bonbons - les auteurs de cette œuvre d'avoir montré son super-héros préféré sous un jour in fine peu glorieux. Il fallait tout de même une certaine dose d'indulgence, surtout pour des gamins des années 70 et 80 biberonnés aux comics sombres et névrosés, pour apprécier une vision aussi naïve, légère et parodique du Caped Crusader. La nostalgie étant très souvent de nature à lisser nos souvenirs ouatés et à nous faire retenir que les moments les plus agréables associés à des conditions de visionnage confortables, on se laisserait bien emportés une énième fois par ce spectacle farfelu et dérisoire que proposait ce Batman kitsch produit par le grand network ABC.

Sauf que le temps où les amateurs de comics s'impatientaient de voir un jour au moins un ou deux super-héros sortir des cases des bandes dessinées pour virevolter sur petit ou grand écran - et donc se jeter goulument sur la première adaptation venue, on en revient au sentiment d'indulgence exprimé ci-dessus - est bel et bien révolu. Quel intérêt peut bien susciter aujourd'hui la vision du Batman de 1966 à une époque qui voit le cinéma hollywoodien régulièrement envahi par les super-héros et leurs exploits physiques démentiels, et au sein duquel l'empire Marvel dicte sa loi économique ? D'autant plus que l'approche thématique actuelle est à mille lieues de la fantaisie "camp" de la série des années 60. Plus proches dans l'esprit des œuvres sur papier, les films des années 2000 et 2010 versent dans un pessimisme typique de nos sociétés occidentales minées par la crise sociale et économique et la perte de valeurs et d'identités, tout en explorant la psyché déviante et les traumatismes originels de tous ses personnages (les "bons" comme les "méchants"), sans évidemment oublier d'offrir un spectacle pyrotechnique de nature quasi orgasmique. On évitera ici d'ouvrir le débat sur les conséquences négatives d'une telle omniprésence sur la qualité moyenne du cinéma hollywoodien contemporain, ce n'est pas le sujet de cette chronique même s'il y aurait beaucoup à en dire. Force est tout de même de constater, pour les amateurs de comics (dont l'auteur de cet article), que nos vieux rêves de transposition cinématographique ont été formidablement accomplis grâce à la révolution numérique qui fit entrer les effets spéciaux dans un nouvel âge. Depuis Blade (1998) de Stephen Norrington et surtout X-Men (2000) de Bryan Singer et Spiderman (2002) de Sam Raimi, la crainte du ridicule n'a plus lieu d'être et nombre de réalisateurs plus ou moins inspirés ont pris le genre très au sérieux.

Et pour ce qui est du sérieux, on peut affirmer sans exagération que la figure du justicier ailé a été soumise récemment à une cure de gravité et de noirceur - voire de pesanteur avec le dernier volet - sans précédent au cinéma avec la trilogie The Dark Knight réalisée par Christopher Nolan, librement inspirée des bandes dessinées noires comme l'ébène de Frank Miller. Le personnage de Batman appartient comme Superman à l'univers DC Comics, dont la ligne éditoriale n'a jamais été aussi organisée et cohérente dans ses ramifications que celle - foisonnante - de Marvel. Ainsi, tout au long de son histoire, le personnage a connu nombre de développements narratifs contradictoires (entre différentes veines sombres et paranoïaques et des approches décalées virant franchement à la mièvrerie ou la parodie). Batman est apparu sous le crayon de Bob Kane en mai 1939 pour la publication Detective Comics spécialisée dans les récits mettant en scène des justiciers. L'univers urbain décrit est angoissant, contaminé par les agissements de criminels violents ou de monstres cauchemardesques. Quelques mois plus tard, secondé par le scénariste Bill Finger, Kane développe la double nature Bruce Wayne / Batman et raconte le trauma originel du héros (l'assassinat de ses parents). Le mythe était né et se développera formidablement dans les années 1940 pour atteindre un premier âge d'or - avec l'apparition de Robin, du majordome Alfred, de super-vilains caractéristiques (Catwoman, le Joker, le Pingouin), et la création de la Batcave et de nombreuses armes et accessoires.

