Production : William Perlberg (20th Century Fox)
Scénario : Ring Lardner Jr. d'après le roman de Margery Sharp
Image : Georges Périnal
Musique : Malcolm Arnold
Avec :
Dana Andrews (Henry Lambert/Gilbert Lauderdale)
Maureen O'Hara (Adelaide 'Addie' Culver)
Dame Sybil Thorndike (Mrs. Mounsey)
Fay Compton (Mrs. Culver)
A.E. Matthews (Mr. Bly)
Addie Culver, une jeune fille de la bonne société Londonienne a passé toute son enfance dans un hôtel particulier cossu situé juste en face d'une ruelle sordide, la Britannia Mews. Ses parents qui souhaitent parfaire son éducation font appel à un habitant de la ruelle, Henry Lambert, un artiste doué mais pauvre gagnant sa vie en donnant des cours de peinture. Il séduit la jeune femme qui décide de rompre avec sa famille lorsque ses parents refuse cette liaison. Elle épouse Henry et vient habiter la ruelle alors que ses parents partent s'installer à la campagne. Les années passent et le succès ne vient pas pour Henry, toujours occupé à parfaire le chef d'oeuvre qui le ferait remarquer. Au désespoir d'Addie, Il boit de plus en plus, multiplie les liaisons et cesse d'enseigner la peinture...
Attention : multiples spoilers mais c'est un film dont il est difficile de rendre compte sans livrer certaines informations qui vont troubler les gens désirant partir dans l'inconnu. Il existe deux versions de ce film de Jean Negulesco tourné à Londres : une version américaine (The Forbidden Street) et une version anglaise (Britannia Mews). Les deux sont semble t'il très différentes en raison de leurs montages réalisés par deux professionnels ayant travaillé isolément des deux cotés de l'Atlantique. Ne connaissant pas la version anglaise, je ne rend compte que de la version américaine. Ce film présente la particularité d'avoir été éreinté par son metteur en scène et par ses deux interprètes principaux mais il ne mérite pas selon moi les commentaires très négatifs qu'en aurait fait notamment Jean Negulesco dans son autobiographie (que j'ai lu mais je n'ai pas retrouvé mention du film dans ma relecture rapide du bouquin). Alors certes, c'est un film bancal et très étrange qui tient d'abord du mélodrame gothique…mais même cette partie est épicée d'un humour assez discret mais bien réel qui tire le film vers la satire sociale, puis au centre du film il tourne au film criminel avec la mort violente d'un des principaux protagonistes et l'irruption d'un témoin malveillant qui exercera un chantage sur Addie. Durant cette période transitoire qui est comme un passage vers la dernière partie, c'est le personnage de la maitre chanteuse qui devient le centre d'attraction notamment en raison de l'interprétation spectaculaire de Dame Sybil Thorndike et enfin le film nous réserve une dernière surprise, alors que l'on a d'abord l'impression que l'histoire va se répéter en raison de la personnalité du second compagnon d'Addie qui est la copie conforme -à plus d'un titre- du précédent, le film bascule assez brutalement et devient une comédie de moeurs assez détendue. Cette succession d'atmosphères rend le résultat final assez déconcertant mais pas inintéressant.
Negulesco parvient d'abord à créer un climat de mystère et d'inquiétude par ce qu'il nous montre du Londres victorien. En dehors d'Addie, le centre du film est bien la Britannia Mews, la ruelle qu'elle peut observer par la fenêtre de sa chambre d'enfant. C'est une vraie cour des miracles à l'anglaise peuplée de personnages sortis de Dickens portant pour certains des sobriquets imagés "the Blazer", "the Sow", mais il représente pour la petite fille que l'on découvre un monde fascinant et animé à l'opposé du monde sclérosé qui est le sien. Dès l'enfance, Addie est en rupture avec son milieu. Si son entourage manifeste de la répulsion envers le taudis, en dépit des consignes des gouvernantes interdisant aux enfants de s'y aventurer, la petite Addie est attirée irrésistiblement par la ruelle. Même si la beauté de cette laideur est évidente pour le spectateur en raison de la qualité du travail des décorateurs et celui encore plus spectaculaire du génial Georges Périnal, le directeur de la photographie, l'attirance éprouvée par la petite fille est un peu mystérieuse mais ce lieu représente pour elle l'exubérance et la vie pour celle qui est entouré d'êtres paralysés par les convenances (sa mère) ou étriqué, faible et dominé par son épouse (son père). C'est d'ailleurs au nom de cette rigueur et en raison des idées arrêtées de sa mère sur ce que doit être l'éducation convenable d'une jeune fille de la bourgeoisie qu'elle fait son malheur. C'est en effet, Henry, le peintre fauché vivant dans la ruelle, engagé pour donner des cours de peinture à Addie et à sa cousine, qui séduit la fille de la maison et provoque la rupture avec sa famille.
