Fritz Lang : rétrospective personnelle

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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someone1600
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par someone1600 »

Ca passe a quel canal le film dont vous parler... :?

Cinema de minuit ce n est pas diffusé au Canada a moins que ca passe a TV5 ou TFO... :?
The Eye Of Doom
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par The Eye Of Doom »

allen john a écrit : Je pense quand même que l'influence des feuilletons, en particulier ceux de Feuillade ou de Victorin Jasset, est prédominante ici, même si Lang a fait évoluer le genre et se l'est, au final, totalement approprié.
M le maudit a écrit :Oui, tu fais bien de noter cette dette de Lang envers les romanciers de feuilletons.

Fantômas ayant d'ailleurs fait grande impression sur un jeune Lang de passage à Paris.
L'hommage à Feuillade est direct puisque le plan d'ouverture de Mabuse où on le voit avec sous ses differents maquillages est une reprise de l'ouverture géniale de Fantomas où défile en alternance les visages méconnaissables de Fantomas et Juve.
Si Metropolis demeure d'une puissance visuelle stupéfiante, Mabuse est bien, malgré quelques infimes longueurs le chef d'oeuvre muet de Lang.
Je me souviens d'un plan qui m'a particulièrement etonné par son audace : celui où un personnage regarde par la fenetre puis sort de la piece , nous avons alors quelques secondes la suite du plan fixe de la piece vide et le personnage revient "en temps reel". Sorry je ne me souvient plus de l'intrigue ...
M le maudit
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

Les Nibelungen

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Scénario: Fritz Lang et Thea von Harbou
Année de sortie: 1924
Durée totale: 290 minutes


Première partie: Siegfried

Fort du succès retentissant de Docteur Mabuse le joueur, Fritz Lang entame tout de suite un nouveau projet d'une envergure encore plus titanesque: une adaptation cinématographique de la Chanson des Nibelungen, épopée médiévale allemande célèbre. Disposant d'un budget à la hauteur de ses ambitions, le réalisateur se lance corps et âme dans ce nouvel opus, si long qu'il dut être divisé en deux parties. La première, intitulée "Siegfried", raconte l'histoire de ce dernier, un héros sans peur et sans reproche qui s'est taillé une réputation béton en assassinant un dragon et en se baignant dans son sang. Or, ce jeune héros se rend à Worms pour y épouser Kriemhild, la soeur du roi et par le fait même la plus belle femme du monde. Mais ce ne sera pas chose facile! Cette première partie relate ses aventures.

Avec une liberté artistique aussi complète et des moyens financiers aussi généreux, Lang est probablement saisi de la folie des grandeurs. Ce film est, en 1924, l'équivalent des méga-productions hollywoodiennes, la comparaison avec le Seigneur des Anneaux étant inévitable. Une tonne de figurants sont mobilisés, des décors couteux sont érigés, un dragon de soixante mètres de long est même fabriqué! Rien n'arrête la vision de Lang. Il n'a qu'à demander et il reçoit. Les acteurs deviennent de plus en plus de simples pantins. Mais c'est sans doute le prix à payer pour réaliser un film de cette ampleur. S'il n'a pas toujours bien vieilli et si certaines scènes traînent parfois en longueur, ce premier morceau des Nibelungen conserve tout de même un rythme rapide et enchaîne les péripéties avec beaucoup d'énergie.

Le combat avec le dragon fait certes un peu sourire (il ressemble plus à une énorme peluche), mais on ne peut toutefois qu'admirer l'initiative, qui pour l'époque est une réussite totale, et si je ne m'abuse une première dans le genre. La scène où Siegfried s'empare du trésor des Nibelungen est également de toute beauté, ainsi que celle, mémorable, de la traversée du lac de feu. Pour un film qui a plus de 80 ans, les effets spéciaux sont toujours impressionnants. Les talents de conteurs de Lang et von Harbou sont également indéniables. Difficile de garder l'intérêt du spectateur aussi longtemps, mais le pari est remporté. Le texte source est traité avec beaucoup de respect par les deux auteurs qui s'efforcent d'en transposer l'essentiel sans trop verser dans l'excès. Quelques choix de casting un brin douteux (la "plus belle femme du monde" ressemble à un homme...), mais dans l'ensemble, l'histoire de Siegfried est prenante, bien qu'il faille être tolérant au fantastique pour l'apprécier pleinement.

