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Critique de film
Le film

Le Signe de la croix

(The Sign of the Cross)

L'histoire

En 64 après Jésus-Christ, l'empereur Néron (Charles Laughton) ayant mis Rome à feu et à sang décide de condamner tous les chrétiens en ordonnant leur élimination complète. Cependant, Marcus, le préfet de Rome, tombe sous le charme de Merci (Elissa Landi), Celle-ci, une douce et fidèle chrétienne, n'a pas l'intention de renoncer à la foi, même contre l'amour absolu de Marcus.

Analyse et critique

Pour le cinéphile, le nom de Cecil B. DeMille est souvent synonyme de gigantisme grâce aux épopées spectaculaires aux budgets pharaoniques que sont Les Dix Commandements, Samson et Dalila ou, dans un registre plus contemporain, Sous le plus grand chapiteau du monde. Des films plus rares et désormais plus facilement accessibles (notamment issus de sa période muette) ainsi que la rétrospective ayant eu lieu à la Cinémathèque française en 2008 montrèrent que le réalisateur était bien plus complexe que cette image d’entertainer, en bien comme en mal d'ailleurs. Parmi les chrétiens les plus affirmés et fervents de Hollywood, DeMille sous le grand spectacle affirmait ses penchants très à droite - cf. le révisionnisme de l'excellent film d'aventures Les Conquérants du Nouveau Monde (1947) - ainsi qu'une certaine fascination pour la violence et le sadisme. Reviennent alors à l'esprit quelques moments outranciers tels que l'orgie païenne au veau d'or dans Les Dix Commandements (version 1956) ou encore des passages forts coquins de sa relecture de Cléopâtre (1934).

S'il y a bien un film montrant l'ambivalence de Cecil B. DeMille, c'est Le Signe de la croix. Plongée dans l'enfer de la persécution des chrétiens sous la Rome de Néron, le film oppose donc la piété à toute épreuve des croyants à la décadence des Romains. La surprise est surtout provoquée par l'outrance et la démesure employées pour illustrer ces dernières. La vérité sacrée détenue par les chrétiens est assénée avec emphase tout au long du film par un DeMille qui appuie la symbolique (le signe de croix se fondant constamment de manière inattendue et inventive à l'image), par des scènes de sermons fiévreuses où les croyants ne forment plus qu’une entité pieuse (la réunion secrète dans les ruines ponctuée de chants) et surtout la personnalité de son héroïne Merci (Elissa Landi). La foi s'avère plus forte que la mort lors d'un final poignant où elle préfère mourir plutôt que de renoncer à ses convictions et sauver sa vie en fuyant avec Marcus. Lors du générique de fin, on a même droit au logo de la Paramount illuminé par un halo divin...


Si ce n'était que cela le film serait finalement bien conventionnel mais DeMille craque totalement dans sa description de la luxure romaine. Cléopâtre et Les Dix Commandements (version 1923) comportaient, comme déjà évoqués, leurs moments déviants mais rien qui ne nous préparait à la folie du Signe de la croix, décomplexée par la permissivité de l’ère pré-Code. On découvre entre autres une Claudette Colbert  tout en séduction provocante et explicitement nymphomane et bisexuelle. Ainsi lors d'une scène des plus érotiques, on la découvre - nue et exhibant fièrement sa poitrine - prenant un bain de lait d'ânesse entourée de servantes, qu'elle congédiera bientôt pour inviter l'une d'entre elles à la rejoindre... Le Néron campé par Charles Laughton est, quant à lui, un souverain nonchalant et influençable bouffi d'excès et de violence ; le physique poupin du comédien renforce son côté perverti tandis que la cour de Rome semble n'être qu'un nid de vipères partagées entre les intrigues de palais et les orgies. Cette approche atteint son summum lors de la dernière demi-heure où l'on assiste aux jeux du cirque des Romains, un monument de barbarie avec des affrontements sanglants entre gladiateurs, des femmes et des enfants livrés en pâture à des lions, crocodiles et ours affamés, des hommes ayant la tête écrabouillée par des éléphants...


DeMille anticipe même les écarts du Tinto Brass de Caligula (1979) lors d'un affrontement entre des Pygmées d'Afrique et des gladiatrices, celles-ci les jetant dans les airs pour qu’ils s’empalent sur leurs lances - des séquences supprimées avec l’application du Code Hays à partir de 1938 pour les ressorties et réintroduites en 1993. Le propos s’avère incertain entre critique et jubilation manifeste : le cinéaste multiplie les contre-champs sur le public hilare, ne contredisant pas la dimension "ludique" du spectacle. Drôle de démarche où le réalisateur titille paradoxalement nos bas instincts dans ce qu'il veut dénoncer par sa mise en scène. On ne retrouve un semblant de sobriété que lors du sacrifice final des chrétiens jetés aux lions qui nous est montré hors champ, le plaisir impie pouvant donc être explicite quand la grâce dans la douleur sera suggérée. La promesse d'un ailleurs plus clément s’oppose à l’enfer d‘un présent impitoyable, mais les excès de DeMille rendent le message flou. La ferveur religieuse à la limite de la niaiserie fonctionne grâce à l’implication dégagée par le couple Fredric March / Elissa Landi. Leur destin n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui des amoureux du futur Quo Vadis de Mervyn LeRoy, le roman de Henry Sienkiewicz (adapté en version muette en 1902 et 1912) ayant d’ailleurs été publié simultanément à la pièce de Wilson Barret qu’adapte DeMille. Mais là où LeRoy fera preuve d’un certain équilibre dans Quo Vadis (Peter Ustinov dans une prestation voisine de Laughton endossant à lui seul cette dépravation romaine), Cecil B. DeMille fascine par ses écarts et son mauvais goût dont l’expression est la raison d’être du film face à un message religieux prétexte. Le cinéaste supposé le plus pieux est donc l’auteur des séquences parmi les plus tordues du cinéma classique dans une fascinante schizophrénie.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 4 février 2019