L'histoire
La ville minière de Nottingham en 1905. Walter Morel descend dans la mine depuis l'âge de quatorze ans et ne comprend pas que ses enfants hésitent à suivre son exemple. William, l'aîné, est parti travailler à Londres et Paul, qui montre des dispositions artistiques, songe à un poste de bureaucrate. Seul le plus jeune, Arthur, travaille avec son père. Mais un jour, il est tué dans une explosion...
Analyse et critique
Directeur photo légendaire pour les plus grands, de Hitchcock à Mankiewicz en passant par Powell/Pressburger et Albert Lewin, l'immense Jack Cardiff égalait tous les grands maîtres qu'il avait côtoyé en passant derrière la caméra avec cette troisième réalisation, merveilleuse adaptation du roman de D.H. Lawrence. L'histoire est en fait le parcours initiatique de Paul Morel (Dean Stockwell), jeune homme rêveur et exalté dans l'espérance d'un ailleurs que la grisâtre ville minière où il végète. Les perspectives professionnelles ne vont guère plus loin que la mine, funeste destin dont la pénibilité et l'usure ont endurci et aigri son père, et où il va bientôt perdre son plus jeune frère. Son don pour la peinture peut lui laisser espérer une carrière prometteuse à Londres mais des entraves bien plus insurmontables que physiques ou matérielles le retiennent. Il y a tout d'abord sa mère déçue par sa vie qui l'étouffe d'un amour exclusif et fait reposer une attente énorme sur lui, mais également les archaïsmes locaux d'un cadre conservateur en opposition avec sa soif de liberté.
Le scénario retranscrit avec subtilité et audace les thèmes du roman, que ce soient les relations familiales ou les amours du héros. Cardiff capture magnifiquement ce cadre domestique rendu délétère par une vie de rancœur où un Trevor Howard (excellentissime en ouvrier minier aux manière rustre) s'est laissé aller dans l'alcoolisme au fil du temps et des humiliations de sa femme qui le méprise. Wendy Hiller en mère abusive est le personnage le plus complexe et passionnant du film, qui en surprotégeant son fils lui ouvre l'esprit mais en fait également un indécis incapable d'agir par et pour lui-même. Dès les premières séquences, la familiarité et la complicité entre eux dévoile un lien aussi intense que néfaste où malgré sa rudesse on ne peut qu'être attristé pour un Trevor Howard constamment exclu des confidences les plus intimes échangées entre mère et fils. Pourtant jamais on ne doute de l'amour sincère qui unit cette famille à travers quelques moments chaleureux comme le repas de noël. Dean Stockwell avec ses traits durs et masculins croisés à un allant juvénile exprime parfaitement le dilemme de ce personnage qui n'est plus un garçonnet mais pas encore un homme. Cette transition pourrait se réaliser en rencontrant LA femme mais là encore de nouveaux obstacles se pose dans les deux figures féminines illustrées.
D'un côté l'amour pur, sincère et exclusif de Miriam Leivers (Heather Sears) mais uniquement spirituel par la faute d'une bigoterie rurale confinant à une frigidité insurmontable. De l'autre on trouve la sensualité et l'esprit libre de Clara Dawes (Marie Ure magnifique) mais dont le cœur n'est pas totalement libéré de l'esprit de son mari. Les rôles pourraient même s'inverser tant Miriam s'avère prête à se soumettre à l'acte charnel de manière sacrificielle quand Clara sous son anticonformisme s'avéra une épouse comme une autre. Le film pose ainsi des questionnements passionnant sur le féminisme, l'essence du couple et le sexe de manière explicite dans le dialogue et les situations. Une des caractéristiques des films de chef opérateur c'est justement d'être toujours somptueusement photographié (parfois à défaut du reste si l'on tombe mal). Sons and Lovers ne déroge pas à la règle dans ce qui est sans doute le plus beau noir et blanc vu dans un film des 60's avec le somptueux travail de l'excellent Freddie Francis sans doute secondé par Cardiff lui-même. L'atmosphère rurale brumeuse est palpable dans les landes et forêt s'étalant à perte de vue, les noirs sont d'une profondeur aussi intense que l'esprit torturé des personnage dans des cadrages cinémascope parfaits, à l'inspiration picturale prononcée et inventive.
Les scènes de sexe obéissent à cette recherche esthétique et à ce raffinement du récit. Les instants tendres avec la timorée Miriam sont ainsi souvent filmés à distance notamment la nuit fatidique avec son baiser lointain et son étreinte au plaisir non partagé, où une vue du ciel (en signe de cette culpabilité religieuse) puis de l'extérieur de la grange nous rend étranger aux évènements. A l'opposé la sensualité des séquences avec Marie Ure conserve tout son attrait aujourd'hui comme cette lente montée de désir dans les échanges de regard puis ce moment où Paul quitte sa chambre pour contempler Rachel dénudée près de la cheminée avant qu'ils s'enlacent sauvagement. Plus tard ce sera la torpeur après l'amour qui sera vue dans tout son naturel lorsque Marie Ure sera lascivement allongée sur le lit face à son amant torse nu devant la fenêtre. La conclusion ouverte est ambigüe avec son héros libéré par la force des choses mais maintenant le cœur sec, tous les destins s'offrent à lui mais le chemin pour y parvenir aura peut-être été trop douloureux notamment cette scène de deuil aussi sobre que déchirante. Superbe film, sans doute le meilleur de Cardiff réalisateur, à égalité avec le radicalement différent et féroce Le Dernier train du Katanga.