Seconde partie: La vengeance de Kriemhild

Centrée, comme l'indique explicitement le titre, sur la revanche de Kriemhild, cette seconde et dernière partie de la saga des Nibelungen n'est pas aussi constante que la première, mais frappe parfois plus fort. Épousant sans amour Etzel, roi des Huns, la veuve éplorée décide, pour célébrer la naissance de leur enfant, d'inviter son ancien clan au château. Loin d'avoir pardonné le meurtre de son bien-aimé Siegfried, la reine se lance dans une insatiable quête de vengeance qui se terminera en véritable bain de sang. D'ailleurs, la loyauté du clan Nibelungen envers un meurtrier ignoble, infanticide par-dessus le marché, est bien difficile à comprendre. Il y a là un sous-texte patriotique évident mais peu crédible. Les combats sont d'ailleurs d'un pèle-mêle étourdissant, Lang n'y ayant pas été de main morte sur le nombre de figurants.

Ce qui fait la relative faiblesse de cette seconde partie, c'est surtout qu'en comparaison avec la première, elle est bien pauvre en rebondissements. Beaucoup de longueurs, la scène finale du combat étant même parfois victime d'une certaine redondance. Toutefois, l'aspect drame épique de l'oeuvre est très réussi. Kriemhild, bien que n'affichant qu'une seule expression faciale, est convaincante dans le rôle de la névrosée qu'aucune morale ne saurait arrêter. Quant au personnage du roi Gunther, son entêtement stupide à défendre le meurtrier ignoble de son beau-frère et de son neveu agace tellement que le plan de sa tête tranchée est tout simplement jouissif.

Des décors encore une fois grandioses, des costumes remarquables, mais des lacunes notoires au niveau du scénario dont la longueur n'est pas justifiée par le contenu. Il faut donc en quelque sorte prendre son courage à deux mains pour s'attaquer à cette deuxième partie, mais ses qualités artistiques en valent le détour, en plus d'offrir une conclusion pour le moins étoffée à la triste saga des Nibelungen. Déconseillé aux impatients.
Dernière modification par M le maudit le 31 déc. 08, 21:44, modifié 1 fois.
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Watkinssien
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Watkinssien »

Die Nibelungen est, en ce qui me concerne, la première grande oeuvre majeure d'heroic fantasy.

En recréant visuellement la légende, Fritz Lang en profite pour faire des recherches époustouflantes sur l'architecture et les décors qui complètent la forme d'une mise en scène superbe, où règnent compositions de cadre, élans expressionnistes, sens de l'atmosphère et caractére épique.

Puissant !
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par allen john »

M le maudit a écrit :Les Nibelungen
Première partie: Siegfried

dans l'ensemble, l'histoire de Siegfried est prenante, bien qu'il faille être tolérant au fantastique pour l'apprécier pleinement.
Dans la tradition Langienne, les deux parties sont bien différentes. Celle-ci est ma préférée, la plus riche en grands moments aussi. C'est amusant lorsaue tu parles de fantastique, je réalise que j'ai toujours cru au film: c'ets un vrai dragon, Siegfried devient vraiment invisible, etc... La puissance de Lang? Un Paul Richter vraiment convaincant? Bien beau film en tout cas, du moins pour l'instant... :mrgreen:
Bugsy Siegel
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Bugsy Siegel »

Watkinssien a écrit :Die Nibelungen est, en ce qui me concerne, la première grande oeuvre majeure d'heroic fantasy.
Peut-être même la première oeuvre cinématographique d'heroic fantasy tout court.
on faisait queue devant la porte des WC comme au ciné lors du passage de l'Atlantide à l'écran. Jean Ray, Hôtel de Famille, 1922
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

Premier post mis à jour et post sur Les Nibelungen complété.
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

Metropolis

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Scénario: Thea von Harbou et Fritz Lang
Année de sortie: 1927
Durée actuelle: 120 minutes


