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Critique de film
Le film

La Reine de la prairie

(Cattle Queen of Montana)

L'histoire

Sierra Nevada Jones (Barbara Stanwick) et son père arrivent enfin avec leur troupeau d’un millier de têtes dans les plaines riantes et verdoyantes du Montana où ils souhaitent désormais s’installer. Mais ils sont attaqués le soir même par un groupe d’Indiens qui massacrent les cow-boys et font fuir les bovins. Quasi seule survivante, Sierra Nevada est emmenée et soignée par la tribu indienne Blackfoot dont font pourtant partie ses agresseurs. En fait, Colorados, le fils du chef, les a recueillis ne sachant rien des exactions de Natchakoa qui s’est acoquiné avec McCord, un Rancher local souhaitant rester seul propriétaire de la vallée. Contre des armes qu’il leur fournit en cachette, les vils Indiens doivent chasser tous les nouveaux venus. Peu découragée par ces évènements dramatiques, Sierra Nevada décide au contraire de repartir à zéro. Mais McCord décide de s’en débarrasser, d’autant plus qu’elle pourrait avoir été témoin de son arrangement peu catholique avec Natchakoa…

Analyse et critique

En 1954, année faste pour le cinéaste, Allan Dwan tourne La Reine de la prairie. On quitte ici les paysages souvent arides de Californie, et ses terres rouge et ocre, pour les plaines calmes et verdoyantes du Montana avec ses magnifiques forêts de bouleaux constamment balayées par les vents. La palette de John Alton change de ce fait radicalement de ton tout en demeurant plastiquement toujours aussi remarquable, et ce dès les premières images montrant Barbara Stanwick arriver dans ces plaines idylliques et reposantes ; elle dont on apprend qu’elle vient du Texas aux sites beaucoup plus secs et rugueux. On devine aisément le contraste et l'on se met comme son personnage à admirer la sereine beauté de ces perspectives splendides. Excepté dans les westerns de Delmer Daves, d'Anthony Mann ou de John Ford, on aura rarement autant contemplé des panoramas de l’Ouest américain avec un tel ravissement tellement ces extérieurs tournés dans le Glacier National Park sont somptueusement filmés et photographiés (malgré le fait que quelques vilaines transparences de studio viennent de temps en temps gâcher cette belle harmonie) ! Déjà rien que pour cet aspect esthétique, ce western d’Allan Dwan mérite d’être vu car sur le plan du scénario, en revanche, ça "pêche" certes un peu.

Sierra Nevada Jones (Barbara Stanwick) arrive donc enfin avec son père et leur troupeau d’un millier de têtes dans le Montana où ils souhaitent désormais s’installer. Mais ils sont attaqués le soir même par un groupe d’Indiens qui massacrent les cow-boys et font fuir les bovins. Quasi seule survivante après que son père s'est fait lui aussi tué, Sierra Nevada est emmenée et soignée par la tribu des Indiens Blackfoot dont font pourtant partie ses agresseurs. En fait, Colorados (Lance Fuller), le fils du chef, les a recueillis ne sachant rien des exactions de Natchakoa (Anthony Caruso) qui s’est acoquiné avec McCord (Gene Evans), un Rancher local souhaitant rester seul propriétaire de la vallée. Contre des armes et du whisky qu’il leur fournit en cachette, les vils Indiens doivent chasser tous les nouveaux venus. Peu découragée par ces évènements dramatiques, Sierra Nevada décide néanmoins de repartir à zéro. Mais McCord décide de s’en débarrasser, d’autant plus qu’elle pourrait avoir été témoin de son arrangement peu catholique avec Natchakoa. Pour cela, il charge Farrell (Ronald Reagan), qu’il vient d’embaucher comme garde du corps, d’assassiner la jeune femme entêtée. Ce que McCord ignore, c’est que le Gunfighter est en réalité un officier de l’armée américaine chargé d’infiltrer son "gang’" pour faire cesser le trafic d’armes, les Tuniques Bleues ayant de fortes présomptions sur le fait qu’il en soit l’instigateur. Sierra Nevada va avoir fort à faire, prise en étau entre des tentatives de meurtre sur sa personne et le déclenchement d’une guerre indienne qui semble plus proche que jamais…


