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Critique de film
Le film
Affiche du film

Du sang dans le désert

(The Tin Star)

L'histoire

Avec le corps d’un dangereux bandit en travers de la selle de sa monture, Morgan Hickman (Henry Fonda) fait une entrée remarquée dans la petite ville de l’Ouest où il pénètre pour la première fois. Le nouvel arrivant est un chasseur de primes qui vient toucher la récompense promise pour la capture mort ou vif du hors-la-loi. Ben Owens (Anthony Perkins), le malingre shérif des lieux, lui demande de rester sur place au moins une journée, le temps de vérifier l’identité du cadavre. Devant l'hostilité générale de la population, ne trouvant nulle part où se loger, pas plus à l’hôtel que dans une grange, Hickman trouve refuge pour la nuit chez Nona Mayfield (Betsy Palmer) qui vit seule avec son jeune fils Kip. Le lendemain, Hickman sauve la vie du jeune shérif alors que celui-ci allait se battre en duel contre l’antipathique Bart Bogardus (Neville Brand) qui n’a qu’une seule idée en tête, se débarrasser d’Owens pour pouvoir se faire élire homme de loi à sa place. Pour prouver à Hickman sa reconnaissance, Ben lui propose de devenir son adjoint. Mais Hickman refuse dans un premier temps. Néanmoins, voyant que s’il continue sur sa lancée Ben ne fera pas de vieux os (au grand dam de sa fiancée qui le pousse avec insistance à déposer son étoile), Hickman accepte de rester quelques temps à ses côtés afin de pouvoir lui faire part de son expérience, de lui enseigner le maximum de choses afin de rester en vie. Au fur et à mesure, Ben apprend également quelques bribes du passé de Hickman, les raisons tragiques qui l'ont fait choisir d'abandonner son poste de shérif pour celui moins honorable de "bounty hunter"...

Analyse et critique

Du sang dans le désert (un titre français une fois encore totalement incongru au vu de l’intrigue qui nous est proposée, le film se déroulant de plus principalement en milieu urbain), neuvième des onze westerns que réalisa Anthony Mann, est aujourd’hui encore, avec The Furies, le moins connu du lot, le moins régulièrement repris en salles ou diffusé à la télévision. Il se pourrait qu’il soit dans le même temps le plus faible d’entre tous ceux déjà sortis à cette date, fin 1957. Ceci expliquerait-il cela ? L'hypothèse est plausible mais ne devrait surtout pas détourner le grand public de ce western plus qu'estimable, surtout que ce récit d'apprentissage aurait beaucoup de chances de plaire au plus grand nombre, y compris à ceux n'appréciant pas particulièrement le genre ! Comme nul autre, le cursus westernien du cinéaste a jusqu’ici tellement de fois côtoyé les sommets, de La Porte du Diable (Devil's Doorway) à La Charge des Tuniques bleues (The Last Frontier), en passant par le fabuleux quinté en collaboration avec James Stewart, qu'il n'est aucunement surprenant qu'un film se situant pas mal de coudées en-dessous soit pourtant à nouveau une belle réussite. Ce qui est bien le cas concernant The Tin Star (traduction : l’étoile en étain, ou plus communément l’insigne du shérif). La démonstration est faite : placer certains films plus bas que leurs prédécesseurs ne veut parfois pas dire grand-chose et surtout pas en l'occurrence que ce western soit à négliger. Même si basé sur une intrigue plus conventionnelle et ne possédant ni l’ampleur ni l’intensité de la plupart des précédents westerns du cinéaste, Du sang dans le désert n’en demeure donc pas moins un très beau film, assez rare et méconnu, qui narre une attachante histoire d'amitié entre un chasseur de primes vieillissant, hanté par son passé, et un jeune shérif naïf, gauche et inexpérimenté qu'il prend sous son aile.

