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Maman - Over the Hill (1931)
Scénario : Tom Barry et Jules Furthman d’après un poème de Will Carleton / Production : Fox Film / Photographie : John Seitz / Musique : George Lipschultz
avec Mae Marsh (Ma Shelby), James Dunn (Johnny), Sally Eilers (Isabel), James Kirkwood (Pa Shelby), Edward Crandall (Thomas), Joan Peers (Susan), Olin Howland (Isaac), Claire Maynard (Phyllis)
Cette chronique d’une famille américaine fait immanquablement penser à
Make Way For Tomorrow (Place aux jeunes), le film de Leo McCarrey sorti 6 ans plus tard. Même si les sources littéraires sont différentes, les similitudes sont si grandes qu’il est difficile de croire que les scénaristes du film et/ou McCarey n’avaient pas vu celui de Henry King. La grande différence, c’est que l’abandon progressif des parents (ici seulement une mère une fois celle ci devenue veuve) ne vient que dans une seconde partie puisque
Over the Hill fait moins le portrait d’un couple à la fin de sa vie que celui d’une mère à deux époques de la sienne. Le film est donc construit en deux parties. Une première montre les jours pauvres mais heureux lorsque les enfants sont encore de jeunes adolescents. L’aube se lève sur un clocher et l’on entend le coq chanter … Dans le jardin d’une maison isolée, une poule appelle ses poussins … La chatte rentre à la maison et y retrouve ses chatons … La mère, levée avant toute sa famille, prépare le petit déjeuner pour son mari, ses fils Johnny, Isaac et Thomas, 3 garçons turbulents et querelleurs, et leur soeur Susan.
Cette scène d’ouverture est limpide. Henry King a voulu avant tout faire le merveilleux portrait d’une mère viscéralement dévouée à sa famille. Il ne lâche pas Mae Marsh, en cela il ne fait que suivre le moteur de la famille, le personnage le plus actif et surtout le plus attentionné car Ma ne lâche pas ses enfants du levé au couché. Ce film aurait ainsi pu s’appeler « l’amour d’une mère » tant le réalisateur scrute les faits et gestes plus qu’ils n’enregistre les mots, rares car Ma est bien trop occupée par les besognes quotidiennes pour prendre le temps de beaucoup s’exprimer. Cette mère tendre peut se montrer à l’occasion énergique avec ses turbulents fils, plus tendre avec sa fille Susan et, en tout cas, attentive à tout. Ces gestes simples d’un mère filmés comme rarement je l’ai vu éveille forcément des souvenirs en chaque spectateur qui retrouve des traces de sa propre relation avec sa mère tant ce que montre Henry King est universel. Si la charge émotionnelle est si forte dans la seconde partie du film, c’est parce que cette mère poule est progressivement abandonnée de différentes manières par ses enfants alors qu’elle avait toute sa vie cherché à préserver l’unité de sa famille malgré la pauvreté puis les tragédies qui s’étaient succédées à partir de l’incarcération de Johnny, le meilleur de ses fils ; puis la mort de son mari, l’éloignement volontaire de Johnny à sa libération de prison et enfin son abandon par ses autres enfants.
Dans cette deuxième époque, lorsque ses enfants se seront éloignés, Ma va encore profiter des rares moments de retrouvailles pour exprimer son amour pour ses enfants, surtout avec son fils le plus loyal. On a sans doute rarement montré une mère saisissant son fils avec une telle force et une telle émotion après une longue séparation. Une mère embrasser son fils emprisonné à travers la grille d’un parloir ou encore une scène de retrouvailles aussi bouleversante que celle du retour de Johnny après sa libération. Il revient à la maison au moment où Ma semble en passe de perdre la raison. Elle est allongée, absorbée dans une rêverie où elle revoie ses enfants adolescents chahuter dans la pièce vide qu’elle occupe dorénavant … et c’est Johnny qui survient à l’improviste et qui la sort de ce rêve.
En dehors de ce lien privilégié entre une mère et son fils, Henry King est évidemment aussi attentif aux autres membres de la famille. Il esquisse les différentes personnalités, les liens familiaux, la situation économique de la famille avec une simplicité et une économie de moyens qui renforce le sentiment d’authenticité et de naturel. À l’évidence, cette famille ne roule pas sur l’or mais à aucun moment il n’est question de leurs difficultés économiques, simplement, par petites touches et sans avoir recours aux dialogues, Henry King nous montre tout. Le règlement d’une dette de 16 dollar 83 cent contractée chez un épicier remboursée -cent par cent- par Ma nous renseigne sur leur pauvreté. Le réalisateur qui montre presque toujours le père couché ou assis, en tout cas toujours occupé à lire, nous renseigne sur la paresse de cet homme perpétuellement au chômage et en attente d’un emploi offert par l’état bien moins usant et mieux payé que celui qu’il pourrait prendre à la tannerie locale. S’il est sévère avec ses fils (il lui arrive de les dérouiller) il est tendre et attentionné avec sa femme mais il a un énorme poil dans la main … et lorsqu’il se décide à agir, cela tourne à la catastrophe. Une nuit, il emprunte le camion de son fils Johnny pour transporter de l’alcool pour le compte d’un trafiquant local et la soirée tourne au cauchemar. C’est ainsi que Johnny se retrouve en prison à la place de son père … Ce passage par le film criminel n’est qu’un aparté, de même que le passage « carcéral » mais ce sont les premiers évènements qui conduiront à l’abandon de Ma, même si le détachement des liens familiaux n’est pas la conséquence directe du drame survenu cette nuit là.
En l’absence de Johnny, qui fini par être libéré de prison mais qui est contraint de partir en compagnie d’Isabel, sa fiancée de toujours, Ma cherche aide et soutien auprès de ses autres enfants mais elle est repoussée par tous. Par Susan parce son mari Ben a fait de mauvaises affaires et parce que leur appartement est trop exigu ; disent-ils. Par Thomas, le peintre vivant dans un appartement new-yorkais luxueux, parce que Phyllis, sa jeune et riche maitresse ne veut pas de Ma chez elle. Quant à Isaac, le pasteur, malgré ses prêches, c’est encore le pire … et de loin. Il est d’ailleurs surprenant que Henry King ait fait de ce personnage de religieux, le plus repoussant des enfants … Pour comparer une nouvelle fois avec le film de Leo McCarey,
Over the Hill est tout de même moins subtil en ce qui concerne le portrait des enfants, même si à une exception près ceux ci ne sont pas non plus montrés comme des monstres. Le film de Henri King va moins loin dans les portraits individuels, dans l’étude des caractères, dans l’analyse des diverses raisons qui entrainaient progressivement l’abandon des vieux parents.
Over the Hill est en revanche plus fort sur les personnages eux mêmes, sur les émotions engendrées et il surpasse le film ultérieur en raison de l’interprétation - peut-être datée mais bouleversante - de Mae Marsh qui pour certains critiques trouva là son meilleur rôle. James Dunn (Johnny) et Sally Eilers (Isabel) sont également très biens, tandis que Claire Maynard (Phyllis), la fiancée de Thomas, crève l’écran par sa beauté.
Coeur de pierre s’abstenir … mais les autres - qu’elle soit encore là où pas - vont pleurer leur mère. Un très beau Henry King de plus. 7,5/10. Vu en vost anglais