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Critique de film
Le film
Affiche du film

à 23 pas du mystère

(23 Paces to Baker Street)

L'histoire

Phillip Hannon, un auteur américain aveugle, est venu chercher à Londres l'inspiration pour sa nouvelle pièce. Dans un pub, il entend les bribes d'une conversation qu'il devine être mal intentionnée. Pour lui, l'enlèvement d'un enfant se trame. Mais Scotland Yard ne veut pas entendre parler de ces spéculations. Convaincu de son interprétation, Phillip entraine son domestique et son ancienne secrétaire Jean, avec qui il fut fiancée et qui est venue le rejoindre en Angleterre, dans son obsession. Ils enquêtent sur des voix, des odeurs et des intuitions pour empêcher le crime qu'il pressent.

Analyse et critique

En 1956, Henry Hathaway a déjà derrière lui une longue et riche carrière de réalisateur. Après s'être fait la main dans le début des années 30 en dirigeant Randolph Scott dans des adaptations de Zane Grey, des westerns souvent médiocres par ailleurs, il s'est installé avec quelques films comme un réalisateur majeur de Hollywood. Au milieu des années 30, ce sont notamment ses deux premières collaborations avec Gary Cooper, Les Trois lanciers du Bengale, chef-d'œuvre du film d'aventures coloniales, et Peter Ibbetson, incarnation cinématographique de l'amour, qui vont révéler sont talent. Sa carrière se poursuit en traversant tous les styles : aventure, western, guerre et évidemment polar. C'est à la 20th Century Fox, qu'il rejoint au début des années 40, que Hathaway va réellement rencontrer le genre, et principalement le Film noir. Il va même être le principal créateur du style Fox, marqué par une volonté de réalisme quasi-documentaire, et dont il signera plusieurs fleurons. Le Carrefour de la mort bien sûr, mais aussi Appelez Nord 777 ou encore le plus méconnu L'Impasse tragique, à l'esthétique remarquable, sont trois exemples marquant de la réussite de Hathaway dans le genre. C'est donc un réalisateur expérimenté doublé d'un quasi-spécialiste du film policier et criminel qui dirige A 23 pas du mystère.


Il s'agit dans ce cas d'un double tournage. Les intérieurs du film sont tournés à Hollywood, les extérieurs à Londres sur le lieu même ou doit se dérouler l'histoire. Ici il n'est pas question, au premier abord, d'une volonté de vérité, mais d'une conséquence du Eavy Levy, une loi protectionniste anglaise qui bloque une partie des bénéfices réalisés par le cinéma en Angleterre. Pour pouvoir utiliser ces fonds bloqués, une compagnie doit les dépenser sur place, ce que fait ici la Fox. Le choix est évidement le bon pour cette histoire typiquement anglaise, et l'atmosphère n'en sera que renforcée.


A 23 pas du mystère est l'adaptation d'un livre de Philip MacDonald, The Nursemaid who disappeared, dont la réputation est immense en Grande-Bretagne. L'auteur est régulièrement associé au monde du cinéma, ses histoires ayant été souvent adaptées, et le roman qui nous intéresse a déjà été porté à l'écran par Arthur B. Woods en Angleterre (The Nursemaid Who Disappeared - 1939) dans une version réputée plus fidèle au texte. MacDonald fut également scénariste, et on le retrouve notamment à l'écriture de quelques épisodes de Charlie Chan, série archétypale du whodunit, un sous-genre auquel on peut rattacher A 23 pas du mystère. Le scénario, écrit par Nigel Balchin, fait effectivement la part belle à l'enquête pure. A partir des deux voix qu'il a entendues et du parfum de l'une des deux personnes, le personnage principal construit son propre mystère et cherche à le dénouer. Nous sommes, finalement, assez loin des canons du film noir américain qui virent triompher Hathaway dans la décennie précédente, mais dans un récit typiquement anglais que l'on pourrait rapprocher de l'univers de Sherlock Holmes. Un rapprochement voulu puisque le film est titré 23 Paces to Baker Street, un extrait exact d'une réplique du film mais surtout une référence au domicile du fameux Sherlock Holmes. Nous nous trouvons donc à 23 pas seulement de l'univers du plus fameux des détectives. L'univers visuel que construit Hathaway est tout à fait en phase avec cette proximité. Adieu le noir et blanc et les ombres  typiques de ses polars précédents, et bienvenue à une superbe photographie en couleurs dirigée par Milton Krasner, un des plus éminents spécialistes hollywoodiens à qui l'on doit entre autre deux autres collaborations très réussies avec Hathaway : L'Attaque de la malle-poste et surtout le remarquable Jardin du Diable. L'image, brumeuse à souhait, nous entraîne dans un Londres inquiétant où le fog pourra toujours dissimuler un criminel.