Il fallait néanmoins tout les dons conjugués du formidable Henry Fonda (trop peu actif dans le genre), du talentueux Anthony Mann, ainsi que de Dudley Nichols - auteur peu prolixe dans le domaine du western, mais ayant quand même signé un sans-faute avec non moins que les scénarios de trois grands classiques du genre : Stagecoach (La Chevauchée fantastique) de John Ford, Rawhide (L'Attaque de la malle-poste) de Henry Hathaway ainsi que The Big Sky (La Captive aux yeux clairs) de Howard Hawks - pour, à partir de tant de situations vues et revues ainsi que de personnages fortement stéréotypés, aboutir à une belle réussite au lieu d’un banal western conventionnel de plus. Car en effet, The Tin Star ne propose aucune réelle nouveauté et ne provoquera aucune véritable surprise chez l’amateur de westerns en cette fin d’année 1957 ; tous les éléments que l’on trouve dans le scénario de Dudley Nichols, y compris la réflexion sur la loi et l’ordre, ont déjà été maintes fois mis en avant, que ce soit dans des westerns de prestige ou des séries B. Constatez plutôt : un ex-shérif vieillissant et revenu de tout ; une jolie veuve vivant seule avec son enfant et qui va trouver en cet étranger un futur compagnon en même temps qu’un père idéal pour son fils, ce dernier vouant une admiration sans bornes à ce justicier venu de nulle part (Shane de George Stevens) ; un jeune homme de loi maladroit qui va se voir enseigner son métier par l’homme aguerri (The Proud Ones de Robert D. Webb) ; comme dans quasiment un western sur deux, une femme prosaïque qui cherche à protéger son époux en le priant de mettre un terme à son mandat de shérif, un métier bien trop dangereux à ses yeux (« I’m gonna be a wife, not a widow ») ; un "bad guy" antipathique qui va entraîner dans son sillage la majorité des citoyens sur la voie du lynchage (The Ox-Bow Incident de William Wellman, déjà avec Henry Fonda) ; le chasseur de primes rejeté aussi bien par les notables que par les petites gens (The Bounty Hunter d'André de Toth) ; l’homme de loi seul contre tous (High Noon de Fred Zinnemann) ; le message antiraciste de circonstance, surtout en ces années-là ; le discours sur la justice et la violence... Rien de nouveau !

Mais l’on sait parfaitement bien que la qualité d’un film ne vient pas nécessairement de sa capacité à innover ; en ce sens, le western psychologique, sensible et humain d'Anthony Mann est là pour nous le prouver, toutes ces thématiques classiques étant développées avec une belle conviction à défaut d’être vues au travers d'un regard neuf. Essayons, rien qu'en le décrivant brièvement, de faire comprendre en quoi le scénario de Dudley Nichols s’avère, outre convenu, plus qu’honorable. Hickman, le chasseur de primes, ayant perdu famille et amis, traîne sa carcasse de ville en ville avec ses cadavres couchés en travers de son cheval ; il est un peu désabusé et somme toute assez lucide sur la nature humaine. Le fait de rencontrer un jeune homme à qui il devait fortement ressembler voici quelques années en arrière, et à qui il va devoir donner des conseils, semble lui redonner goût à la vie ainsi que l'estime de soi, tout comme la rencontre avec une douce veuve et son fils. De solitaire, il se retrouve quasiment du jour au lendemain avec deux enfants à charge, glorifié par le plus jeune, s’occupant du plus grand d’une manière très paternelle. Il commence tout d’abord à aller dans le sens de l’épouse de ce dernier, en lui conseillant tout simplement de rendre son étoile qui ne lui apportera selon lui que des embrouilles, voire une mort plus précipitée que prévue. Mais, grandement épaté par la droiture et le sens civique de son "élève", sachant pertinemment qu’il voudra coûte que coûte continuer sa mission sacrée de maintien de l’ordre et de la justice malgré une grande part d'inconscience du danger de sa part, il change de discours pour inculquer à ce bouillonnant redresseur de torts la marche à suivre afin de courir un minimum de risques et de vivre le plus longtemps possible. Par le fait de rester constamment à ses côtés durant plusieurs jours, Hickman redécouvre alors l’amitié en même temps que l’amour, auprès de deux personnes qui, trop pures pour elle, n’arrivent pas à se fondre au sein de cette époque assez barbare.

En effet, cette petite ville de l’Ouest est une parfaite représentante d’une société qui ne porte aucune estime à ceux qui souhaitent faire maintenir l’ordre avec justice et sans violence, et qui refuse d’intégrer les étrangers ainsi que ceux qui frayent avec eux : à cause du racisme ambiant, Nona et son jeune enfant qu’elle a eu avec son époux indien sont tous les deux tenus à l’écart aux abords de la cité. Ses citoyens gardent néanmoins leur bonne conscience hypocrite en fustigeant les chasseurs de primes tout en étant intérieurement ravis qu’ils accomplissent leur travail de "bourreau", les débarrassant ainsi rapidement de leurs brebis galeuses. Une vision assez pessimiste, contrebalancée par une douceur de ton inhabituelle dans les westerns du réalisateur, et qui finit par aboutir à un chaleureux happy end. Racisme, hypocrisie et lynchage auront rendu les armes alors que la justice, l’amour et l’amitié triompheront : les antécédents douloureux de chacun des principaux protagonistes se seront métamorphosés en situations porteuses d'espérance. S’il n’a donc pas grand chose à voir avec la série qu’Anthony Mann réalisa avec James Stewart (malgré ici des fins parfois tout aussi lumineuses comme celle de son chef-d'œuvre, Bend of the River), ce récit d’apprentissage s’avère plastiquement et dans sa mise en scène tout aussi impressionnant. En effet, le réalisateur ne laisse rien au hasard, sait créer une ambiance et faire monter la tension dramatique comme personne (voire le travail sur le son et l'image lors de la première séquence de l'arrivée de Henry Fonda dans la ville), et sa science du cadrage touche encore une fois à la perfection (les magnifiques plans larges, identiques, qui débutent et clôturent le film ; les plans sur la rue principale de la ville vue de l'intérieur du bureau du shérif possédant une grande baie vitrée). Même s'il s'agit cette fois ci d'un western "en chambre", la nature faisant place ici à une petite ville de l’Ouest et à sa communauté bouillonnante et brutale, les quelques séquences se déroulant en extérieurs (la chasse à l’homme mouvementée dans les montagnes, un poil trop étirée cependant), nous rappellent à quel point le cinéaste n’avait pas son pareil pour filmer les paysages à sa disposition.