Le succès est tel que le cinéma logiquement s'intéresse au personnage, la Columbia produira ainsi deux serials au cours de cette décennie qui ne resteront certes pas (et avec raison) dans les mémoires en raison de leur amateurisme. Mais la fête sera réellement finie au cours des années 1950 à mesure que la noirceur quittera l'univers de Batman, notamment sous les coups de boutoir de la censure via le Comics Code Authority mis en place par le Sénat américain pour contrôler les débordements de violence jugés pernicieux et incitatifs de la part des bandes dessinées pour la jeunesse de l'Oncle Sam. Les lecteurs de l'époque durent bien reconnaître alors que les aventures de Batman n'avaient pas besoin de la dérision bientôt apportée par la série d'ABC pour devenir grotesques. Néanmoins, au début des années 60, DC Comics va temporairement redresser la barre en revenant à des histoires plus sombres et en modifiant l'apparence du personnage grâce au dessinateur Carmine Infantino. C'est alors qu'apparut sans coup férir la fameuse création télévisée qui nous occupe ici et qui donnera le ton pour le personnage durant toute cette décennie.

La légende raconte que la décision de lancer cette série résulte d'une projection du pathétique serial Batman de 1943 organisée lors d'une fête à la Playboy Mansion au début des années 60, qui rendit hilare l'assistance parmi laquelle se trouvait un dirigeant de la chaîne ABC. La 20th Century Fox allait ainsi se voir confier la production d'une nouvelle série mettant en scène le super-héros dans de nouvelles aventures extravagantes. Mais le vrai maître d'œuvre allait être William Dozier, producteur de télévision qui avait fait ses débuts chez la Columbia. Dozier, complètement étranger à l'univers des comics, ignorait même l'existence de Batman... Son absence de connaissances dans ce domaine et les changements de mœurs et de culture dans ces années 60 pop, légères et chamarrées allaient orienter le concept de cette série vers un délire humoristique nourri au psychédélisme et à la folie douce issue du Swinging London. Batman la série allait devenir l'un des porte-drapeaux d'une forme d'humour typiquement américaine connue sous le nom de "camp" : un ton naïf et solennel associé à des situations délirantes et/ou puériles, le tout illustré par un style guilleret, baroque et théâtral. Un mélange d'ironie et d'autodérision festive qui touche tous les secteurs de la fiction à l'exception des personnages qui se prennent, eux, totalement au sérieux. Pour développer l'écriture de son projet, Dozier s'adjoint les services du scénariste Lorenzo Semple Jr., qui avait déjà travaillé sur plusieurs séries dont L'Homme à la Rolls avec Gene Barry. Etrangement, on le retrouvera quelques années plus tard comme scénariste des très sérieux Papillon (1973), A cause d'un assassinat (1974), La Toile d'araignée (1975) et Les Trois jours du Condor (1975). Mais de façon plus conforme à son travail fantaisiste sur les séries camp Batman et Le Frelon Vert (autre production William Dozier directement inspiré par le Caped Crusader parodique), Semple Jr. sera responsable des scripts délirants et facétieux de Flash Gordon (1980) et de Jamais plus jamais (1983).


Aujourd'hui on peine à réaliser à quel point la série Batman fut un monumental succès - même si ce dernier commença à s'étioler dès la fin de la deuxième saison. En janvier 1966, William Dozier lui-même se fait le narrateur du show et lance pour la première fois le duo de super-héros à l'antenne, dans un prologue auquel fait suite un générique animé et illustré par un thème musical entêtant qui sera bientôt connu dans le monde entier. Les épisodes de 26 minutes étaient malicieusement conçus de façon à se terminer par un cliffhanger qui rendait impatients petits et grands de voir la conclusion de l'intrigue. Le mélange de comédie bouffonne et d'aventure naïve parvint ainsi à divertir deux générations différentes de téléspectateurs. La série devint vite l'un des programmes hebdomadaires les plus regardés à la télévision américaine, alors que les dirigeants du network ABC avaient été au départ assez décontenancés par le ton adopté et songeaient même à l'annuler... De nombreux acteurs célèbres furent contactés pour jouer un rôle et certaines stars demandaient elles-mêmes à faire une apparition dans le show - comme méchant ou simplement comme silhouette - et il y eut finalement peu d'élus (par exemple Vincent Price, Otto Preminger, Edward G. Robinson, Ida Lupino, Shelley Winters, Ethel Merman, Sammy Davis Jr., Zsa Zsa Gabor, Joan Collins ou Jerry Lewis). La réussite se mesura également à travers le merchandising, incroyable pour l'époque : la vente de jouets, d'accessoires divers, de posters, de disques atteignait des sommes record (dans les années 70, votre serviteur était plutôt fier de posséder la miniature de la fameuse Batmobile, dont la forme fut inspirée de la Lincoln Futura). Le comic lui-même bénéficia de cet enthousiasme généralisé, et DC Comics aurait bien été en peine de se plaindre du traitement fait à son personnage compte tenu de la popularité immense acquise par Batman et Robin à cette époque.


