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Livres

le western

un essai de clelia cohen

Edition Cahiers du cinéma / SCEREN-CNDP
Livre collector limité à 2000 exemplaires
Date de sortie : 04 mars 2005
Broché - 92 pages
Prix public : 8.95 €

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Analyse et Critique

« Qu’on prononce seulement le mot "western" et alors se bousculent déjà à l’esprit des multitudes d’images qu’on croit connues par cœur […] Mais plus on énumère, plus on appauvrit, car, le western, à s’y pencher de plus près, accueille en son cadre toutes les histoires […] Point d’exhaustivité possible donc, et la seule visée avouée de ce livre est de poser quelques bases, de lancer quelques pistes, surtout d’attiser la curiosité d’aller y voir par soi-même tous ces faux clichés se recomposer chaque fois de manière inédite… » écrit Clélia Cohen dans "l’ouverture" (terme plus cinématographique que préface) de son ouvrage. Premier "faux cliché" battu en brèche, le western en tant que genre typiquement réservé à la gent masculine que Clélia Cohen vient brillamment ici faire voler en éclat par le seul fait d’avoir rédigé ce livre !

Clélia Cohen fut critique de cinéma aux Cahiers du Cinéma de 1997 à 2004, et a collaboré à plusieurs ouvrages sur le cinéma américain avant de devenir directrice éditoriale de compléments pour certaines éditions DVD comme les suppléments passionnants qui se trouvent sur les Collectors Montparnasse (Le Massacre de Fort Apache entre autres). Elle n’a pas ici la prétention d’écrire un ouvrage de référence sur le genre mais de nous faire partager sa passion qui, je dois l’avouer, est touchante de sincérité. Mais encore un ouvrage sur le western me direz-vous ? Question à laquelle je répondrais qu’ils ne sont pas si nombreux que cela en France ! Mais attention, ce livre ne vient en rien révolutionner quoi que ce soit et n’est pas lancé sur le marché pour remplacer les incontournables sur le genre que sont, par exemple, ceux de Jean-Louis Rieupeyrout, Patrick Brion ou Christian Viviani (dommage que ce dernier ait été oublié dans la bibliographie qui clôt ce livre). Il s’agit avant tout d’une belle déclaration d’amour pour ce genre aujourd’hui quasiment tombé en désuétude dans les salles de cinéma et sur la petite lucarne mais, qu’heureusement, le DVD remet au goût du jour avec une belle vitalité.

Un livre concis et très synthétique (il ne vous faudra pas plus d’une heure et demie pour le dévorer) qui n’a pas d’autres buts que d’ouvrir des pistes et guider la curiosité des néophytes (pour qui il pourrait devenir un ouvrage de référence lui servant à se frayer un passage parmi la multitude de titres constituant le genre, et à se construire de solides bases grâce aussi à une filmographie classée par ordre alphabétique et reprenant les grands classiques incontournables), le tout sans jamais ennuyer le "westernophile" qui sait déjà pourtant tout ce qu’il lit ici.

Le pari n’était pas gagné d’avance et pourtant le résultat est une belle réussite grâce à ce mélange harmonieux de vocation pédagogique (la collection est éditée par le CNDP - Centre National de Documentation Pédagogique) et de belle personnalité dans l’écriture, les propos n’étant jamais ni neutres ni plats. En effet, l’auteur possède un style bien à lui, assez poétique, très dépouillé, allant à l’essentiel sans analyses tarabiscotées ou verbeuses. Clélia Cohen possède l’art de nous plonger immédiatement dans les ambiances qu’elle décrit à l’aide de presque rien : quelques mots simples et quelques phrases jamais absconses ni obscures au milieu desquelles viennent parfois se poser avec douceur de belles envolées lyriques. Un essai au ton très personnel qui se retrouve aussi dans l’articulation plutôt fantaisiste du livre, espèce de poème dédié au western (américain s’entend) en tant que genre mélancolique par excellence, ce que la citation de Francis Scott Fitzgerald (tiré du Dernier nabab) en exergue du texte annonce clairement.

Première chapitre : Le cinéma américain par excellence

Il est ainsi bien clair que l’auteur nous parle du western américain avec seulement quelques allusions succinctes au western italien (qui ne constitue visiblement pas sa tasse de thé). « La conquête de l’Ouest est un mouvement, le terme "western" une direction. Promesses cinégéniques infinies… Avancer, convoyer, chevaucher, s’établir même, en gardant toujours à l’esprit que tout cela chemine au sein d’une géographie bien particulière. » Cette première partie donne le ton de douce et saine mélancolie qui parcourt le reste de l’ouvrage. Clélia Cohen éprouve le regret d’un certain âge d’or, attitude non passéiste mais assez légitime quand on connaît l’évolution du genre même s’il continue à nous prouver à intervalles réguliers qu’il est toujours de ce monde. Dans cette partie préliminaire, nous est offert un bref historique sur l’histoire de l’Ouest avec, pour illustrer ces faits, des exemples puisés dans les films. Puis nous est décrit l’Ouest à travers l’art : la littérature, la peinture puis le cinéma (pour ceux qui auraient voulu en savoir plus sur cette partie purement historique, se reporter au livre La Grande histoire du western par Jean-Louis Rieupeyrout). Ce sont les paysages du western qui sont ensuite évoqués, ainsi que les trois acteurs qui représentent les trois cow-boys les plus marquants du genre. Vous aurez certainement deviné de qui il s’agissait ; voici la conclusion de cette première partie pour vous en assurer : « Gary Cooper ne tourna jamais avec Ford, ni John Wayne avec Mann, ni James Stewart avec Hawks. A ce curieux jeu de chaises musicales, Cooper celui qui marche, Wayne celui qui vieillit et Stewart celui qui souffre, prouvent que l’histoire du genre s’écrit aussi sur des coïncidences. »

