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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Piscine

L'histoire

Jean-Paul (Alain Delon) et Marianne (Romy Schneider) séjournent dans une superbe villa des hauteurs de Saint-Tropez, où ils sont rejoints par Harry (Maurice Ronet) et sa ravissante fille Pénélope (Jane Birkin). Par son attitude provocante, Harry, ex-amant de Marianne, crée vite le malaise et c’est alors une lutte de pouvoir entre quatre personnes prises au piège de leur passé qui va s’installer autour de la piscine des vacances...

Analyse et critique

Commençons par un poncif, La Piscine est un film culte du cinéma français. Partant de là, on pourrait penser qu’il ne reste plus rien à dire, plus de place à l’analyse. Tout d’abord, un film culte, qu’est-ce que c’est, au fond ? Ce terme, venu d’abord de la religion, est aujourd’hui employé pour de nombreuses œuvres audiovisuelles. Souvent à tort et à travers. Le sociologue Philippe Le Guern tente de trouver une réponse à cette question dans un ouvrage édité en 2002, Les Cultes médiatiques, culture fan et œuvres cultes. Il esquisse, notamment, une problématique intéressante : il n’existe pas d’œuvre culte mais seulement un culte des œuvres. C’est d’abord la perception du public qui fait d’une œuvre ce qu’elle est. Plus de 50 ans après sa sortie en 1969, quelle perception avons-nous aujourd’hui du film de Jacques Deray ?

La Piscine est un film avant tout connu et reconnu pour son casting. Alain Delon, Romy Schneider, Maurice Ronet et Jane Birkin pour les quatre rôles principaux. Un casting exceptionnel en 1969, et encore plus aujourd’hui. A la fin des années soixante, Delon est déjà une immense star. Ses débuts sont loin et dans cette décennie entamée avec Plein soleil, film qui le révèlera aux yeux du monde (avec un certain Maurice Ronet, déjà, et où les deux hommes partagent des rôles similaires), il va jouer dans plus de trente films. René Clément donc, mais aussi Visconti, Antonioni, Duvivier, Verneuil, Cavalier, Enrico, et Melville bien sûr parmi tant d’autres...


Pour l’actrice qui accompagnerait le bellâtre, Deray (pour la première de ses neuf collaborations avec l’acteur) approche successivement Jeanne Moreau, Monica Vitti ou encore Delphine Seyrig. C’est Delon qui va imposer son ex-compagne, Romy Schneider, au casting. A l’époque, de 1959 à 1963, c’est « Romy » qui est la vraie star du couple. Elle vient de boucler la trilogie des films Sissi dans laquelle elle joue le rôle de l’impératrice d’Autriche et qui ont fait d’elle une star mondiale. Selon la légende, le producteur Gérard Beytout dira « imaginer mal Sissi en bikini. » Il est vrai que « Sissi » est alors au creux de la vague. Elle a accouché de son premier enfant quelques années plus tôt et s’est retirée du monde du cinéma. Le film de Deray sera le point de départ d’une seconde partie de carrière remplie de succès (c’est en voyant les rushes du film que Claude Sautet décidera de l’engager sur Les Choses de la vie et pour la collaboration que l’on connait ensuite).

Maurice Ronet, lui, trace sa carrière avec brio et est considéré comme l’un des acteurs (et séducteurs) les plus doués de sa génération. Il a notamment collaboré avec Chabrol mais surtout avec Louis Malle pour, peut-être, ses deux plus grands rôles dans Ascenseur pour l’échafaud en 1958 et Le Feu follet en 1963. Pour finir, Jane Birkin, la plus jeune du haut de ses 23 ans, vient juste de débuter sa carrière d’actrice dans le cinéma anglais du « Swinging London » de l’époque et d’être révélée dans le Blow-Up d'Antonioni. Débutant sa médiatique romance avec Gainsbourg (qui ne manquera pas de mettre en garde les séducteurs Delon et Ronet), elle trouve ici son premier vrai rôle de cinéma.