C'est dans ces conditions très favorables que fut mis en chantier un film, celui qui nous intéresse ici, sorti en plein été 1966. En fait, ce long métrage était venu initialement à l'esprit de Dozier quelques mois plus tôt dans le but de présenter sa création au public et d'installer plus facilement ce Batman singulier sur le petit écran. Mais les dirigeants d'ABC avaient pris la décision de mettre la série à l'antenne plus tôt que prévu, faisant capoter cette approche. Cependant l'argument économique resta de taille pour les producteurs qui voulurent alors miser sur l'attrait provoqué par le programme télévisé. Le tournage eut rapidement lieu entre les deux saisons avec le même casting, exception faite de Julie Newmar (dans le rôle de Catwoman) remplacée par Lee Meriwether. On retrouve bien sûr les imperturbables et très premier degré Adam West (repéré dans une publicité par Dozier) et Burt Ward dans les rôles respectifs de Batman et Robin, ainsi que les super-vilains principaux de la série qui s'unissent ici pour mettre la main sur une invention diabolique permettant de transformer un être humain en poudre fine par déshydratation puis de le faire réapparaître par réhydratation (sic). Les délégués du Conseil de Sécurité de l'ONU allant être les victimes principales de ce terrible méfait. Il faut avouer que ce film sa savoure surtout grâce au cabotinage éhonté des comédiens interprétant ces méchants de carnaval. Burgess Meredith, qui retrouve une seconde jeunesse, joue un Pingouin survolté, le latin lover Cesar Romero campe un Joker rigolard et complètement allumé, Frank Gorshin incarne un Sphinx fou furieux et la belle Lee Meriwether (que l'on croise dans de nombreuses séries emblématiques de la télévision américaine) une Catwoman dangereuse et enjôleuse à souhait.


Batman - The Movie reprend tous les codes narratifs et visuels de la série : des couleurs criardes, des décors kitsch, des costumes ridicules (Adam West / Batman est tout sauf sexy dans sa tenue moulante et n'inspire aucun sentiment de puissance), des scènes d'action volontairement grotesques (l'assaut du requin en plastique, Batman qui court sur le port en peinant à se débarrasser d'une bombe prête à exploser), des combats à mains nues fantaisistes, des hommes de main stupides et interchangeables, un sérieux désarmant de la part des super-héros et des policiers alors que leur monde tout entier baigne dans l'absurde et la caricature, un Robin qui ne sert à quasiment rien sauf à déclamer ses fameux « Holy... ! », des jeux de mots inénarrables (intraduisibles en français), des cadres penchés pour mettre en scène les super-vilains dans leur entreprise de destruction. Il ne manque hélas que les onomatopées et les inserts animés pour que l'on se retrouve entièrement en terrain connu. On gagne en revanche, budget supérieur aidant, un plus grand nombre de plans en extérieur et de nouveaux moyens de locomotion sur terre, air et mer pour nos deux aventuriers téméraires. En revanche, on doit constater que les auteurs comme les producteurs n'ont pas eu comme ambition d'apporter une véritable plus-value cinématographique à leur univers. D'où l'impression de visionner un épisode classique étiré sur la longueur, générant ainsi un problème de rythme (à la fois dans l'écriture et la mise en scène) que ne parvient pas à sauver un montage routinier.

Probablement pour cette raison, et à cause d'une promotion inexistante, le film connut à sa sortie un échec public cinglant. Avec le recul, il faut avouer que ce revers s'explique pleinement. Cela dit, le gag final concernant le retour "à la normale" des représentants de l'ONU suite aux bidouillages expérimentaux d'un Batman peu sûr de son fait est plutôt bien senti et nous laisse sur une impression agréable, malgré des situations dramatiques intermédiaires qui tirent en longueur et une forme d'humour désuète qui aura du mal à convaincre les jeunes spectateurs d'aujourd'hui. Quant aux plus curieux d'entre nous et surtout aux nostalgiques, le déplacement en salles peut se justifier, d'autant que Batman - The Movie ressort dans une copie neuve restaurée qui rendra sûrement justice à l'univers psychédélique et bon enfant d'une œuvre qui ne se doutait pas alors de l'influence qu'elle allait avoir sur la pop-culture mondiale - jusqu'au Batman (1989) de Tim Burton pour lequel Adam West estimait être le seul acteur à pouvoir incarner le rôle titre. C'est dire si même en dehors du plateau de tournage, le pauvre homme n'était pas parvenu à se départir de son sérieux inébranlable... ou bien s'il était vraiment atteint.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : SPLENDOR FILMS

DATE DE SORTIE : 23 mars 2016

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La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 23 mars 2016