Deuxième chapitre : Un siècle de western

Un historique du western au cinéma très bien résumé et allant à l’essentiel. Peu d’omissions même si chacun y trouvera sans aucun doute un de ses films de chevet manquant (les westerns de John Sturges des années 1950 pour ma part). Jamais trop analytique mais descriptif, juste dans la bonne mesure. L’auteur jubile quand il aborde les flamboyantes années 50 et nous fait part de la notion de "‘surwestern" inventé par André Bazin à l’époque. « Les grandes œuvres se déclinent en une liste infinie, l’originalité des thèmes abordés se déploient, les cinéastes se délectent des codes du genre pour inventer, approfondir, détourner... C’est aussi le moment où le genre devient trop conscient. De lui-même (L’Homme des vallées perdues de George Stevens a pour sujet la mythologie du western idéalisée par les yeux d’un petit garçon), ou du monde (Le Train sifflera trois fois, parabole abstraite du maccarthysme)... En est-il fini de la pureté ? » Ensuite viennent de brefs portraits "filmographiés" de quelques cinéastes dont Budd Boetticher, Delmer Daves, Howard Hawks. Les années 1960 de la mutation sont surtout l’occasion de la comparaison des styles aux antipodes de cinéastes aussi importants que Sergio Leone et Monte Hellman. Au passage sont décochées de petites piques pas bien méchantes et surtout jamais provocatrices envers le "western spaghetti". Enfin, sont abordées les dernières décennies jusqu’à Open Range. Durant ce tour d’horizon, quasiment que des classiques auront été évoqués mais il faut bien se rappeler la vocation première de cet ouvrage : un début d’initiation au genre. Choix entériné par la logique qui fait que pour réussir à transmettre sa passion, il faut être un bon guide au départ et partir sur des bases solides !

Troisième chapitre : Mélancolie

« Le western part donc de cette ambivalence : reconquérir par la fiction et le mythe un territoire qui, géographiquement, a disparu. Revenir aux temps fabuleux des commencements révolus. Faire semblant de recueillir les derniers feux : The Last Sunset, The Last of the Mohicans, The Last Hunt... , titres innombrables au parfum de jamais plus. Retrouver les paysages, réinventer les postures perdues. De là vient la puissance mythique des gestes westerniens, et la tristesse du héros de western : monter à cheval, dégainer son arme, faire tinter ses éperons sur l’estrade du saloon, recouvrir son visage avec son chapeau pour s’isoler du monde le temps d’un somme au grand air, autant de gestes premiers accomplis mille fois dans les films, avec toujours la conscience secrète de l’être pour la dernière fois. » Magnifique et nostalgique dernière partie qui, comme il se doit, offre la part belle aux westerns "crépusculaires", films qui n’arrêtent pas d’annoncer le déclin du genre qui résiste néanmoins : L'Homme qu tua Liberty Valance de John Ford (« Liberty Valance mime l’histoire, décrit l’effacement consenti de l’homme de l’Ouest en faveur de celui de l’Est, c’est à dire l’établissement de la loi, l’arrivée des progrès civilisateurs. ») ou Coups de feu dans la Sierra de Sam Peckinpah, sans oublier Clint Eastwood, avant de clore de la plus belle des manières : « Né de disparitions multiples, hanté, nourri par l’idée de sa propre finitude, le western est le seul genre dont les acteurs-emblêmes aient pris en charge à ce point, dans leur chair même, la grandeur autant que l’inquiétude de la mort proche. Son histoire en fondus enchaînés se confond avec les origines de l’Amérique qui, à leur tour, se volatilisent en lui. Le western est le grand genre américain. »

Une seconde partie débute alors qui tient office d’annexes plus ou moins passionnantes. Si les textes de André Bazin sur Sept hommes à abattre, servant de base à sa théorie sur la supériorité des westerns sur les "surwestern" à tendance psychologiques (théorie dépassée de nos jours puisque des chefs-d’œuvre ont vu le jour au sein de cette dernière catégorie inventée de toute pièce par Bazin) et de Serge Daney sur La Charge héroïque sont remarquables, les quelques autres "bonus" ne pourront intéresser que les "débutants" en matière de western. Ils sont là pour leur rappeler ou leur apprendre que le western aussi peut être pensé, mûrement réfléchi et mis en scène, qu’il ne s’agit pas que de simples divertissements. Nous verrons ainsi tenir sur une page des analyses de plans de Johnny Guitar, des analyses de séquences de My Darling Clementine... Expériences bien plus concluantes sur suppléments DVD que sur papier, il faut bien le dire. Un petit poème conclut ces annexes et se trouve là pour nous remémorer que, si la démarche première de l’ouvrage se veut un précis d’apprentissage et de découverte, il est écrit aussi dans le but de nous faire partager une passion : ou comment la passion et le plaisir de la faire partager est le vecteur primordial de la passation du savoir !


Comme pour les autres ouvrages de la collection dirigée par Joël Magny, l’iconographie, la mise en page, la typographie et les annotations forment un tout extrêmement agréable à feuilleter, regarder ou lire.

En conclusion, l’auteur possède des connaissances qu’on ne peut mettre en doute et sa passion est communicative. Un essai personnel, fluide, vivant, simple, sincère, d’une belle sensibilité non dénuée de lyrisme, toutes ces qualités qui peuvent être appliquées aux westerns de John Ford, cinéaste dont l’auteur à du mal à cacher qu’il s’agit de son favori, ce que je conçois aisément. Me trompe-je ?

« Seul moyen de remonter le temps, le western est le grand flash-back impossible de l’Amérique. »

Par Erick Maurel - le 8 mars 2005