Après la période de crise économique qui sévissait toujours lors de la création des Nibelungen, le marks reprend de la valeur en Allemagne, ce qui donne un second souffle à son industrie cinématographique. Parallèlement, Thea von Harbou publie, d'abord dans un journal, puis sous forme de livre, un roman qui deviendra la base de son prochain scénario, et donc de la prochaine réalisation de son mari: Metropolis. Le livre raconte l'histoire d'un jeune homme qui, dans une ville futuriste dominée par son père, qu'une classe ouvrière travaillant sous terre fait fonctionner, se soulève contre les injustices sociales après avoir fait la rencontre d'une belle étrangère aux propos pacifiques. Mais les choses tournent au vinaigre lorsque son père fait appel à un scientifique fou pour donner à un androïde la forme de cette femme afin de semer la discorde dans la société des travailleurs.

Avant de commencer le tournage, Lang voyage aux États-Unis avec le producteur Eric Pommer et y puise une foule d'idées pour les décors et l'ambiance de son prochain film. C'est pourquoi la ville étouffante de Metropolis, avec ses grattes-ciels compacts et son immense "Nouvelle Tour de Babel", parait étrangement crédible pour le spectateur moderne. Fritz Lang apparait alors comme un véritable visionnaire, érigeant sous nos yeux ébahis l'ébauche, certes exagérée mais aussi effroyablement réaliste, d'un monde qui est finalement bien près du nôtre, dans toute son excessive démesure. Le thème de la vision est d'ailleurs fort important dans Metropolis, qui les déploie en grande pompe. D'abord la vision du Moloch, véritable calvaire pour la horde de figurants sous-payés, forcés de patienter presque nus dans un hangar mal chauffé, sous les aboiements d'un Lang toujours insatisfait, puis celle de la tour de Babel, qui vient montrer toute la contradiction ridicule de ce nouvel édifice qui est son homonyme, puis les hallucinations de Freder qui prédisent une mort imminente pour la citée de son père.

Pour donner vie à ses visions, Lang emploie au total 35 000 figurants, et le film, qui devait coûter 1,5 million de marks, en coûte finalement six... La UFA joue le tout pour le tout, mais le succès est moindre, et les producteurs retirent rapidement le film des salles pour le présenter dans une version écourtée et déroutante qui le rendra tout simplement banal, voire inintéressant et même difficile à comprendre. Il faut bien l'avouer, l'intrigue est loin d'être la force de Metropolis, et cette nouvelle version commercialisée aux États-Unis, remontée pour rappeler encore davantage l'histoire de Frankenstein, confond encore davantage le spectateur qui n'y voit qu'un étrange film un peu décousu. Si Metropolis est aujourd'hui un film légendaire, c'est peut-être davantage à cause de son influence sur des oeuvres subséquentes que pour ses qualités narratives propres. L'histoire, de manière générale, n'est jamais tout à fait à la hauteur de son visuel à couper le souffle et de sa réalisation inventive. La "morale" sociale qu'on nous impose dans non pas un, mais quatre intertitres fatigue également un peu. Mais la beauté de sa facture et le foisonnement des idées qui composent Metropolis lui assurent une place de premier rang dans l'histoire du cinéma.
Dernière modification par M le maudit le 4 janv. 09, 18:31, modifié 1 fois.
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Watkinssien
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Watkinssien »

Le scénario de Metropolis est signé Thea von Harbou et Fritz Lang. Cette chère Thea était l'épouse du cinéaste. En 1927, l'extrême-droite commence à faire vraiment pression sur la pauvre République de Weimar. Fritz Lang avait, sur le tournage, une conception différente de cette fin qui lui posait problème.
En effet la fin envoie ce message : il faut un médiateur entre le cerveau et la main et ce médiateur doit être le coeur. Cette morale a pris une signification particulière et véhiculait une certaine idéologie précursive du régime nazi. Ainsi la volonté de commander avec intelligence toutes classes sociales.
Thea von Harbou, nationaliste-socialiste convaincue, avait donc conçu cette approche avec beaucoup d'esprit visionnaire. Lang, antinazi, et cinéaste de "gauche", a tenté de gommer ces différents aspects, mais pas totalement sur la fin. C'est pourquoi, la fin posait problème.
Aujourd'hui, quand on voit cette merveille, la fin est , de très loin, la moins importante des notions du film. Lang, n'étant pas convaincu que la fin aboutirait à une quelconque valeur artistique, décida de faire de Metropolis , une vision de la déshumanisation, en éjectant des allusions fortes et subversives sur le devenir du monde. Sa mise en scène architecurale hallucinante, son regard anticipateur, sa violence et son érotisme, son catalogue impressionnant de nombreux codes propres à ce genre formidable qu'est la science-fiction, son thème de la dualité et du manichéisme (propre à cette Allemagne naissante des années 20/30), sont les principales composantes qui sautent aux yeux de ce film et ce sont ces vecteurs qui apportent, force, style et modernité à ce bijou.
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cinephage
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par cinephage »