Cette première partie du film n'est pas seulement une critique sociale car derrière l'inquiétude et la gravité perce beaucoup d'ironie dans les portraits des parents mais Addie n'est pas épargnée non plus. Elle est montrée comme superficielle, incapable d'affronter sa mère et du coup, elle s'enfuit avec le premier venu, un artiste bohème et noceur, à l'opposé de son père, un rentier rabougri et quasiment gâteux. Henry met d'ailleurs en garde Addie qu'il ne fera pas un bon mari, rien n'y fera. Mais elle a beau vouloir fuir son milieu avec celui qui représente pour elle l'image de la liberté, un artiste, elle restera presque jusqu'au bout prisonnière de l'éducation qu'elle avait reçu et même dans la Britannia Mews, elle tentera de maintenir un semblant de confort et de tenue à la maison entourée de taudis. Elle restera toujours un peu déplacée dans ce milieu trop éloigné du sien…contrairement à Henry qui avait cru se sortir de la fange avec son art et qui le succès ne venant pas, y replongera de plus belle, se noyant dans l'alcool et finissant par ressembler à certaines épaves du voisinage fréquentant la taverne de l'allée.
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Comme je l'ai dit plus haut, alors que l'on a l'impression que l'histoire va se répéter et qu'Addie s'est encore trompé, Negulesco nous réserve une surprise car en dépit des apparences, et malgré des caractères très ressemblants, les deux hommes d'Addie sont en réalité très différents, le second étant une version positive du même homme. A ce titre, le choix de faire interpréter les deux personnages par le même comédien est justifié. Henry était un artiste idéaliste rêvant de perfection et du tableau qui le ferait remarquer, remaniant sans cesse la même oeuvre. Addie était tombé accidentellement sur une boite contenant des marionnettes de très belle facture qu'avaient réalisées Henry pendant ses années de formation à Paris mais s'il en avait été le créateur, il n'avait su qu'en faire. Or, c'est sur ces marionnettes que tombe un jour Gilbert. Il les tire de l'oubli et décide de se former pour un jour monter des spectacles de marionnettes…et il y parvient. Les spectacles montés par Gilbert obtiennent un grand succès et progressivement un public de plus en plus huppé se met à fréquenter la Britannia Mews…qui commence à se transformer...
Et c'est seulement après coup que l'on s'aperçoit qu'avec ses marionnettes, Negulesco et ses scénaristes avaient filé une métaphore tout du long, l'air de rien…On repense après la projection à ces grands bourgeois, marionnettes guidés par les convenances et les lois de leur milieu. On se souvient de la fenêtre de la chambre d'Addie qui offrait un cadre par lequel elle pouvait observer l'agitation attirante de la ruelle. On repense surtout aux petites filles alignés comme des poupées, cadrées immobiles dans la porte de pierre de la ruelle, entourées de gouvernantes à l'air sévère qui attendaient Addie au retour de son excursion dans la Britannia Mews alors qu'elle était enfant. On se souvient des marionnettes soigneusement façonnés par Henry et de son incapacité à se faire comprendre et accepter par les être humains qui l'entouraient, y compris par sa femme. Il est vrai qu'elle est bien rigide, bien malgré elle, Addie, et elle même était par moment montrée comme une poupée trop bien pomponnée dans une maison elle même trop bien tenue dans un environnement plutôt sordide (...et l'élégance de Maureen O'Hara tout du long est effectivement incongrue dans un tel contexte). Bref, je fais long mais je m'aperçois que je ne sais pas parler de ce film mais promis juré il est aussi décousu que ce texte mais pas aussi nul… que ce que Jean Negulesco a pu en dire. Ses mauvais films -et surtout les plus emmerdants- serait selon moi plutôt à rechercher parmi les plus connus. Je suis en tout cas d'accord avec Bertrand Tavernier qui trouvait que la plupart des grandes réussites du metteur en scène sont ramassées sur quelques années, du milieu des années 40 au milieu de la décennie suivante avec des pics qui seraient pour moi : Humoresque (1946), Deep Valley (1947), Johnny Belinda (1948), La femme aux cigarettes (1949) et Captives à Bornéo (1950) + quelques titres subsidiaires datant de la même période dont les deux films évoqués avant celui ci. Un mot sur le comédien principal. Je partage aussi l'avis de la biographe américaine de Dana Andrews, c'est sans doute le rôle le plus étrange qu'aura eu à jouer ce grand acteur (pour moi il l'est en tout cas) et il s'en tire très bien que ce soit en épave british ou en artiste pragmatique, s'appropriant et faisant fructifier le talent d'un autre qui était son double négatif ce qui lui permettra de remonter la pente et de lâcher progressivement la bouteille. Une performance réussie aussi par Dana Andrews dans la vraie vie !
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