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Critique de film
Le film
Affiche du film

Au pays de la peur

(The Wild North)

L'histoire

Au début du XXème siècle, au Canada. Une jeune Indienne Chippewa (Cyd Charisse) est désireuse de regagner sa tribu. Elle était venue en ville pour gagner sa vie, mais son activité de chanteuse de saloon et la promiscuité d'hommes rustres et constamment ivres ne lui plaisent guère. Jules Vincent (Stewart Granger), un trappeur français, lui promet de la raccompagner en pirogue jusque chez elle, dans le Grand-Nord. Se joint à eux Max, un homme qui se fait tuer par accident par Jules lors de la descente des rapides. Un homme de la police montée canadienne, Pedley (Wendell Corey), est chargé de l'arrêter afin qu'il soit jugé. En effet, la veille les deux hommes s'étaient violemment battus pour les beaux yeux de la jeune Indienne et les autorités ont du mal à croire que Max n'ait pas été abattu froidement par son rival. Accusé de meurtre, Jules doit s'enfuir mais il est rapidement rattrapé par le policier qui lui passe les menottes. Il va falloir désormais rentrer alors que le froid est intense et que le chemin du retour est truffé de pièges naturels et humains : avalanches, tempêtes de neige, bandits et loups affamés. Les deux hommes ne sont pas au bout de leur peine mais les difficiles épreuves qu'ils auront à endurer cote à cote vont les rapprocher...

Analyse et critique

Ne faisons pas tomber le verdict plus longtemps et annonçons d’emblée que nous ne sommes pas déçus, au vu du résultat catastrophique, que The Wild North soit la seule incursion dans le western du pourtant intéressant Andrew Marton. D’origine hongroise, c’est Ernst Lubitsch qui le poussa à aller tenter sa chance à Hollywood. Il retourna en Europe, passant successivement d’Allemagne (qu’il quitta dès l’arrivée de Hitler au pouvoir) en Suisse, de Hongrie en Angleterre où il travailla aux côtés d'Alexander Korda. Dès le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Marton émigra aux USA et on le retrouve à Hollywood en tant qu’assistant réalisateur. C’est l’excellent Les Mines du Roi Salomon (King Salomon's Mines), coréalisé en 1950 avec Compton Bennett, qui le fit émerger. Mais ce sera ensuite en tant que réalisateur de seconde équipe qu’il se fera le plus remarquer, ses propres films en solo s’avérant la plupart du temps médiocres. C’est lui qui, entre autres, tourna la fabuleuse séquence de chars dans le Ben-Hur de William Wyler, la scène la plus mémorable de La Chute de l’Empire romain (The Fall of the Roman Empire) d’Anthony Mann (la poursuite entre Commode et Livius) et qui s’occupa de la partie américaine du Jour le plus long (The Longest Day). Au Pays de la peur est le film qui suit immédiatement Les Mines du roi Salomon. A croire que sur ce film d'aventures en Afrique, c’est Compton Bennett qui menait la barque tellement la différence de qualité niveau mise en scène avec The Wild North est flagrante. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas souvent que le western s’avançait à ce point au Nord et c’est d’autant plus dommage de ne pas avoir profité de cette opportunité pour nous dépayser avec talent.

D'un coté un officier de la police montée canadienne, opiniâtre et peu loquace, de l'autre un aventurier pittoresque et frondeur, charmeur et rigolard. Au pays de la peur, qui tire plus sur le film d'aventures que sur le western, se concentrera surtout sur les relations qui s'établissent entre les deux hommes durant un voyage au cours duquel l'un doit ramener l'autre en ville pour y être jugé. Un jeu du chat et de la souris entre un homme de loi et son prisonnier, qui doivent dans le même temps affronter toutes sortes de danger et en premier lieu le froid. Des conditions climatiques auxquelles le trappeur est habitué et qui vont permettre à ce dernier, sans que son adversaire ne s'en rende compte, de mener la barque à son gré. Au cours de leur périple, ils vont tomber nez à nez avec de dangereux hors-la-loi prêts à les tuer pour s'emparer de leurs montures et de leurs vivres, devoir se protéger d'une avalanche, lutter contre le froid extrême, descendre des rapides en pirogue et, pour finir, mener un combat sans merci contre une meute de loups affamés. A priori, nous avons une intéressante description psychologique, le touchant portrait d'une amitié naissante entre deux ennemis, des paysages grandioses, de l'action à revendre ; tout était en place pour le dépaysement et le divertissement assurés !