M le maudit a écrit :Les Nibelungen

Seconde partie: La vengeance de Kriemhild

Ce qui fait la relative faiblesse de cette seconde partie, c'est surtout qu'en comparaison avec la première, elle est bien pauvre en rebondissements.
Je réagis sur cette remarque, parce qu'elle pourrait sous-entendre un contresens propre à l'habitude cinématographique : si la saga des Nibelungen ressemble aussi à un film d'aventure (surtout la première partie), il s'agit avant tout d'une tragédie. Dans une tragédie, c'est la mécanique humaine qui est à l'origine du drame, pas la péripétie. Le roi ne peut faire autrement que de défendre son trone, ou défendre son vassal, parce qu'il y va de son honneur... Krimhild ne peut faire autrement que d'aller au bout de sa vengeance, et les Nibelungen de la servir, parce que le serment en a été fait.
On n'est pas surpris, on ne se demande pas ce qui va se passer, dans la tragédie, mais on assiste impuissant au déchirement des hommes esclaves de leur devoir et de leur destin.

Le cinéma n'est pas riche en véritables tragédies, mais je crois que c'est ainsi qu'il faut apprécier les Nibelungen, plutôt que comme un film d'aventure ou d'heroic fantasy à proprement parler (même s'il en contient la plupart des codes). Lang pensait forcément à l'oeuvre wagnérienne lorsqu'il a tourné ce dyptique, une oeuvre tragique s'il en est. Il a enrichi la geste d'épisodes aventureux et d'éléments fantastiques originaux et surprenants, exploitant avec finesse la richesse du cinéma, mais ne l'a pas, je crois, trahie dans sa nature tragique. D'où un manque de péripéties ou de rebondissements sur une seconde partie qui n'est, à mon sens, pas un défaut.

Par ailleurs, la quasi-totalité du public connaissait par coeur l'histoire classique. L'enjeu du film ne pouvait en être de le surprendre.
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

Effectivement, ma phrase tendait à affirmer que le manque de péripéties était un défaut, et c'est un peu l'impression qui m'est restée après un premier visionnement, sans doute parce que j'étais imprégné du ton donné dans la première partie, qui se rapprochait davantage de la heroic fantasy que de la tragédie à proprement parler. J'avais donc l'impression qu'une cassure un peu brusque s'opérait entre les deux parties, et puisque je m'attendais à une construction semblable à la première, j'ai trouvé le tout un peu moins prenant.

Il est vrai cependant que considérée comme une tragédie dans le plus pur style de l'art, cette seconde partie est très efficace. Elle demeure de toute façon bien ficelée, le but de mon propos n'était pas de la discréditer, mais simplement de noter mes impressions premières. J'ai réagi à ce relatif changement de registre un peu négativement, mais certains spectateurs pourraient avoir la réaction contraire. Un deuxième visionnement susciterait sans doute une opinion différente.
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Bugsy Siegel »

cinephage a écrit :Il a enrichi la geste d'épisodes aventureux et d'éléments fantastiques originaux et surprenants
Lesquels ?
on faisait queue devant la porte des WC comme au ciné lors du passage de l'Atlantide à l'écran. Jean Ray, Hôtel de Famille, 1922
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par cinephage »

Bugsy Siegel a écrit :
cinephage a écrit :Il a enrichi la geste d'épisodes aventureux et d'éléments fantastiques originaux et surprenants
Lesquels ?
A mon tour d'avoir tapé un peu vite...
J'entendais par là un enrichissement visuel, par l'ajout d'éléments visuels. La géométrie des plans et le hiératisme de certains effets, sans être des détournements de la chanson, l'enrichissent et lui apportent un surcroit de force visuelle tout à fait original. C'est de cet enrichissement visuel que je voulais parler (ma connaissance de la chanson elle-même n'est hélas pas assez pointue pour indiquer telle ou telle différence précise, et c'est la chanson elle-même qu'a adaptée Lang, pas le Ring de Wagner, plus cosmique (Wotan, le Ring lui-même...)).