Et puis, chose loin d'être désagréable, le cinéaste prend son temps, flâne avec le taciturne Henry Fonda et ses hôtes, mais ne nous procure aucune seconde d’ennui car, outre le scénario parfaitement rythmé, rigoureux et intelligent de Dudley Nichols, une musique très réussie et pleine de panache d'Elmer Bernstein et un somptueux noir et blanc signé Loyal Griggs (Shane), il tient à sa disposition, hormis un casting dans l'ensemble assez décevant, un duo d'acteurs épatant, accompagné d’un attachant John McIntire dans le rôle du médecin et d'un Lee Van Cleef qui commençait à obtenir des rôles un peu plus consistants. Henry Fonda est (comme à son habitude) parfait dans la peau de cet homme qui va éveiller la mauvaise conscience de la ville dans laquelle il arrive, l'amour dans le cœur d'une veuve, de l'admiration chez un jeune garçon et le respect chez son élève ; tour à tour inquiétant puis attachant et profondément humain, il porte le film sur ses épaules. Mais la plus grande surprise vient d’Anthony Perkins à qui le rôle de ce jeune shérif inexpérimenté et gauche va comme un gant. La maladresse de l'acteur s'accorde parfaitement avec celui de son personnage d’homme fragile devenu shérif malgré lui (l’étoile et le poste qui va avec lui avaient été confiés après la mort violente de son beau-père qui le précédait à cette dangereuse place). Anthony Mann dira d’ailleurs à propos de son acteur : "Tony a d'énormes possibilités, mais il a besoin d'être guidé et conseillé comme son personnage dans le film." Peu confiant en lui, le comédien avait failli voir son personnage être attribué à Audie Murphy ; puis, malade juste avant le début du tournage, Jeffrey Hunter avait lui aussi été sur le point d’endosser le rôle du shérif. Mais les producteurs préférèrent repousser le tournage de quelques semaines afin qu’Anthony Perkins puisse rester sur la touche ; bien leur en a pris puisque la critique fut élogieuse à son égard. Il est juste un peu dommage que la psychologie de son personnage ne soit pas plus fouillée. Les deux personnages féminins auraient mérité eux aussi une plus grande attention de la part du scénariste ; malgré la beauté de celui de Nona, on reste un peu sur sa faim le concernant ainsi qu'à propos de sa romance avec Hickman. Quant à Neville Brand dans la peau de celui par qui le drame arrive, il n'a pas grand chose d'intéressant à nous démontrer lui non plus. Hormis l'élève et le maître, peu de protagonistes arrivent à retenir notre attention ; cette absence d'une pittoresque et inoubliable galerie de seconds rôles est probablement la principale raison pour laquelle ce western n'est pas du niveau de tous les précédents films du cinéaste.

Paradoxe : malgré sa moindre réputation, The Tin Star aura cependant été le seul film du grand réalisateur américain à avoir été nommé pour les Oscars, pour son scénario humaniste et antiraciste d’une grande noblesse de sentiments. Il s'avérait effectivement plus complexe qu'il n'y paraissait au départ, avec en prime une description très vivante et juste d'une petite ville de l'Ouest et de ses habitants. On regrettera néanmoins une durée trop brève qui ne permet pas de fouiller plus avant ses personnages et quelques passages beaucoup trop prévisibles (on aura compris au moins dix minutes à l'avance que le vieux médecin allait faire les frais du conflit). Si le scénario méritait cette reconnaissance, l'interprétation de Henry Fonda ainsi que la rigueur et la maîtrise de la mise en scène n'avaient rien à lui envier. Anthony Mann signait alors un western efficace et bien mené, moins sombre et plus tendre qu'à l'accoutumée : un film certes loin d'être parfait mais chaleureux, et dont il n'eut vraiment pas à rougir. Ne pas hésiter à lui donner sa chance d'autant que les probabilités d'être déçus sont assez faibles.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 9 novembre 2013