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Critique de film
Le film

Le Fouet d'argent

(The Silver Whip)

L'histoire

Le jeune Jess (Robert Wagner) est sur le point de quitter la région. En effet, alors qu’il a toujours rêvé de conduire une diligence sur une grande ligne, il doit depuis plusieurs années seconder un vieil homme sur une antique patache sillonnant une piste sans aucune étape d’importance et avec seulement deux mules pour la tirer. Sa fiancé qui souhaite au contraire le garder près d’elle, demande à Race (Dale Robertson) - qui travaille dans la même société de diligence en tant que "garde du corps" - d’intercéder en faveur de son amoureux. Race réussit à persuader le surintendant de laisser sa chance à Jess de conduire un important chargement d’or jusqu'à Silver City sur une ligne de grande envergure. Mais, suite à une indiscrétion qui met la puce à l'oreille d'un dangereux gang, la diligence est attaquée lors d’une halte à un relais et les passagers tués dont la promise de Race. Ce dernier en veut à Jess d’avoir préféré lui porter secours plutôt que de mettre les passagers à l’abri, et part avec des idées de vengeance à la recherche des trois meurtriers ayant survécu à la fusillade sanglante. De son côté, le jeune homme, qui n’a pas la conscience tranquille, s’engage auprès du shérif (Rory Calhoun) pour poursuivre les bandits en essayant de les appréhender avant Race afin qu’ils soient jugés et non exécutés de sang-froid...

Analyse et critique

Avant de se lancer dans la réalisation en 1951, Harmon Jones fut un monteur talentueux qui a surtout travaillé pour des réalisateurs prestigieux tels Henry Hathaway (La Maison de la 42ème rue), William Wellman (La Ville abandonnée), Joseph Mankiewicz (La Maison des étrangers) et surtout Elia Kazan (Boomerang, Pinky, Panique dans la rue). Sa filmographie comme réalisateur ne sera constituée que de 14 longs métrages dont le plus "connu" - pour cause de diffusion télévisée principalement - est probablement La Princesse du Nil, une fantaisie orientale avec Debra Paget et Jeffrey Hunter. En 1953, Harmon Jones réalisa deux westerns consécutivement : The Silver Whip et City of Bad Men (La Cité des tueurs). Ce dernier, assez anodin au niveau de la mise en scène, était cependant loin d'être désagréable, grâce surtout à des situations originales et/ou inédites puisque l'intrigue se déroulait alors qu'un match de boxe important allait avoir lieu, opposant James Corbett (le fameux Gentleman Jim interprété par Errol Flynn dans le chef-d’œuvre de Raoul Walsh) et Bob Fitzsimmons. Une proposition de départ assez curieuse pour un western. Celle du film qui nous concerne ici ne l’est pas moins - ou en tout cas assez nouvelle - puisqu’elle évoque les désirs du jeune conducteur d’une société de transport qui rêve de mener sur une prestigieuse piste une diligence tirée par six fougueux chevaux qu’il ferait avancer avec l’aide d’un fouet d’argent. Ce qui n’est pas le cas actuellement car il ne conduit qu’un vieux coche brinquebalant tiré par deux mules très lentes.

En 1956, ce réalisateur assez méconnu signera A Day of Fury (24 heures de terreur) à l’intrigue bien menée et aux dialogues de premier ordre, un véritable feu d'artifice de punchlines que débitait le génial et trop méconnu Jock Mahoney. A cette occasion, Harmon Jones choisissait pour la troisième fois le comédien Dale Robertson pour interpréter le personnage principal de l'un de ses films après que la Fox ait bien voulu prêter son acteur à la Universal. Mais la plus belle contribution du cinéaste au western pourrait être le sixième épisode de la série Le Virginien : le succulent et superbement bien rythmé Big Day, Great Day avec un délicieux Aldo Ray en guest star. Quoi qu’il en soit, tous les westerns que l’on a pu voir de ce cinéaste s’avèrent très plaisants grâce avant tout à des postulats savoureux ainsi et surtout qu’à des castings tout à fait bien choisis. Dans Le Fouet d’argent, les trois comédiens principaux se révèlent tous trois très convaincants. Dale Robertson, à l’instar d’un John Payne, d’un Randolph Scott ou d’un Alan Ladd, est un acteur qui n’a quasiment jamais cherché à tirer la couverture à lui et dont beaucoup regretteront peut-être le manque de charisme. Pour ma part, appréciant la sobriété de jeu, il s’agit d’un comédien qui, sans jamais me surprendre comme les trois autres acteurs cités ci-dessus, recueille néanmoins toute ma sympathie. Dans son rôle de garde armé de la diligence, il se montre parfait. Tout de noir vêtu, il possède une grande classe et se révèle assez fascinant, d’abord très affable quoique fortement déterminé, touchant dans l’amour et la dévotion qu’il porte à sa future femme avant de se transformer en implacable vengeur/lyncheur. A ses côtés, Rory Calhoun - un acteur que les aficionados du genre apprécient énormément - excelle également dans le rôle du shérif qui n’accepte pas que son ami se lance dans une vendetta personnelle, ayant toujours été contre la pendaison ou la self-justice et allant ainsi décider de lui faire barrage. Deux conceptions de la justice qui se confrontent malgré la forte amitié qui lie les deux hommes.