Mais, finalement, quel est le sujet de La Piscine ? Une histoire entremêlant quatre personnages ? Les retrouvailles du couple Delon / Schneider à l’écran ? Un énième film d’amours contrariées ?  Delon alias Jean-Paul et Romy Schneider alias Marianne sont un jeune couple en vacances dans le Sud de la France, près de Saint-Tropez. Lui est un publicitaire en mal d’inspiration et elle une journaliste à l’arrêt. Les deux viennent passer quelques jours dans une villa magnifique, avec piscine, qui appartient à des amis. Dès les premiers instants du long-métrage, Deray va jouer un jeu trouble avec son spectateur. Des colombes perchées qui se reflètent sur une eau calme aux premières images du couple, la première séquence de La Piscine dessine déjà les contours des deux heures à venir. Delon, au bord de la piscine, est torse nu et bronze en lunettes de soleil noires. Image iconique s’il en est, il est vite dérangé par le plongeon de Marianne. S’ensuit rapidement une première scène de rapprochement physique. Rapport physique même, tant les deux amants se désirent intensément. Alors qu’un coup de téléphone retentit et interrompt leurs ébats, on distingue au sein du couple un premier dysfonctionnement. Jean-Paul retient Marianne afin que celle-ci ne puisse aller décrocher. Jean-Paul ne souhaite pas être dérangé, il veut rester seul avec elle. Fort heureusement, la bonne du couple bourgeois prend l’appel. C’est Harry (Maurice Ronet), ami de longue date du couple, qui leur rend visite avec sa jeune fille Pénélope (Jane Birkin). C’est le point du départ de l’intrigue du film de Deray. Tout commence avec l’arrivée du père et sa fille. Dès cette annonce, quelque chose est modifié au sein du couple.

Cette impression, ce ressenti ne passera alors pas par les dialogues mais par les regards. C’est là l’une des grandes particularités (et réussites) du long-métrage du réalisateur français. Son manque de dialogues, leur suppression même, en lieu et place de regards. Respectivement sensuels, frondeurs, évasifs, provocateurs, dignes ou accusateurs, ils interpellent le spectateur et procurent à certaines séquences une forte intensité. D’ailleurs, Jean-Claude Carrière déclarera avoir principalement écrit des dialogues indirects, éloignés des conflits entre les personnages afin que la mise en scène puisse se concentrer plus particulièrement sur le jeu (de regard) des acteurs plutôt que les dialogues, contenus dans les seules huit pages du script. Dialogues indirects pour ne pas dire dialogues inutiles ou presque, racontant volontairement des banalités. C’est l’autre sujet, peut-être plus enfoui, de La Piscine. Les personnages s’ennuient, ils ne savent pas quoi se dire. « Qu’est-ce que vous faites ici toute la journée ? » « Demain, je ferai la sieste » sont autant de phrases marquant le désintérêt du couple Jean-Pau l/ Marianne aux choses de la vie. Ils sont le cliché des personnages bourgeois, accomplis (ou en ayant le sentiment de) dans leurs vies professionnelle comme amoureuse parce qu’ayant subvenu à tous leurs besoins primaires (argent, maison, voiture, couple). Ce sera un terreau fertile pour Carrière au cinéma, notamment durant ses collaborations avec Luis Buñuel (Le Charme discret de la bourgeoisie, Cet obscur objet du désir), pour Chabrol aussi qui en fera sa marque de fabrique. Les Biches, sorti en 1968, avec au casting Stéphane Audran, Jean-Louis Trintignant et Jacqueline Sassard, partage d’ailleurs de nombreux points communs avec le film de Deray (Saint-Tropez, intrigue amoureuse à plusieurs, jalousie, actes fous).


Si La Piscine sort en 1969 (année érotique), il a été tourné en août 1968. Les basculements sociaux et libertaires du mois de mai sont très loin de la sphère bourgeoise mise en images par Deray. Néanmoins, ses personnages semblent s’en approprier certaines thématiques ou du moins certains concepts. Notamment une liberté propre et émancipatrice. Ici, les névroses des personnages souillent ces idéaux et les transforment en élans sadomasochistes ou incestueux. Harry, personnage arrogant, faussement amical et véritable homme à femmes, aura dès lors des échanges et des gestes répréhensibles avec sa fille. « Tu as la peau douce, tu sens bon... », « Si on allait faire un petit tour à Venise tous les deux ? »...

Dès la rencontre entre cette dernière et Jean-Paul, Harry va chercher à pousser son vieil ami dans les bras de sa fille. « Elle est belle ma fille » dit-il, tandis que Jean-Paul, répondant « elle te vieillit », il le tance d’un « elle fait plus jeune que son âge » alors que cette dernière a annoncé avoir 18 ans lors de la séquence précédente. Harry ne va jamais cesser d’humilier, de rabaisser Jean-Paul dès son arrivée dans la résidence. « Change plutôt tes désirs que l’ordre du monde », lui dit-il encore. Amis depuis des années, leur seul lien est aujourd’hui Marianne. La femme-objet, hautement désirable pour les deux hommes, a toujours été vague sur la nature de sa relation avec Harry. Jean-Paul, méfiant, jaloux, ne peut le supporter. L’attitude provocante d’Harry envers sa femme va définitivement pousser Jean-Paul vers la fille de ce dernier. Est-ce alors un simple acte de vengeance de la part de l’homme ou est-il, au fond, intéressé par la pureté et le fantasme érotique de coucher avec la fille de son ami ? C’est toute la complexité du personnage de Jean-Paul, véritable solitaire, profondément égoïste et misanthrope. Lui ne souhaite jamais descendre à Saint Tropez, pour faire simplement les courses ou la fête, préférant rester perché dans sa villa (un trait de caractère que le personnage partage avec son acteur Delon, grand solitaire et narcissique aujourd’hui retiré de toute vie publique). Pénélope, de son côté, souhaite-t-elle se venger de son père, absent depuis le début de son existence ou ressent-elle une vraie attirance pour cet homme plus âgé ?