Hathaway profite également de la beauté du décor proposé pour composer de superbes images, remarquablement mises en valeur par le format Cinémascope. L'occasion de souligner qu'il est probablement l'un des réalisateurs hollywoodiens qui s'est le plus facilement glissé dans le moule du format large, son sens de la composition visuelle s'exprimant aussi bien en 2.35 qu'en 1.33. Du splendide décor londonien et de sa brume pesante, Philip Hannon ne perçoit évidemment rien. Aveugle, il se repose sur d'autres sens pour faire avancer son enquête. Un ressort scénaristique qui parait un peu surexploité de prime abord ; sa perception de la discussion qui déclenche le mystère, si elle s'avère finalement juste, est perçue par le spectateur et par Scotland Yard comme exagérée. A mesure qu'avance le film, il s'agit pourtant d'un atout, donnant à l'enquête un ton original, faisant ressentir nettement une intuition inhabituelle et mettant en exergue le mystère épais du récit. Ce mystère et l'enquête qu'il y mène sont une bouée de sauvetage pour Hannon, un personnage qui nous est présenté comme aigri, qui refuse systématiquement l'aide de ses amis et semble ne plus vraiment tenir à la vie. En étant ainsi extrait du monde de fiction dans lequel il baigne par son écriture, il trouve l'occasion de se rentre utile au monde réel et trouve également l'occasion de constater que les autres peuvent lui être utiles. Cette dimension psychologique qui accompagne la trame principale est traitée, dans l'ensemble, avec une certaine réussite. L'interprétation de Van Johnson est suffisamment sobre pour être crédible, et la manière dont il joue son handicap nous semble plutôt réaliste.


Le premier à aider Hannon est son domestique londonien Bob Matthews. Interprété par Cecil Parker, il est probablement l'une des plus belles réussites du film. Nouveau parallèle avec le monde holmesien, sa figure semble clairement rattachée à celle du Docteur Watson. Serviable, les pieds sur terre, il met tout en œuvre pour aider Hannon, dans son enquête comme dans sa vie. C'est également lui qui apporte au film une jolie touche d'humour, ses dialogues étant particulièrement réussis. Cecil Parker, acteur anglais chevronné à la carrière impressionnante, nous offre une interprétation remarquable et semble se délecter de son texte. Son talent comique, que l'on a vu à l'œuvre un an avant dans Tueurs de dames, vient à point nommé nourrir son personnage. Le second support de Hannon est Jean Lennon, son ancienne secrétaire et ex-fiancée, venue à Londres pour tenter de le reconquérir. Et là, force est de constater que ce personnage est moins réussi. Sa contribution à l'avancée de l'enquête est plutôt bien exploitée, mais sa relation avec Hannon est très convenue et parfois mièvre. Au final, le personnage est effacé, on ne s'y attache pas comme on ne s'implique pas vraiment dans cette histoire d'amour peu originale. Un rôle moyen pour Vera Miles qui connaitra de meilleures fortunes.


D'ailleurs, il faut le dire, les scènes d'intérieur, et donc la construction de la relation entre Phillip et Jean, ne sont pas le point fort du film. Hathaway, cinéaste passionné par les défis techniques, par les situations a priori infilmables - comme par exemple le remarquable 14 heures qui nous fait passer l'essentiel d'un film sur le rebord d'une fenêtre - ne semble pas particulièrement passionné par les longues séquences de dialogue dans l'appartement de Hannon, filmées sans grande inventivité contrairement aux remarquables scènes londoniennes. Heureusement, l'enquête par elle-même est suffisamment passionnante pour ne pas pâtir de ces longueurs. A 23 pas du mystère n'ennuie jamais, mais nous aurions gagné à plus de dynamisme lors de certaines séquences. Sa créativité, Hathaway la propose tout de même dans deux morceaux de bravoure qui font la force du film. D'abord le final, dans l'appartement où Hannon est seul et se confronte dans le noir à l'instigateur du crime. Une scène pleine de tension qui vient offrir un beau point final à une intrigue passionnante. L'enquête en elle-même est en effet remarquablement menée, la tension maintenue tout au long des 100 minutes que dure le film, et ce climax est à la hauteur d'un récit policier de premier ordre. Le second moment, peut-être le plus marquant, voit Hannon prisonnier d'un immeuble détruit par un bombardement, au bord d'un précipice qu'il ne voit pas. La tension est ici à son comble, et le décor remarquablement exploité par un Hathaway ici grandement inspiré.

A 23 pas du mystère réussit dans sa mission principale, il s'agit d'un excellent whodunit qui maintient l'attention du spectateur sur le mystère du début à la fin. Mais il pêche un peu dans la peinture de certains éléments annexes, notamment l'histoire d'amour. Il serait toutefois dommage de se priver de ce film pour cet élément secondaire : ce serait passer à côté d'une atmosphère visuelle réussie et de plusieurs scènes marquantes.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 11 mars 2013