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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Trahison du Capitaine Porter

(Thunder over the Plains)

L'histoire

La guerre de Sécession est désormais terminée mais les perdants n'ont pas encore la vie belle. Les Texans se voient taxés plus que de coutume et spoliés de leurs terrains pour une bouchée de pain par des hommes d'affaires sans scrupules, les Carpetbaggers. Les Tuniques bleues sont chargées de faire respecter la loi mais le Capitaine Porter (Randolph Scott) accomplit sa mission sans enthousiasme, furieux de voir les vaincus maltraités de la sorte. Il ne fait donc aucun effort pour traquer Ben Westman (Charles McGraw) et sa bande de renégats. Sorte de Robin Hood du Texas, Ben a décidé de se révolter contre les abus de la justice et les sales manigances de fonctionnaires véreux, notamment Joseph Standish (Elisha Cook Jr.) et H.L. Balfour (Hugh Sanders), en volant les chargements de cotons que ces derniers viennent "légalement" de confisquer à ses concitoyens. Tiraillé entre son devoir et ses convictions, le Capitaine Porter doit dans le même temps gérer sa vie privée guère plus simple, sa douce et jolie épouse (Phyllis Kirk) ne supportant plus de vivre esseulée au sein d'une communauté qui hait le détachement de l'armée américaine que dirige son mari. De plus, elle est encouragée par une de ses anciennes connaissances, un jeune officier impulsif et arrogant (Lex Barker), à partir avec lui dans une région moins houleuse...

Analyse et critique

Après nous avoir inquiétés par deux fois en cette année 1953, André de Toth revient enfin en bonne forme, nous rassurant sur ses capacités et ne faisant pas mentir sa réputation, celle d'être un des réalisateurs de série B les plus doués de sa génération. Oubliés le très médiocre The Last of the Comanches (Le Sabre et la flèche) et l'ennuyeux The Stranger Wore a Gun (Les Massacreurs du Kansas) avec pourtant, dans ce dernier, déjà Randolph Scott. Ces deux derniers films n'avaient pas grand chose pour retenir notre attention, pas plus le scénario que la mise en scène. Si l'intrigue de Thunder Over the Plains s'avère dans l'ensemble sans réelles surprises, André De Toth se fait enfin à nouveau plaisir avec sa caméra, multipliant les travellings et panoramiques savants pour notre plus grand plaisir. A ce jour, il s'agit probablement, techniquement parlant, de son film dont l'exécution se révèle la plus parfaite. Moins dépaysant et mouvementé que Le Cavalier de la mort (Man in the Saddle), moins jubilatoire que La Mission du Commandant Lex (Springfield Rifle), La Trahison du Capitaine Porter vient néanmoins prendre place juste derrière ces deux très belles réussites.



On a déjà vu un bon nombre de westerns débutant juste à la fin de la guerre de Sécession et nous décrivant la situation où se trouvaient les vaincus, spoliés par les Carpetbaggers qui faisaient du profit sur leur dos. Le Texas était à l'époque un des deux Etats non encore entrés dans l'Union ; il était alors gouverné par l'armée d'occupation qui était obligée de faire respecter les lois édictées par le gouvernement, même si ces dernières s'avéraient très souvent d'une injustice flagrante pour les Texans. Les tensions entre habitants et nouveaux venus étaient alors exacerbées, les Texans haïssant tout autant les profiteurs du Nord que les militaires chargés de soutenir et protéger ces derniers. La première chose intéressante dans le film d'André De Toth est l'exposition concise et efficace de cet état de fait, de cette période difficile de l'après-guerre civile. Puis vient la présentation des personnages dont l'écriture se révèle être également assez riche, tout au moins concernant les principaux protagonistes.



Le Capitaine Porter (très bien campé par un Randolph Scott que l'on avait guère l'habitude de voir presque tout du long vêtu de la tunique bleue) est tiraillé entre son devoir et le fait qu'il soit lui même texan, dégoûté par les missions qu'on lui confie, les traitements qu'on fait subir à ses compatriotes : « Ils ont perdu la guerre mais ils ont droit au respect. » Porter est un homme droit et doté d'une grande noblesse morale, préférant l'humiliation à la sauvegarde de sa réputation. Il a de plus à lutter contre son Colonel (très bon Henry Hull ; rappelez-vous, le journaliste exubérant du dytique Jesse James / Frank James réalisé par Henry King et Fritz Lang) qui ne veut surtout pas se poser de problèmes de conscience quant à la justice ou l'injustice des ordres venus de Washington, voulant surtout ne pas faire de vagues, ne pas déplaire à ses supérieurs à deux ans de la retraite. Quant à sa jeune épouse (Phyllis Kirk a rarement été aussi jolie et, pour ne rien gâcher, elle joue ici parfaitement bien), elle vit quotidiennement dans la peur que son mari se fasse tuer par des mécontents, la haine des habitants retombant sur elle par la même occasion. Elle n'arrive pas à se créer des liens dans la région, doit constamment supporter les regards malveillants et vivre quasiment recluse ; il lui en faudrait bien moins pour être sur le point de craquer.



