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Critique de film
Le film
Affiche du film

Femmes

(The Women)

L'histoire

Mary Haines est l’épouse exemplaire d’un homme d’affaires Stephen Haines et mère d’une petite fille. Elle est entourée d’amies plutôt cancanières, spécialement Sylvia Fowler qui sait quelque chose que Mary ignore. Stephen a une liaison avec Crystal Allen, une vendeuse arriviste. Grâce « aux bons soins » de Sylvia, Mary découvre la vérité. Après une forte confrontation avec Crystal, et poussée par Sylvia, Mary part à Reno pour y obtenir rapidement le divorce.

Analyse et critique

Souvent qualifié de cinéaste de "la femme" par sa capacité à capturer la psychologie féminine, George Cukor prenait l'adage au pied de la lettre en 1939 en s'attaquant à The Women. A l'origine, on trouve une pièce de Clare Boothe Luce qui triomphe sur les scènes de Broadway à son lancement en 1936 et qui totalisera pas moins de 666 représentations. Dépeignant les mœurs de la haute société de Manhattan à travers ses femmes, la pièce avait pour originalité sa distribution exclusivement féminine mais également des dialogues très crus pour les échanges acerbes entre les protagonistes. Dès 1937, les droits du film sont achetés en vue d'en faire un véhicule pour Claudette Colbert qui serait dirigée par Gregory La Cava (qui se rattrapera sur le merveilleux Pension d'artistes, autre grande œuvre chorale au féminin) mais cela n'aboutira pas. Il faudra attendre 1938 pour que le projet avance, la MGM l'envisageant désormais pour Norma Shearer et Carole Lombard. Seule la première sera finalement de la production tandis que s'ajoute le réalisateur idéal pour un tel matériau avec un George Cukor fraîchement disponible après avoir été congédié du plateau d'Autant en emporte le vent par David O'Selznick.


Le principe du casting totalement féminin est conservé (au contraire du remake de 1956, The Opposite Sex, qui trahit le concept en incluant des acteurs) et va donner l'une des distributions les plus extraordinaires de l'époque : Norma Shearer donc, mais aussi Joan Crawford, Rosalind Russell, Joan Fontaine, Paulette Goddard, Phyllis Povah (seule rescapée des acteurs de la pièce et reprenant le rôle qu'elle y tenait) pour un total de 130 rôles plus ou moins conséquents. Dès l'ouverture, on saisit bien que The Women est un film "sur les femmes" et non pas féministe avec un générique où nous sont présentées les héroïnes, chacune étant associée à un animal reflet de leur personnalité allant du peu flatteur au réellement moqueur. La métaphore sur la jungle que constitue la communauté féminine est posée mais c'est plutôt à un poulailler qu'on songera durant la première séquence. Nous sommes dans un salon de soins où Cukor fait virevolter sa caméra du bain de boue à la manucure, de la salle de massage à la coiffure tandis que partout résonne une sorte de piaillement infernal, magma indistinct de médisances, de commérages et de méchancetés. L'un d'entre eux se distingue bientôt de l'ensemble lorsqu'on apprend que l'épouse modèle, Mary Haines, est trompée par son mari avec une vendeuse de parfums. Cukor croque avec un mordant jubilatoire la sournoiserie de ce groupe de femmes qui loin de plaindre leur "amie" répandent la rumeur et multiplient face à elle les allusions désobligeantes. La plus odieuse et hypocrite est incarnée par une Rosalind Russell survoltée qui rend sa Sylvia Fowler aussi détestable qu'hilarante.

On n'en dira pas autant de Joan Crawford dans le rôle de la croqueuse de diamants Crystal Allen, vénale et sans scrupule. Crawford vampirise totalement son image de jeune fille pauvre et ambitieuse et anticipe ses futurs emplois à la Warner avec cette séductrice carnassière bien évidemment associée à un fauve lors du générique. La rivalité avec Norma Shearer au sein du film en dissimulait d'ailleurs une autre bien réelle dans les coulisses de la MGM. Norma Shearer était en effet mariée à Irving Thalberg, producteur et bras droit de Louis B. Mayer, président du studio. Ce statut amena Joan Crawford à l'accuser d'en jouer pour obtenir les plus beaux rôles du studio. Les scènes qui les opposent ne s'en trouvent que plus chargées d'électricité, tel ce face-à-face dans la salle d'essayage où la "biche" Norma Shearer se fait dévorer toute crue par l'impitoyable panthère Joan Crawford. L'intrigue un peu lâche tourne ainsi autour de ses différentes intrigues amoureuses où l'on va croiser d'autres extravagants personnages tel la chorus girl à croquer Miriam Aaron (Paulette Goddard), une comtesse échaudée mais toujours prête pour une nouvelle passion (Mary « L'amour l'amour » Boland) et la plus timide et introvertie Peggy (Joan Fontaine), toutes sur la route du divorce à la ville de Reno. Tous ces différents personnages sont des miroirs possibles de l'attitude à adopter pour une Norma Shearer toujours amoureuse mais ne pouvant surmonter l'humiliation de la tromperie. Sous les excès, le script est d'une grande finesse pour mettre à jour les questionnements soulevés par la situation de l'héroïne.


Doit-elle comme le lui conseille sa mère fermer les yeux comme si de rien n'était car "les hommes sont ainsi", affirmer sa liberté de femme moderne et punir l'infamie par le divorce ? La réponse est entre les deux et lui sera donnée le temps d'un brillant dialogue avec Paulette Goddard : suivre son cœur et se battre pour son homme si elle tient toujours à lui. Ni misogyne, ni féministe mais simplement humain obéissant à leurs sentiments profonds : voilà la vision de la femme pour Cukor et le cheminement que suivra Norma Shearer. Au diable les mauvais conseils et la fierté lors de la géniale conclusion où l'oie blanche Mary Haines se transforme en harpie digne de ses adversaires et se joue enfin d'elles. Cukor mène tambour battant un film long de 2h15 sans vrais rebondissements, sans vraies grandes trames directrices. Il parvient à ne jamais ennuyer dans ce qui se résume à de longues conversations entre femmes par un sens du rythme (les répliques assassines même édulcorées pleuvent sans férir, Mrs Prowler !), une trivialité vulgaire assumée (la bagarre assez chaotique à la ferme de Reno) et une élégance visuelle époustouflante telle cette irruption inattendue du Technicolor le temps d'une présentation de mode glamour. Et bien évidemment, des stars aux seconds rôles en passant par la moindre figurante, la femme, drôle, séduisante, ridicule ou fragile est magnifiquement mise en valeur.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 12 octobre 2016