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Cela dit, suite à ta question, j'ai été me plonger dans une encyclopédie pour y relire un résumé de la chanson, et force est de constater que l'adaptation de Lang est extrêmement fidèle à la Chanson des Nibelungen (à l'exception de sautes de temps qu'il a abrégées, ainsi, dans le texte, 10 ans séparent la nuit où Siegfried maitrise Brunhild et l'altercation devant l'église). Totalement le contraire de ce que pouvait laisser entendre mon intervention... :oops:
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

Les Espions

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Scénario: Fritz Lang et Thea von Harbou
Année de sortie: 1928
Durée: 143 minutes


Plusieurs ouvrages et diverses sources de référence passent par-dessus Spione comme s'il n'avait à peu près jamais existé. On se contente bien souvent de dire qu'il s'agit d'un film d'espionnage dans la veine de Dr. Mabuse le joueur et qu'il fut créé pour essuyer l'échec commercial de Metropolis. Situé donc entre ce dernier et La Femme sur la lune, dernière oeuvre muette de Lang, Spione se trouve dans une zone d'ombre que peu de gens se donnaient la peine d'éclairer, du moins jusqu'à tout récemment. De nouvelles éditions américaines et européennes de ce "petit film" ont finalement permis de le visionner dans toute sa gloire, plutôt que dans la version américaine massacrée de 90 minutes.

Il est vrai que Spione peut en quelque sorte être vu comme le petit frère de Dr. Mabuse le joueur. On y retrouve une fois de plus Rudolf Klein-Rogge dans le rôle d'un puissant vilain aux multiples visages qui trône sur une organisation d'espions complexe et hyper-puissante. Cependant, étant deux fois moins long que son prédécesseur, le rythme du film est beaucoup plus rapide et les coins sont tournés un peu plus rondement. Il n'en demeure pas moins que Spione est l'ancêtre de tout film d'agent secret dans la règle du genre: un courageux agent qui porte un numéro, un vilain handicapé aux desseins les plus noirs, son acolyte femme fatale qui tombe amoureuse du héros, des poursuites en voiture, une scène de train, bref, tout y est!

C'est peut-être d'ailleurs la légère faiblesse du film: un peu trop de "twists and turns" pour sa durée et une intrigue qui s'égare quelque peu. Mais ce détail est largement rattrapé par une multitude de scènes mémorables, de celle d'ouverture qui jette en une minute les bases de l'action, en passant par le match de boxe au dance hall et le rituel seppuku, jusqu'à la finale un peu burlesque mais très efficace. Une chose est certaine, on n'a pas le temps de s'ennuyer. Lang fait encore la démonstration de son flair naturel de conteur en alternant scènes d'amourettes et d'actions, scènes d'orchestration machiavélique et scènes d'enquêtes avec un timing presque impeccable.

Sur le plan artistique, Lang se montre ici en parfait contrôle de son navire. Grâce à la collaboration de l'illustre directeur photo Fritz Arno Wagner, responsable de la photographie du Nosferatu de Murnau, et avec qui Lang travailla entre autres sur Der Müde Tod, le film atteint une perfection plastique qui inspirera grandement le film noir américain, encore davantage peut-être que Mabuse le joueur. La réalisation est toujours aussi audacieuse, et l'insouciance de Lang envers les conventions du récit traditionnel confère au film un petit quelque chose de plus, sans doute cette épice langienne qui fait de Spione plus qu'un simple film d'espionnage, mais bien un monument du genre.
M le maudit
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

La Femme sur la lune

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Scénario: Fritz Lang, Thea von Harbou et Hermann Oberth
Année de sortie: 1929
Durée: 169 minutes


