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Critique de film
Le film

La Levée des Tomahawks

(Brave Warrior)

L'histoire

1812 dans le territoire de l’Indiana où un nouveau conflit menace de se produire entre Anglais et Américains. Une barge transportant une cargaison de sel destinée aux Indiens Shawnees - en guise de paiement par les Américains pour leurs terres situées le long de la rivière Tippecanoe - tombe dans une embuscade mise en place par un certain Demmings. Ce sympathisant britannique espère ainsi que les Indiens, ne voyant pas le chargement promis arriver, se révolteront contre leurs alliés américains. Et effectivement, un haineux guerrier Shawnee surnommé The Prophet (Michael Ansara) décide de se rebeller contre les Américains au grand dam de son frère, le pacifiste Tecumseh (Jay Silverheels), grand admirateur de la civilisation des Blancs au point d’être tombé amoureux de la jolie Laura (Christine Larsen). Dans l’espoir de faire cesser ces hostilités naissantes, Tecumseh rend visite au gouverneur de l’Indiana - futur 9ème président des USA - qui lui explique que des agents anglais s’infiltrent dans leurs rangs pour semer la discorde afin d’empêcher l’expansion américaine sur leurs territoires. Steve Rudell (John Hall), un émissaire du gouvernement - ami d’enfance de Tecumseh et pas moins sensible aux charmes de Laura - a pour mission de découvrir qui sont les espions et de les neutraliser. Il s’avère que l’un d'entre eux n’est autre que le père de la jeune femme, un riche marchand de fourrures...

Analyse et critique

Avec William Witney, Spencer Gordon Bennet, après avoir entamé sa carrière à Hollywood en tant que cascadeur, fut probablement le plus connu des réalisateurs de serials ; il était d’ailleurs surnommé "King of serial directors". Il fut en tout cas le plus prolifique, en en signant plus d’une centaine entre 1925 (Sunken River) et 1956, année au cours de laquelle il réalisa le dernier répertorié aux USA, Perils of the Wilderness. Au cours de ces 30 années fécondes, il aborda aussi bien le western (Zorro, Red Ryder...) que le film moyenâgeux (Kid Galahad), la science-fiction (Bruce Gentry) ou les films de super-héros (Batman et Robin, Superman, Captain Video...) Malheureusement, ses longs métrages "traditionnels" auront pâti d’un grand manque de sérieux et de rigueur, des éléments constitutifs du serial - leur charme en découle souvent - qui n’avaient ici pas lieu d’être. Dans la notule qui lui est consacrée dans le dictionnaire des réalisateurs supervisé par Jean Tulard, on parle de surréalisme tellement ses bandes vont parfois très loin dans l’improbable. Si l’on conçoit le surréalisme un peu péjorativement comme étant un mouvement touchant tous les domaines du "n’importe quoi" - ce que je ne revendique pas - alors Brave Warrior pourrait effectivement s’en être rapproché. Imaginez des spectateurs français visionnant un film sur la Révolution de 1789 avec des figurants vêtus style Belle Epoque, le tournage ayant eu lieu sur la Côte d’Azur et dans l’arrière-pays niçois pour représenter Paris et ses alentours ! Vous voyez un peu le tableau ? Pour La Levée des Tomahawks - son titre belge, le film n’étant jamais sorti en France -, il en va de même : les immenses forêts verdoyantes de l’Indiana dans le Nord-Est des USA sont devenues sous la caméra de Bennet les secs paysages californiens écrasés de chaleur que l’on a eu l'habitude de voir dans des centaines de westerns se déroulant à la fin du XIXème siècle.