Profitant d’une escape des deux ex-amants en ville, Jean-Paul transgressa l’interdit avec Pénélope au travers d’un « bain de mer » et d’un retour à la villa où cumule l’intensité du film. A table, alors que Marianne et Harry ont longuement attendu les deux évadés, Jean-Paul et Pénélope rentrent la nuit tombée et Pénélope porte la veste de l’homme. L’acte ne fait aucun doute. Pourtant, rien ne sera évoqué. Encore, les dialogues seront indirects et ce sont les regards qui parleront à leur place. Echangés entre tous les protagonistes, ils s’exercent comme de puissants non-dits. Ils transpercent les cœurs de chacun et laissent apparaître un mal-être commun à tous. Sous le verni de la bourgeoisie et de la réussite sociale se cachent les conflits et problèmes psychologiques de chaque personnage. Marianne ne comprend plus Jean-Paul et apprécie les attentions et le désir d’Harry à son égard. Harry jalouse et maudit Jean-Paul (autant car il « possède » ce qu’il désire que parce qu’il vient d’assouvir l’un de ses désirs inavoués, coucher avec sa fille Pénélope). Quant à Pénélope, elle est perdue et trop peu vicieuse pour ces jeux pervers entre adultes. Jean-Paul, lui, vient de briser son couple, le reproche sournoisement à Marianne (« Oh c’est ma faute » lui dit-elle alors qu’il répond d’un cinglant « Peut-être ») alors qu’il humilie à son tour son « ami ». Au travers de ses rares échanges avec sa compagne, on distingue chez Jean-Paul une étrange distanciation au sein même de son couple. Lorsque Marianne lui dit qu’elle l’aime, il répond d’un étrange « Ne dis pas n’importe quoi. » A l’instar de Ripley dans Plein soleil, le personnage de Jean-Paul est extrêmement ambigu et l’acte de mort (accompagné d’une nouvelle humiliation) qu’il va commettre à l’encontre de son ex-ami Harry achève de le construire en tant que sociopathe. Le Patrick Bateman de l’American Psycho de Bret Easton Ellis (adapté dans un film éponyme en 2000 avec Christian Bale dans le rôle-titre) pourrait alors être vu comme l’évolution sordide du personnage de Jean-Paul. Passant à l’acte (pour la première fois ?), il serait descendu vers la folie et des actions toujours plus extrêmes. Pas chez Deray. Rapidement confondu par la bêtise de sa mise en scène, Jean-Paul est soutenu par Marianne qui le protège devant un inspecteur un peu trop insistant... mais aussi devant Pénélope (quelle est la raison de ce soutien ? Marianne se sent elle aussi responsable de la mort d’Harry ? est-ce pour pouvoir mieux s’enfuir ? est-ce une ultime preuve d’amour ?). Marianne se lie pour l’éternité, dans le mensonge, avec Jean-Paul. Prête à quitter la villa devenue simplement piscine, lieu marqué à jamais par le crime, elle est retenue par Jean-Paul au sein de la maison. Ce dialogue ne nous sera pas montré. Les mots resteront à nouveau silencieux, chuchotés, comme pour n’être entendus par personne d’autre que les deux amants criminels (et même pas le spectateur, complice du meurtre lui aussi). Dans un dernier plan les montrant enlacés derrière la fenêtre, Jean-Pau l/ Delon et Marianne / Romy resteront, à jamais et pour l’éternité, prisonniers d’un pacte faustien et d’une piscine devenue leur tombeau.

50 ans plus tard, La Piscine, sous l’égide du couple devenu mythe, continue de fasciner et d’intriguer. Un cinéaste comme François Ozon en fera une adaptation libre avec Swimming Pool (et semble avoir envers le film de Deray une dette éternelle) alors même que Hollywood s’est emparé du sujet en 2015 pour remake avec A Bigger Splash de Luca Guadagnino, avec notamment Tilda Swinton dans le rôle de Marianne. L’image iconique de Delon, bronzant torse nu en lunettes de soleil noires au bord de la piscine sera, elle, reprise en 2009... par la publicité et l’industrie du parfum. C’est peut-être ça, alors, devenir un film culte. Avoir généré des images tellement fortes, tellement marquantes qu’elles ne sont plus seulement des images de cinéma, qu’elles n’appartiennent plus au film lui-même mais à autre chose. Elles appartiennent alors à tous, au public comme aux publicitaires. En quelque sorte, à l’éternité.

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Par Damien LeNy - le 29 avril 2020