Le troisième larron n’est autre que le jeune Robert Wagner ; son personnage est peut-être le plus important et intéressant de l’intrigue, son temps de présence à l’écran faisant également que le comédien s'avère tenir le rôle principal. C’est d’ailleurs de son point de vue que l’on voit les évènements se dérouler, puisque c’est par l’intermédiaire de sa voix-off et de ses dilemmes moraux que nous avançons au sein de ce récit. Il s’agit d’un jeune rêveur un peu farouche qui aimerait bien se sortir de sa situation professionnelle actuelle et acquérir de plus hautes responsabilités dans la société de diligences pour laquelle il travaille. Impatient, il souhaite sans plus tarder prouver sa valeur et ses talents mais son patron le trouve encore trop maladroit et inexpérimenté pour lui laisser la bride de voitures circulant sur des lignes d’importance. Sur le point de quitter sa petite ville pour aller chercher du travail là où l'on aura plus confiance en lui, ses ambitions se verront récompensées avant qu’il ne parte à l'aventure grâce à sa petite amie qui souhaite le garder auprès d'elle et qui pour ce faire a forcé la main d’un autre employé de la société -Dale Robertson donc- afin qu’il fasse accélérer les choses en faveur de son amoureux. On lui confie alors le transport d’une très grosse somme d’argent en poussières d’or, non moins que 27 000 dollars. Malheureusement pour lui, des bandits ayant eu vent de cette cargaison attaquent la diligence lors de son arrêt dans un relais perdu. La décision du jeune homme de porter secours à son garde plutôt que de mettre la diligence à l’abri afin de ne pas mettre en danger la vie des passagers va s'avérer mauvaise ; non seulement l’or est dérobé mais les voyageurs sont tués lors de la fusillade ; parmi eux se trouve la fiancée du garde. Ce dernier se lance alors à la poursuite des fuyards afin de se venger.

The Silver Whip, outre aborder les habituelles et souvent captivantes thématiques tournant autour de la vengeance, de la loi et de la justice, s’appesantit surtout sur les problèmes de conscience de chacun des personnages, tous estimant avoir fait de mauvais choix qui ont conduit à diverses tragédies. Jess regrette de ne pas avoir suivi les directives de la société de transport qui impose en cas de danger de s’occuper en priorité de la sécurité des voyageurs, même si son choix qui était de vouloir porter secours à son coéquipier était d’une grande noblesse ; Race regrette non seulement d’avoir poussé son patron à donner ce travail à haute responsabilité à celui qui aura finalement causé la mort de sa fiancée, mais également d’être à l’origine de l’indiscrétion qui aura mis la puce à l’oreille des bandits quant au chargement transporté ; la petite amie de Jess regrette d’avoir convaincu Race de vanter les mérites de celui par qui le drame est arrivé ; le patron de la société regrette d’avoir accepté de lui confier cette mission dangereuse... Jess, le principal responsable de la tragédie, se verra cependant offrir une deuxième chance par l’intermédiaire du shérif qui en fait son adjoint afin qu’il puisse lui venir en aide dans la chasse aux meurtriers. Un petit suspense se met en place car pour que la justice puisse suivre son cours, il va falloir que cette poursuite se déroule rapidement ; en effet, il va falloir trouver les coupables avant l’homme qui s'est lancé à corps perdu dans sa traque vengeresse.

Le réalisateur et les équipes techniques de la Fox se révéleront remarquablement chevronnés pour filmer cette course-poursuite. Et les amateurs d’action seront à la fête puisque l’on peut dire que non seulement les séquences mouvementées sont très efficaces mais que celle au ¾ de la durée qui montre longuement l’appréhension du chef des assassins par nos trois "héros" au sommet d’une immense concrétion rocheuse dominant un lac est absolument formidable, dans la droite lignée de celle qui termine Winchester 73, scène à côté de laquelle celle qui nous concerne ici n’a absolument pas à rougir. La mise en scène, le montage et l’utilisation des paysages aident à la rendre assez mémorable, l’idée de faire stopper à ces longs moments d’action la musique de Lionel Newman - peu inspirée et surtout reprise d’autres films - étant tout à fait judicieuse. Puis la dernière partie se recentre sur la petite bourgade du début, là où l’on conduit les survivants de la bande et où Jess doit veiller à ce que la foule ne pénètre pas dans la prison pour les lyncher. Moins original que ce qui a précédé, ce dernier quart d’heure n’en est pas moins assez tendu, nous faisant assister à la folie meurtrière qui s’empare d’un groupe qui n’a qu’une idée en tête, pendre les coupables avant même qu’ils soient jugés. Là où le suspense sera à son comble, ce sera au moment où le jeune Jess aura un sacré dilemme à résoudre : choisir entre sauver la peau des criminels, afin qu’ils puissent bénéficier d’un procès équitable, ou protéger celle de son ami qui prône la loi du talion et se montre aussi brutal à cet instant que ceux qu’il a poursuivis.

Sans atteindre des sommets, The Silver Whip est une très bonne série B adaptée d’un roman de Jack Schaefer - l’auteur de Shane - peu avare en détails inédits et notations cocasses : le fait de balancer avec violence des armes dans le ventre de son adversaire faute de munitions ; ce vieil homme fou de littérature se faisant livrer des romans par la diligence et citant de grands auteurs à tout bout de champ ; ce plan très sensuel de la première apparition jambes nues de Kathleen Crowley lisant une revue dans une pose lascive ; le fait de voir Robert Wagner récurer le sol en tant qu’adjoint du shérif ; l'idée de la corde arrosée afin que les nœuds se durcissent et soient difficiles à défaire ; ou encore ces lampes du saloon que l'on éteint toutes pour faire croire à un établissement vide... De bons dialogues du scénariste attitré de Cecil B. DeMille, Jesse Lasky Jr., extérieurs flatteurs, de jolies actrices, d'excellents seconds rôles (James Millican, John Kellogg...), de très intéressants placements de caméra et une gestion infaillible du suspense. Un bon western concis, efficace et sans esbroufe, qui conte sans chichis une belle histoire de rédemption.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 4 novembre 2017