Des anachronismes vestimentaires et géographiques peuvent encore passer pour des spectateurs étrangers. Mais poursuivons cette analogie fantaisiste, d’une manière historique cette fois ! Qu’auriez-vous pensé si les auteurs de notre film français imaginaire avaient eu dans l’idée d'envoyer les aristocrates prendre la Bastille et de nommer Danton roi de France après que Louis XVI soit parti prendre sa retraite à la campagne ? Sans aller jusque-là, comme nous le confirme François Guérif dans sa présentation du film sur le DVD, on pourrait à peu près affirmer que le scénario est tellement ahurissant d'un point de vue historique que tout évènement décrit dans Brave Warrior qui se serait révélé véridique ne l’aurait été que par pur hasard ! En effet, alors que le chef indien Tecumseh - le personnage principal du western de Bennet - entre en violent conflit avec sa forte tête de frère qui soutient les Anglais, dans la réalité ils luttaient tous deux contre... les Américains, le premier galvanisant les guerriers, le second les emmenant à la bataille. Une guerre qui fut parait-il plus sanglante que n’importe quelle guerre indienne survenue par la suite ; ce qui, vous l’aurez deviné, n’est pas très visible au travers de ce western de série naïf voire enfantin. Si l’un de ses seuls intérêts aura été de revenir sur cette période de l’histoire américaine très rarement abordée au cinéma, à ce niveau-là d’approximations et d’erreurs historiques, il ne s'agit même plus de révisionnisme mais effectivement - et pourquoi pas - de surréalisme. Pour ceux que cette période, le personnage de Tecumseh et la bataille de Tippecanoe intéresseraient, il faudra plutôt se tourner - d’après des sources assez sûres - vers un téléfilm de Larry Elikann coproduit par Francis Ford Coppola et datant de 1995, Tecumseh, le dernier guerrier. Pour la petite histoire, après que dans les faits les Shawnees et les Anglais eurent perdu cette guerre ultra-violente, les Indiens survivants se réfugièrent au Canada sous protection britannique.

Quoi qu’il en soit, on sait que Hollywood a souvent violé l’histoire et que certaines de ces "profanations de la vérité historique" ont eu pour résultats des œuvres enthousiasmantes. Ce qui n’est évidemment pas le cas pour ce western de troisième zone de la Columbia produit par Sam Katzman et écrit par Robert E. Kent ; ces deux hommes s'étaient déjà rendus responsables du médiocre La Hache de la vengeance (When the Redskins Rode) de Lew Landers l’année précédente dont le western de Bennet reprend quelques plans pour ses scènes de batailles, des Iroquois "à crêtes" venant s’inviter quelques secondes, succédant à deux ou trois reprises à des indiens bien chevelus. Pas très sérieux tout ça ! Pas plus que les costumes au rabais semblant tout droit sortis de coffres à jouets - tout comme le premier tambour qui apparait lors d’une réunion indienne et qui vaut son pesant de cacahuètes -, les décors intérieurs plus qu’étriqués, les cascadeurs peu chevronnés - surement moins convaincants que si on avait utilisé à leur place des écoliers jouant aux cow-boys et aux Indiens dans une cour de récréation -, un personnage féminin tout droit sorti d’une screwball comedy des années 40 - assez savoureuse Christine Larsen cependant -, des acteurs principaux tous aussi peu charismatiques les uns que les autres, que ce soit Jon Hall, Jay Silverheels - spécialiste des rôles d’Indiens et qui aura été autrement meilleur dans bien d’autres westerns - ou encore Michael Ansara. On pourra mettre tout cela sur le compte d’un budget "riquiqui" dont le tiers a dû être alloué pour les explosifs, utilisés à plusieurs reprises avec une assez belle efficacité. De plus, la mise en scène extrêmement mollassonne et totalement impersonnelle n’aide pas à nous faire apprécier les quelques séquences mouvementées ; et d’ailleurs, le dernier quart qui les concentre s'avère la partie la plus ennuyeuse du film, bien qu'on ait pu auparavant trouver un certain charme à quelques scènes dialoguées ou à ce prologue inhabituel de l’attaque fluviale de la barge américaine.

Un sujet peu traité au cinéma pour une représentation historique très naïve voire même assez condescendante, avec d’un côté les bons et nobles Indiens souhaitant vivre comme les Blancs et de l’autre les mauvais Indiens refusant toute alliance avec ces derniers. Des idées assez originales comme celle de la construction d’une ville "civilisée" par les Shawnees de Tecumseh, un piochage de musique parfois assez heureux - notamment pour le générique du début - un Technicolor qui en met toujours plein la vue, une première moitié quelquefois plaisante pour un western que de nombreux spectateurs trouveront au choix ennuyeux ou (et) idiot... sans qu’ils n’aient forcément tort !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 15 avril 2017