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Critique de film
Le film
Affiche du film

David et Bethsabée

(David and Bathsheba)

L'histoire

En tant que Roi d'Israël, le Roi David a tout : l'argent, le pouvoir, la santé, les femmes, les enfants. Mais ce qui lui manque le plus est l'amour d'une femme qui l'aimerait pour lui et non parce qu'il est le Roi. Il est ainsi attiré par Bethsabée, femme d'un soldat de son armée.

Analyse et critique


Grâce à l’immense succès de Samson et Dalila (1949), Cecil B. DeMille avait totalement relancé le péplum - genre auquel on associe spontanément le réalisateur vu qu’il en signe à chaque fois un classique dans les années 20, 30, 40 et 50 - et plus précisément sa veine biblique.  La MGM réplique deux ans plus tard avec Quo Vadis de Mervyn LeRoy et Darryl Zanuck entend bien faire de même pour la 20th Century Fox lorsqu’il acquiert les droits du roman David de Duff Cooper (paru en 1943) et de la pièce Bathseba, jouée à Broadway en 1947. En charge de développer le sujet, le scénariste Philip Dunne propose tout d’abord une fresque couvrant la vie du roi David, allant de son combat contre Goliath à ses amours avec Bethsabée, ainsi que sa vieillesse et la trahison de son fils Absalon. Après avoir revu sa copie pour un Zanuck peu convaincu, Philip Dunne restreint le projet à la seule romance avec Bethsabée tout en y développant une réflexion sur la corruption du pouvoir. Cette mue du projet, de la fresque initiale envisagée vers un ton plus feutré, correspond d’ailleurs à l’approche de ce renouveau du péplum de la première moitié des années 50.


La plupart des films du genre produits alors privilégient une veine intimiste, les morceaux de bravoure certes impressionnants (le final de Samson et Dalila, l’incendie de Rome dans Quo Vadis) entrecoupant des récits introspectifs. Même La Tunique (1953), également scénarisé par Philip Dunne, et qui introduit le format Cinémascope, fonctionne ainsi. Il faudra attendre une fois de plus Cecil B. DeMille et Les Dix Commandements (1956) pour véritablement entrer dans l’ère du gigantisme qui caractérise Ben-Hur (1959), Spartacus (1960), Cléopâtre (1963), La Chute de l’Empire romain (1964) qui, tous sous l’imagerie hypertrophiée, conservent néanmoins une approche comparable. Cette introspection dans un genre codifié comme épique et spectaculaire, c’est exactement l’approche de Henry King dans ses meilleurs films d’aventures pour la Fox - Capitaine de Castille (1847), Échec à Borgia (1949) - et l’on ne s’étonnera pas de le voir signer ici un de ses meilleurs films.


Dans cette approche de drame intimiste et psychologique, l'action se situe volontairement au milieu du règne de David en évitant les épisodes légendaires qui font la persistance du mythe, notamment le fameux affrontement avec Goliath qui n'intervient qu’en flash-back à un instant clé du film, à des fins purement dramaturgiques. On suit donc les tourments du Roi David, esseulé, craint et respecté pour son statut et son pouvoir qu'il porte comme une croix car l'éloignant des rapports humains ordinaires, en amour comme en amitié. Gregory Peck livre une prestation de haut vol, sombre et torturé, manquant de confiance en soi (il est plusieurs fois suggéré qu'il considéré comme illégitime au pouvoir par certains du fait de ses origines modestes), et parvient parfaitement à traduire les tourments et les interrogations du souverain. L'ouverture qui nous évoque son passé de guerrier pour ensuite le plonger dans la torpeur et l'ennui des palais est particulièrement parlante à ce sujet. La scène où avec Bethsabée ils se sondent l'un l'autre avant de se déclarer leur flamme est poignante car elle exprime le doute du souverain quant à ses rapports aux autres et la crainte d'une femme à lui déclarer ses sentiments, tant son statut le sépare du commun des mortels.


Pour un film biblique, le rapport à la religion s'avère très ambigu tout au long du film. Celle-ci s'avère essentiellement un symbole d'oppression (la menace de lapidation punissant la femme adultère pèse sur Bethsabée d'après les lois) et de mort (l'arche de l'Alliance qui tue quiconque ose la toucher), tandis que les personnages censés la représenter évoquent des fous de Dieu fanatiques (le prophète Nathan très inquiétant, incarné par Raymond Massey) ou des suiveurs aveugles et dénués de volonté propre, tel Urie, époux trompé et désintéressé de sa femme mais prêt à la tuer pour le principe. Globalement la religion apparait comme un dogme faisant fi des sentiments pour appliquer ses règles. D'un autre côté, le final où David fait la paix avec lui-même peut aussi suggérer que toute cette imagerie menaçante venait de son point de vue oppressé et rongé par la culpabilité.


L'esthétique du film participe de ce point de vue étouffant par une sobriété anti-spectaculaire, avec une Jérusalem guère imposante et le palais de David bien exigu. Volontaire ou pas, ce parti pris formel renforce l'intimité du récit et rend l'histoire d'amour entre Peck et Susan Hayward plus émouvante et réussie. Les instants les plus outranciers n'en paraissent d'ailleurs que plus forts, telle la conclusion où intervient enfin Goliath, David se remémorant son plus grand fait d'armes au moment de livrer un combat plus intérieur. La mise en scène ample de Henry King capte à merveille les errements des personnages avec quelques idées brillantes comme la colère de Dieu face aux péchés du roi, symbolisée par la destinée d'un père et de son fils berger subissant la loi des éléments, ou encore les dix dernières minutes d'une puissance et d'une intensité soufflantes durant lesquelles Peck apaise enfin ses tourments. Au final un vrai mélodrame réussi, qui se frotte avec brio au récit biblique pour un superbe et atypique péplum.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 4 septembre 2018