Bronislau Kaper donnait le ton avec une partition faisant énormément penser à du Miklos Rosza, l'ample et énergique thème principal préfigurant étrangement ceux que le célèbre compositeur écrira pour les plus fameux péplums hollywoodiens. Superbe générique donc qui se termine par une image de toute beauté, celle d'un canoë remontant une rivière enchâssée entre de somptueuses montagnes, l'embarcation finissant par accoster dans un endroit paradisiaque. Le film nous plongeait d'emblée dans la grande et belle aventure. Et puis Stewart Granger commence à ouvrir la bouche et c'en est fini de cette belle envolée lyrique et bucolique ; une vraie torture pour les oreilles commence et nous ne lâchera plus. Quelle idée de l'avoir fait jouer tout le film avec cet abominable accent français ; il s'agit d'un détail mais qui en dit long sur les fautes de goût du réalisateur qui malheureusement ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Bref, le comédien en devient tout simplement insupportable et ridicule tout du long, son personnage de vantard et de benêt n'étant pas là pour arranger les choses. Ses partenaires ne sont guère plus gâtés, ni par la direction d'acteur pour Wendell Corey (terne les 3/4 durant puis, ayant subi un traumatisme psychologique, grotesque en homme hagard le regard perdu dans le vague pendant le reste du film) ni par l'importance du rôle accordé à Cyd Charisse qui ne fait office ici que de charmant mobilier.

Les dialogues étant risibles (la séquence de la mort du prêtre vaut son pesant de cacahuètes), la psychologie simplette et le scénario lassant et répétitif, les comédiens n'auraient d'ailleurs guère pu sauver grand-chose. Le rire de Stewart Granger est tellement pénible, les expressions qu'on lui met dans la bouche si agaçantes (il appelle tout du long son adversaire par le diminutif de "Baby" ; sous-titré français, ça donne "mon poulet") que Wendell Corey lui donne à un moment un coup bien mérité ; à se demander s'il ne l'a pas fait réellement pour le faire taire ! Et Frank Fenton, le scénariste, de nous faire se succéder sans aucun sens du rythme une marche dans la neige, un feu de camp, une marche dans la neige, un feu de camp, une marche dans la neige, un feu de camp... Le tout sans une seule étincelle d'émotion, sans aucune idée de mise en scène. Mais si la réalisation s'était contentée d'être à court d'idées... Hélas, elle s'avère en plus de cela totalement désastreuse et hideuse : c'est un festival de faux raccords, de cadrages calamiteux, de gros plans disgracieux, le tout au sein d'un montage épouvantable et d'inharmonieux mouvements d'appareil. Les incessants passages des décors naturels aux décors de studio ne sont pas non plus franchement réussis, c'est le moins que l'on puisse dire. Avec les moyens que possédait le MGM à l'époque, cela en est presque incompréhensible.

Rageant de voir autant d'éléments prometteurs se transformer en un film sans rythme et aussi laid, d'autant que le réalisateur est incapable d'exploiter ne serait-ce qu'un minimum les fabuleux paysages qu'il a à sa disposition (paysages qui sont ceux de l'Idaho et non du Canada où l'équipe n'a pas été tourné) ; les séquences de marche dans la neige sont une succession de plans plus platement filmés les uns que les autres. A sauver néanmoins dans ce qui se révèle être le premier film en AnscoColor (procédé qui, comme le WarnerColor peu de semaines auparavant, n'aura guère révolutionné quoi que ce soit) : une impressionnante séquence d'avalanche, la scène finale dans les rapides et surtout celle de l'arrivée des loups en pleine nuit. L'apparition du premier animal les yeux brillants est effectivement assez effrayante. Le prologue était alléchant mais le souffle de l'aventure est plombé quelques minutes après qu'il se soit terminé ; le film ne se relèvera pas de la grossièreté de la mise en scène ni du cabotinage de Stewart Granger. Vraiment dommage !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 27 janvier 2018