Comme si cela ne suffisait pas, notre chevaleresque militaire aura aussi à défendre sa jolie femme contre l'empressement d'un nouveau venu au fort, le Capitaine Bill Hodges. Il comprend assez vite que ces deux personnes s'étaient connues auparavant et que Bill essaie d'encourager Nora à le suivre dans un monde plus civilisé et confortable, tout simplement à Washington où il espère ardemment être muté. Hodges, c'est Lex Barker qui venait de finir sa série des Tarzan à la RKO, après avoir pris la suite de Johnny Weissmuller. On peut dire que le direction d'acteurs du cinéaste était vraiment excellente puisque Lex Barker s'avère lui aussi très convaincant dans la peau de ce militaire peu aimable. Dans le casting, on trouvait aussi Elisha Cook qui, selon la tradition, ne restera pas en vie jusqu'au bout du film, mais aussi un Hugh Sanders salaud à souhait, Fess Parker avant qu'il n'aborde le chapeau à queue de castor de Davy Crockett et enfin un peu loquace mais charismatique Charles McGraw qui n'a pas besoin d'en faire des tonnes pour en imposer dans le rôle de ce Robin des Bois du Far West, sacrément attachant. Quant au couple formé par Randolph Scott et Phyllis Kirk, il fournit l'occasion d'admirer quelques séquences intimistes assez inhabituelles pour le genre et de plus sacrément touchantes.



On peut remercier le scénariste Russell Hughes d'avoir su tirer tout le parti possible d'une histoire pourtant très banale au départ. Il prouvera plus tard qu'il était réellement doué pour le western mais aussi en abordant d'autres genres (Des Monstres attaquent la ville - Them de Gordon Douglas). Dommage qu'il ait été si peu prolifique dans le domaine du cinéma puisqu'il avait commencé par écrire des show radiophoniques avant d'achever sa très courte carrière à la télévision, mort prématurément à l'âge de 58 ans. Il serait étonnant que les quelques fautes de goût qui parsèment le film soient de son fait ; il y a au contraire de fortes chances pour qu'elles aient été imposées par la Warner qui en était coutumière à l'époque dans le western. Je parle notamment de la séquence qui se voudrait humoristique au cours de laquelle Westman laisse les deux profiteurs rentrer en ville en caleçon, leur déambulation pataude étant accompagnée de rires gras et surtout d'une musique "cartoonesque" due au décidément peu léger David Buttolph. C'est le genre de détails qui arrive à casser une ambiance sérieuse bien installée jusqu'ici. Heureusement, il s'agit quasiment de l'unique exemple concernant La Trahison du Capitaine Porter.



Si le scénario, malgré l'efficacité de son écriture, la relative complexité des relations entre les personnages et la plausibilité de son intrigue, demeure néanmoins très conventionnel, De Toth se fait par contre extrêmement plaisir avec sa caméra, utilisant la topographie à merveille pour mettre en place de longues scènes de traques, de poursuites, d'encerclement, d'attaques et même un combat final en pleine ville faisant beaucoup penser à celui de High Noon mais en plus efficace. Il prend son temps, utilise maints amples travellings et panoramiques savants, donne du souffle à ses séquences d'action et semble jubiler d'avoir à tourner des chevauchées de soldats dont les tuniques bleues claquent au vent. C'est parfois sacrément réjouissant à voir. La longue scène de l'attaque du convoi de coton est un modèle de découpage et de rythme (sans que celui-ci soit nerveux, tout au contraire). Pour faire plus réaliste, le cinéaste a même réussi à convaincre Randolph Scott de ne pas être doublé lors de son unique scène de combat à poings nus, ce qui était rarement le cas jusqu'à présent. Enfin, ses gros plans sur les personnages, ses cadrages et son montage sont tout aussi réussis. S'il ne s'agit pas, loin s'en faut de son meilleur western, ce pourrait être l'un de ses plus réussis plastiquement parlant.



Si l'on ajoute à tout cela une belle photographie signée Bert Glennon, un tournage en décors naturels bien choisis, une action rondement menée et une certaine efficacité dans l'exécution, on pardonnera certaines baisses de rythme et le relâchement de l'intérêt à mi-parcours. Au final, il s'agit d'une bonne série B d'un réalisateur que nous sommes heureux de voir s'être refait une santé. Il a fait et fera bien mieux, mais le divertissement qu'il nous propose en cette fin d'année 1953 est un bon cru Warner !

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Par Erick Maurel - le 12 juillet 2012