Deux ans après Metropolis, Fritz Lang convainc la UFA d'investir dans un autre film de science-fiction, encore plus audacieux que son prédécesseur. Dans le rôle du héros et de l'héroïne, le réalisateur fait de nouveau appel au duo de Spione, Willy Fritsch et Gerda Maurus. Basé sur un roman de son épouse Thea von Harbou, Frau im Mond raconte l'épopée d'un équipage qui voyage sur la lune dans le but d'y trouver de l'or, alimenté dans cette croyance par les théories du professeur Manfeldt, un scientifique controversé et ridiculisé par ses pairs. Seulement les choses tournent au vinaigre quand une organisation de richissimes hommes d'affaires force le chef de l'équipage Helius à intégrer au voyage l'un de leurs représentants, l'abject Turner, probablement l'un des vilains les plus détestables et nauséeux de l'histoire du cinéma, interprété avec brio par Fritz Rasp. Ajoutez à la sauce un triangle amoureux impliquant Helius, son meilleur ami Windegger et la fiancée de ce dernier, et vous avez les ingrédients de base de ce film aux proportions épiques, dans le plus pur style de la période muette de Lang.

Peut-être encore davantage que Metropolis, ce film jette les bases d'une foule d'archétypes de la science-fiction, et traverse même le monde de la fiction pour résonner dans la réalité. En effet, Frau im Mond présente en primeur une foule d'éléments aujourd'hui intégrés dans l'imaginaire collectif: premier compte à rebours, concept inventé pour ce film dans le but d'alimenter le suspense, première fusée en deux parties et première représentation de l'absence de gravité dans l'espace. Pour s'assurer que son film soit scientifiquement crédible, Lang a fait appel à Hermann Oberth, astronome réputé, comme conseiller technique. Vingt-sept ans donc après le Voyage sur la lune naît un autre film sur le sujet, qui le traite cette fois avec plus de sérieux et qui étonne encore par sa dimension prophétique. Toute la scène du voyage vers la lune et de l'atterrissage est un sommet de suspense et de réalisation. Le film vaut la peine d'être vu ne serait-ce que pour elle. Les effets spéciaux sont également d'une grande ingéniosité. Le gros budget de la production transparaît aussi dans les décors qui sont de toute beauté.

Il est par contre surprenant de constater que malgré tout le souci de Lang pour rendre son film scientifiquement crédible, il ait laissé passer tant d'éléments risibles au niveau du scénario. Il est peu probable que la première fusée à voyager dans l'espace compte à son bord un vieil homme sénile qui risque de compromettre le bon déroulement des choses par son entêtement et ses sautes d'humeur. On peut d'ailleurs penser qu'une expédition de cette ampleur ne peut s'organiser si rapidement, et que ceux qui la financent voudraient au moins s'assurer qu'elle est menée par un équipage compétent. Mais puisqu'il s'agit au fond de science-fiction et non de documentaire, laissons passer ces détails qui ne sont au fond que des éléments cinématographiques destinés à satisfaire les goûts du public. Mais même l'intrigue entre les deux hommes qui se battent pour la femme est menée de façon un peu bâclée. À aucun moment ne donnent-ils l'impression d'être de meilleurs amis. Le jeu des acteurs est d'ailleurs très inégal, les exagérations expressionnistes de Willy Fritsch détonnant avec l'incarnation subtile et plus moderne de Gerda Maurus.

Mais tenons-nous le pour dit, ce film est un bijou en soi, et malgré ses nombreux défauts on ne peut que se demander pourquoi il n'a pas davantage retenu l'attention. Frau im Mond obtiendra un succès moyen au box-office, le public se détournant déjà du film muet qui lui paraît vétuste. Ce sera d'ailleurs le dernier film muet de Lang et le dernier film muet à être réalisé en Allemagne. Suite aux pressions de la UFA pour sonoriser le film, Lang se brouille avec ses producteurs et rompt son contrat avec la compagnie. Vers la fin des années 30, la Gestapo s'empare des copies et les détruit parce que la fusée ressemblait trop à leur goût à celles qui ont été expérimentées pendant la seconde guerre mondiale. Triste destin pour un grand film qui n'a pas fini de surprendre et de cimenter sa place dans le panthéon des grandes oeuvres visionnaires.
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