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Critique de film
Le film

La Bagarre de Santa Fe

(Santa Fe)

L'histoire

La Guerre de Sécession vient de se terminer laissant le pays dans un état lamentable. Les frères Canfield, Britt (Randolph Scott), Clint (John Archer), Tom (Peter Thompson) et Terry (Jerome Courtland), qui font partie des vaincus, ont tout perdu y compris leur plantation en Virginie. Sous l’impulsion de Britt, leur aîné, ils décident néanmoins de refaire leur vie mais se retrouvent poursuivis après avoir tué en état de légitime défense un officier de cavalerie nordiste qui leur avait cherché des noises en les provoquant. Ils doivent quitter la région au plus vite ; sur le point d’être rattrapés par les hommes de loi, ils s’échappent in extremis en sautant sur un train en marche. Britt, l'ainé, devient le contremaître d’une compagnie de chemin de fer, la Santa Fe Railroad, dirigée par un ex-major de l’armée unioniste, Dave Baxter (Warner Anderson). Judith Chandler (Janis Carter), chargée de gérer la paie des ouvriers, n’est pas insensible au charme de Britt même si elle a compris qu’il y a de fortes chances pour qu’il soit responsable de la mort de son mari lors d’une violente bataille. Alors que Britt travaille honnêtement, ses frères en revanche décident de gagner leur vie sans trop mouiller leur chemise. Ils se retrouvent embauchés par Cole Sanders (Roy Roberts), le patron d’un "saloon roulant" qui suit la compagnie de chemin de fer en lui faisant perdre un temps considérable, les travailleurs dilapidant leur paie à se saouler et à jouer. Britt et ses hommes incendient ce lieu de débauche. Il retrouve ses frères un peu plus tard à Dodge City, toujours sous les ordres de Cole Sanders. Les ennuis ne font que commencer le jour où la paie des ouvriers se fait voler et que le célèbre Marshall Bat Masterson (Frank Ferguson) décide de mener l’enquête. Britt se retrouve ainsi tiraillé entre sa conscience professionnelle et son amour fraternel...

Analyse et critique

Depuis la fin des années 40, Randolph Scott fait sans cesse la navette entre la Columbia (au sein de laquelle il produit ses propres films en collaboration avec Harry Joe Brown) et la Warner ; il est intéressant une fois encore de constater qu’à genre, ingrédients et budget équivalents, les premiers se révèlent tous autrement plus réjouissants. En gros, ceux qui n’auraient pas envie de se coltiner trois westerns avec Randolph Scott pour en voir un seul de potable doivent aller piocher - plutôt que dans les films produits par la RKO, la Paramount ou la Warner - dans ceux distribués par la Columbia jusqu’à présent tous éminemment sympathiques à défaut d’être inoubliables, loin s’en faut : The Desparadoes de Charles Vidor, Coroner Creek de Ray Enright, Gunfighters de George Waggner, The Nevadan de Gordon Douglas et maintenant, cependant un peu en dessous des précédents, Santa Fe, western de série tout à fait plaisant même si à ne réserver qu’aux aficionados du genre ou de l’acteur principal. Bref, pour résumer aux "néophytes en Hollywood", c’est assez simple : on trouve le meilleur de Randolph Scott au sein des westerns précédés du logo représentant une femme brandissant une torche devant un ciel somptueusement nuageux. En attendant, revenons à nos moutons, et donc à ce petit western sans prétention adapté de Santa Fe : The Railroad That Built an Empire écrit par James Marshall.

Le train est un des éléments essentiels du genre et l'un des plus cinégéniques. Pourtant, il n’a pas encore vraiment eu de si nombreuses occasions à cette époque de se retrouver au centre d’intrigues westerniennes ; il y a néanmoins déjà eu les célèbres Cheval de fer (The Iron Horse) de John Ford et Pacific Express (Union Pacific) de Cecil B. DeMille sur la construction des chemins de fer, sans oublier le superbe Whispering Smith de Leslie Fenton, à ce jour le western parlant mettant le mieux en valeur "le cheval de fer". Santa Fe vient nous rappeler cette période épique de l’avancée des rails vers l’Ouest avec certes beaucoup moins d’ampleur et de moyens mais avec moult locomotives rutilantes, ce qui fait de cette production la plus couteuse à l’époque des séries B avec Randolph Scott (plus d’un million de dollars). Le Technicolor aidant, c’est un véritable régal pour les yeux que ces vieux trains vintage flambants neuf. Rien que pour cela, le film d’Irving Pichel vaut le coup d’œil et notamment pour le premier plan au cours duquel, du sommet d’une colline, les quatre frères aperçoivent la locomotive s’avancer au sein d’un très beau paysage !