Alors certes, ça remue beaucoup, les coups de théâtre et les séquences d’action sont légion mais, comme pour Tornade, le scénario manque de profondeur et de chair et les personnages d’âme. Avec son rythme trépidant (rares sont les scènes dépassant les 30 secondes), sa naïveté désarmante et son imagerie candide, La Reine de la prairie rappelle d’ailleurs beaucoup les serials de l’époque du muet, et pouvait sans doute se révéler sacrément anachronique au milieu des années 50 alors que le genre plongeait dans le "sur-western" avec un regain de sérieux cherchant à le légitimer et une psychologie assez poussée. Mais justement, le film de Dwan a pu aussi apporter une sacrée bouffée d’air frais à ceux qui n’appréciaient guère ce tournant. Cependant personne ne doit être dupe, l’ingénuité de ce film est voulue et assumée ; comment un cinéaste ayant tourné peu de temps avant des chefs-d’œuvre aussi noirs que Iwo Jima ou Silver Lode aurait pu à ce point changer de ton sans en être conscient ? Malgré tout, Allan Dwan décide de filmer Cattle Queen of Montana au premier degré, retrouvant l’élan et l’innocence de ses premiers films. Ses personnages ont des noms de serials (Colorados, Pop, Sierra Nevada), les situations rocambolesques se révèlent souvent invraisemblables, les raccourcis narratifs ne font pas forcément preuve d’un sens intelligent de l’ellipse mais ne servent qu’à faire avancer l’action plus vite, et la psychologie des personnages s’avère très sommaire. Bref, ceux qui désirent se retrouver devant un western adulte doivent être prévenus que cela ne sera pas le cas, l’honorable antiracisme du film étant lui aussi très schématique et loin d’être aussi subtil que dans les grands westerns pro-indiens de la décennie. Mais qu’importe puisque ce que recherche Dwan ici est le divertissement avant tout ,sans vraiment tenter de faire passer un quelconque message !


Par ailleurs, cette innocence dans le ton est heureusement ponctuée par quelques rudes éclairs de violence, dynamitée par une efficacité et une nervosité qui viennent constamment relancer l’intrigue et insuffler un réel souffle au film. On y trouve des personnages attachants dont celui, intrigant et ambigu de prime abord, interprété par un Ronald Reagan plutôt à l’aise dans son rôle. Aux côtés de cet acteur un peu sous-estimé (il était parfait dans Kings Row, le chef-d’œuvre de Sam Wood, et il sera remarquable dans le western suivant de Dwan), une Barbara Stanwick charismatique à qui l’on octroie le premier rôle et qui, après The Furies d’Anthony Mann, continue de construire son personnage de forte tête féminine déterminée et tenace, et qui prépare le terrain pour ses futurs protagonistes westerniens dont ceux de Quarante Tueurs (Forty Guns) de Samuel Fuller jusqu’à celui de Victoria Barkley dans la série télévisée The Big Valley. Lance Fuller est très peu crédible en Indien au contraire d’Anthony Caruso en peau-rouge renégat. Le reste du casting est constitué de vétérans du genre comme Myron Healy, Jack Elam, Morris Ankrum et surtout un excellent Chubby Johnson.

Selon l’état d’esprit dans lequel on se trouve, et le degré d’affinité que l’on a pour le western, on pourra grandement ou non apprécier ce beau livre d’images qui se déroule à 100 à l’heure mais qui manque de subtilité et d’originalité. Ceux qui ne sont au départ guère attachés au genre risquent fort de s’ennuyer à la vision de ce western d’Allan Dwan, contrairement à celle de Silver Lode. Pourtant, au vu de l’avis de Jacques Lourcelles dans son remarquable dictionnaire du cinéma, on pourrait en douter ; malgré le fait de ne pas être entièrement d’accord avec sa dithyrambe qui ne va pas sans certaines exagérations (mais quelle passion n’en entraîne pas systématiquement ?), quitte est d’avouer que sa fougue et son amour pour le film donnent farouchement envie de le découvrir ou redécouvrir, de le réévaluer ou simplement de lui donner une seconde chance : « Cattle Queen of Montana représente la quintessence du cinéma hollywoodien. Il engendre une sorte de ravissement, né en particulier de l’aisance avec laquelle le réalisateur réussit, avec un budget limité et en respectant les règles d’un genre assez strict, à s’exprimer de la manière la plus personnelle qui soit […] Les plans d’extérieurs précédant l’attaque indienne sont parmi les plus beaux qu’un cinéaste américain n’ait jamais filmés en couleurs[…] Un cinéma aussi abouti, qui puise sa substance dans les seules péripéties de l’action et dans la contemplation du monde, qui n’a nul besoin des facilités du "discours" pour se faire entendre, semble aujourd’hui appartenir à un âge d’or totalement révolu. » Il m’a fallu quelques visions pour pleinement apprécier ce western qui me semble néanmoins rester le plus faible de sa série de westerns produits par Benedict Bogeaus. Mais rien que pour son fabuleux sens du cadre, sa réelle beauté plastique malgré toutes les scènes nocturnes tournées en nuit américaine, ce plan en plongée du haut de la colline avec les personnages à contre-jour en premier plan ou celui qui clôture le film avec Barbara Stanwick qui prend le bras des deux hommes qui l’aiment, il mérite de rester gravé dans nos mémoires.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 18 novembre 2009