


J'ai revu le film et continue de penser mot pour mot ce que j'avais écrit plusieurs mois auparavant. Petit copier-coller, donc.
Le Faux Coupable (The Wrong Man, 1957)
Encore une fois, Hitchcock surprend en livrant un exceptionnel film noir proche du documentaire, au premier degré constant. Pas d'humour, peu de musique, apparition hitchcockienne inhabituelle, tournage quasi intégral dans un New York oppressant, histoire tirée de faits réels : tout concourt à faire du Faux Coupable une œuvre très particulière, presque radicale, dans la filmographie du Maître. Tourné dans un noir et blanc magnifique mais également malaisant, ce film réaliste nous présente le chemin de croix de Manny Balestrero, modeste contrebassiste qui, identifié comme étant un braqueur, se retrouve empêtré dans une situation aux accents kafkaïens, et se voit contraint de gérer fébrilement l'écroulement de tous ses repères (superbe séquence d'incarcération) et de son monde, son épouse perdant peu à peu la raison alors que les coups du sort s'acharnent contre lui (identification formelle, décès de témoins-clés, difficultés financières, etc.). L'interprétation anxieuse d'Henry Fonda renforce cet espèce de sentiment implacable, le film s'apparentant souvent à une longue marche funèbre dans laquelle les symboles - finalement fragiles - du rêve américain (emploi, respectabilité, vie conjugale...) se retrouvent dynamités par une malencontreuse méprise ; à ce titre, la représentation sans fard (style documentaire oblige) de la décrépitude du couple formé par Fonda et Vera Miles, l'épouse fidèle et effacée dont l'esprit s'effondre face à une culpabilité imaginaire, prend réellement aux tripes et propose une véracité inouïe. Dans les méandres labyrinthiques de la Justice, le salut de Manny ne viendra en définitive que d'un ironique miracle divin, illustré par cette idée géniale de la surimpression des visages de Fonda, alors en train de prier devant un portrait du Christ, et du véritable voleur. Je citerai d'ailleurs l'article classikien qui résume parfaitement la chose : "Comme si, lorsque l’institution judiciaire était dans une impasse, seule la Justice Divine pouvait sauver l’innocent". La tétanisante scène finale, dans laquelle Mme Balestrero reste insensible à l'issue heureuse de son mari et reste prostrée, est un crachat final sur les conventions hollywoodiennes, qui, malheureusement, perd de sa force avec l'apparition du carton final, qui nous révèle la guérison de ce personnage quelques temps après, offrant ainsi une fin heureuse, optimiste, à ce sinistre voyage. J'aurais vraiment adoré que Hitchcock aille jusqu'au bout de son entreprise de démolition en règle, et achève son film sur une note ambiguë, voire désespérée, quitte à prendre ses distances avec les faits originaux. Malgré cela, Le Faux Coupable reste un très grand film, peut-être plus difficile d'accès que d'autres monuments hitchcockiens de la même période, en tout cas une œuvre audacieuse et inspirée dont on sent l'influence sur les générations de cinéaste européens et américains de la Nouvelle Vague.