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Critique de film
Le film

Les Quatre plumes blanches

(Four feathers)

L'histoire

À la fin du XIXe siècle, quatre jeunes gens sortant d'une école militaire doivent rejoindre leurs unités au Soudan, pendant la guerre des Derviches. L'un d'eux démissionne la veille du départ. Les trois autres ainsi que sa fiancée lui remettent chacun une plume blanche, symbole de lâcheté. Il va tout faire pour prouver son courage et leur restituer les plumes blanches.

Analyse et critique

Quatrième et réputée meilleure des sept adaptations du roman d’A.E.W. Mason, Four Feathers est une des plus célèbres et spectaculaires productions Korda. C'est aussi l'un des plus fameux odes à l'armée et l'impérialisme britannique dont l’exploitation arrive à un moment clé pour le pays. Les tensions sont alors déjà grandes en Europe avec une Allemagne qui avance ses pions, indifférente à la molle désapprobation de ses voisins. Le 12 mars 1938, c’est l’Anschluss avec l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie bientôt suivie par les invasions de la Bohême, de la Moravie et de la Pologne le 3 septembre 1939, provoquant le début de la Deuxième Guerre mondiale. Les Quatre plumes blanches sort le 20 avril 1939, soit au croisement de ces divers évènements majeurs. Lancer une adaptation du roman de Mason permet ainsi de redorer le blason d’une Angleterre incapable de freiner les ambitions allemandes, et de célébrer le courage d’une armée britannique qui saura répondre présent au moment d’une guerre qui se profile inexorablement.

Si la production cinématographique n’a pas encore été reprise en main par le département d’Etat, Korda anticipe la démarche qui aura cours durant les années 40 avec les films de propagandes anglais qui fleuriront à ce moment-là, dont son propre Lady Hamilton usant du cadre des guerres napoléoniennes pour inciter les Etats-Unis à s’impliquer dans le conflit. Il faut pourtant se souvenir que ce cinéma anglais des années 40 représente à ce jour le seul exemple de production de propagande qui réussit à délivrer des œuvres artistiquement brillantes, car exprimant leur message avec intelligence (notamment en passant par le mélodrame, plus susceptible d’éveiller l’empathie qu’un simple message belliqueux), et surtout par une subtilité n’hésitant pas à égratigner cette identité anglaise pour mieux l’encenser. On pense bien sûr au Colonel Blimp où la commande à la gloire d’un officier anglais est habilement détournée par Powell et Pressburger, ou encore le Went the Day Well de Calvacanti où l’invasion allemande d’un village anglais est causée par une indolence toute britannique.

Les Quatre plumes blanches annonce donc cette démarche. Sous l'exaltation, la fierté du drapeau s'avère plus subtile qu'il n'y parait par l'entremise de son héros. Harry Faversham (John Clements) est le dernier descendant d'une famille à la longue lignée militaire et héroïque. Baigné depuis sa plus tendre enfance dans les récits des haut faits guerriers de ses ancêtres, il n’en aura pas été positivement marqué, comme va le souligner la remarquable scène d'ouverture. Notre héros assiste adolescent à une réunion d’anciens camarades de régiment, entre son père et ses amis ; et celui-ci pour fortifier son fils qu'il juge trop mou (le malheureux aime lire de la poésie, sacrilège) exhorte ses amis à le terroriser avec de tragiques histoires sur le sort dramatique des lâches au combat. Faversham en restera traumatisé et plus effrayé par l'idée de sa possible lâcheté (et de ne pas être à la hauteur) que de la réalité du front.

Le film souffle ainsi le chaud et le froid dans ses velléités de patriotisme. La veille du départ de son unité pour l'Afrique et la reprise de Khartoum (perdue 10 ans plus tôt), Faversham démissionne car il n'estime pas croire en ce culte belliqueux. Humilié par ses amis qui lui envoient quatre plumes blanches (symboles de lâcheté) et abandonné par sa fiancée, il décide finalement de partir affronter ses peurs et rejoindre ses camarades. On peut donc autant voir un cheminement personnel qu'une célébration de l'armée à travers Faversham. D'ailleurs l'aspect nationaliste n'est pas sans ambiguïté (même si l'on est loin de la finesse d'un Colonel Blimp, c'est tout de même l'aventure qui prime). Que dire de cette fiancée en apparence progressiste mais qui se détourne de son homme dès qu'il renonce à l'uniforme ?

De même, le vieux général va-t-en-guerre excellemment joué par C. Aubrey Smith, sous ses airs virils, a bien du mal à retenir ses larmes lors du départ de son propre fils au front. Le sort des protagonistes questionne également la nature de vrai héros. Ralph Richardson (superbe de romantisme tragique), archétype de l'officier anglais charismatique, poursuit cet idéal jusqu'à la folie en masquant sa cécité à ses hommes et finira seul tandis que la gloire adviendra à celui qui aura su se montrer humain et accepter ses failles. Cet équilibre semble dû aux volontés divergentes du producteur Alexander Korda et de son frère Zoltan à qui il avait confié la réalisation. Le premier, plus anglais que les Anglais malgré ses origines hongroises, souhaitait une pure célébration de la gloire britannique tandis que le second était plus intéressé par la description du cadre dépaysant et des populations locales.

Le film possède ainsi un ton guerrier et exaltant mais pas excessivement manichéen (moins qu'un Zoulou en tout cas, même si la fin de ce dernier atténuait cela) malgré des Arabes bien évidemment dépeints comme sanguinaires et barbares. Faversham grimé en Sangali fait ainsi comprendre les maltraitances endurées par ce peuple tout en nous faisant quitter l'unique point de vue britannique pour une traversée de ce pays foisonnant au climat brûlant. Il faudra sans doute attendre David Lean et son Lawrence d'Arabie pour voir le désert filmé avec autant de puissance. Zoltan Korda déploie une mise en scène ample (plan large avec sable à perte de vue impressionnant) et hypnotique (on est accablé avec Ralph Richardson lorsque le soleil de plomb lui ôte la vue) où il exprime la touche exotique autant dans l'approche picturale que "documentaire" et naturaliste.

Formellement le résultat est somptueux avec la crème des techniciens de l'époque dont un Andre de Toth à la seconde équipe, Jack Cardiff assistant Georges Périnal à la photo, Vincent Korda aux décors et un Miklós Rózsa qui pour sa première production d'envergure délivre un formidable score épique. Les morceaux de bravoure sont grandioses et disséminés avec intelligence. On retiendra une étouffante traversée du désert, un lendemain de défaite aux allures d'apocalypse avec vautours picorant un monceau de cadavres et surtout une extraordinaire bataille finale, spectaculaire et aux multiples rebondissements. L'assaut de l'innombrable armée ennemie face aux Anglais solidement campés sur leur position, agrippés à leurs fusils, fait vraiment son petit effet.

L'euphorie de la fierté retrouvée le dispute à une certaine mélancolie lors de la conclusion quant au sort de Ralph Richardson. Le tout s'achève cependant sur une touche mordante en remettant en cause avec humour l'héroïsme de la bataille de Baclava qui nous aura été asséné plusieurs fois durant le film. Désormais, les vrais héros sont ceux dont on vient d'admirer les exploits et écrire leur propre légende. Parmi les autres versions, la suivante de 1955 fut même réalisée par Zoltan Korda à nouveau en collaboration avec Terence Young, une en 1977 avec Beau Bridges et Jane Seymour, et la plus récente et plutôt sympathique date de 2002 avec le regretté Heath Ledger en héros. Par sa contextualisation, son souffle épique et sa flamboyance visuelle, le film de 1939 s’avère toujours la plus définitive.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 8 janvier 2013