Irving Pichel, ce nom ne vous dit probablement pas grand-chose ; Santa Fe est l’une de ses dernières œuvres. Sa carrière comporte autant de films en tant que comédien qu’en tant que cinéaste, ses seuls "titres de gloire" derrière la caméra ayant été Les Chasses du Comte Zaroff (The Most Dangerous Game) qu’il coréalisa avec Ernest B. Schoedsack) en 1932 et Destination Lune (Destination Moon) en 1950, une production George Pal et son plus gros succès. Il fut aussi la voix du narrateur que l’on entend au début et à la fin de La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon) de John Ford. Selon Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans leur 50 ans de cinéma américain, il aurait été "l’une des victimes les plus ignorées de la chasse aux sorcières", sa carrière s’étant considérablement ralentie après qu’il a été dénoncé comme communiste par le réalisateur Sam Wood.

Ses prises de position politiques un peu progressistes sont peut-être à l’origine des éléments les plus intéressants de Santa Fe, Kenneth Gamet au scénario n’étant pas non plus un mauvais écrivain en nous l’ayant déjà prouvé avec son travail sur Coroner Creek et surtout pour avoir signé le scénario de cette pépite méconnue du film d’aventure avec John Wayne et Gail Russell qu’est Le Réveil de la Sorcière Rouge (Wake of the Red Witch). Le prologue nous dépeint un tableau assez sombre de l’après-guerre civile, décrivant celle-ci comme un des plus grands fléaux qu’ait connu l’Amérique. Et ensuite, les deux hommes prennent clairement le parti de la réconciliation au travers du personnage interprété par Randolph Scott, sorte de médiateur avant l’heure prônant l’arrêt des disputes, proposant d’oublier le passé et d’aller en avant plutôt que de ressasser les rancunes et les haines. L’acteur est plutôt convaincant pour faire passer ce message pacifiste et ceux qui n’auront pas été dans son sens se verront mal finir ; sans vous révéler ce remuant final, il se révèle somme toute assez imprévisible au sein d'un western de série par ailleurs sans autre but que de divertir.

Dommage par ailleurs que, hormis Randolph Scott toujours aussi classieux dans sa veste en cuir élimée, le reste du casting soit aussi terne et que le personnage féminin ait été autant sacrifié ; de ce côté, il aurait pu se développer une romance intéressante entre cette femme tombant amoureuse du probable "assassin" de son époux. Mais le mot d’ordre ayant été action, action, action, ça file sur un rythme soutenu sans s’attarder plus avant sur la psychologie des personnages. On aurait aussi très bien pu se passer du duo "à la Laurel et Hardy" joué par Billy House et Olin Howlin en conducteurs de train, ainsi que de la description un tantinet moqueuse de la nation indienne. Un scénario certes peu original mais dans l’ensemble plutôt bien écrit - sauf à mi-parcours où l’enchainement assez flou des situations fait qu’on s’y perd un peu, sans que l'on comprenne nécessairement tous les tenants et les aboutissants de la course à Raton Pass), le "héros" joué comme il se doit par Randolph Scott ayant du mal à se dépêtrer de la situation où il se trouve, pris en tenaille entre son honnête métier mais ne voulant néanmoins pas que ses hors-la-loi de frères se fassent prendre. Un homme droit et intègre qui n’en est pas moins très attaché à sa famille et qui va tout faire, au risque de perdre son travail et sans nécessairement y parvenir, pour la faire revenir dans le droit chemin. Avec une telle histoire, des cinéastes majeurs auraient pu accoucher d’un très grand film. En l’état, cela se tient déjà pas mal ; mais, redisons-le à nouveau pour éviter des déceptions, seuls les amoureux de la série B sans prétention pourront y trouver leur compte.

Ce western coloré et mouvementé tourné dans les beaux paysages de Prescott en Arizona bénéficie en outre d'une mise en scène assez solide, de l'action, du mouvement, d'un beau Technicolor et de beaux extérieurs. On y trouve pèle-mêle des poursuites échevelées, des bagarres à poings nus plutôt convenablement exécutées et une scène d’action finale sur un train en marche d’une belle efficacité. Ressemblant par bien des points au premier western de Fritz Lang, Les Pionniers de la Western Union, il n’est pas interdit de le préférer à ce dernier qui n’était pas loin s’en faut une grande réussite. A noter que le titre français pourrait induire en erreur ; en effet, on aurait pu s'attendre à un film se déroulant dans la ville de Santa Fe alors qu’il s’agit du nom de la compagnie ferroviaire.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 26 janvier 2013