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Critique de film
Le film
Affiche du film

Nous nous sommes tant aimés !

(C'eravamo tanto amati)

L'histoire


Gianni,
l’avocat lombard (Vittorio Gassman), Antonio, le militant de gauche romain, brancardier dans le civil (Nino Manfredi) et Nicola, l’enseignant napolitain passionné par le septième art (Satta Flores) deviennent amis au sein de la résistance italienne. A la fin de la guerre le trio se retrouve à Rome, où il rencontre une jeune femme, Luciana (Stefania Sandrelli). Ils vont s’aimer, se perdre, se retrouver, traçant, en creux, le bilan d’une génération désabusée.

Analyse et critique

L’Histoire, avec un H majuscule, a constitué un creuset pour la comédie italienne moderne celle qui, à l’orée des années soixante, se détacha peu à peu du slapstick et du comique de mœurs. Des œuvres comme La Grande Guerre (Mario Monicelli, 1959), La Grande Pagaille (Luigi Comencini, 1960), ou Une Vie Difficile (Dino Risi, 1961), ont instauré un rapport dialectique entre humour et analyse historique.

Grand succès de l’année 74 Nous Nous Sommes Tant Aimés, d’Ettore Scola, s’impose comme le sommet de cette démarche critique. Dans ce bilan générationnel le cinéaste transalpin et son duo de choc de scénaristes (les indispensables Age et Scarpelli) interrogent une partie de l’Histoire sociale de leur pays (de la fin du fascisme à 1974), et ce à l’aune de l’Histoire du cinéma.

On le sait un film comme Divorce à l’italienne a autant contribué à l’acceptation du divorce par la population italienne, que les discours de la classe politique. Il n’est donc pas étonnant qu’en cinéphiles convaincus et éclairés, Scola et ses scénaristes convoquent la mythologie du septième art pour éclairer les mutations politico sociales italiennes.

Dédié à la mémoire de Vittorio De Sica, le film entame sa démarche réflexive avec des images qui renvoient à un autre grand cinéaste du néo-réalisme. Le flash-back inaugural, qui revient sur le passé engagé des personnages, épouse le style quasi-documentaire du Païsa de Rossellini. Chaque césure historique est d’ailleurs associée à un régime esthétique particulier et se manifeste par des parti pris de mise en scène spécifiques. Les références cinématographiques irriguent un scénario qui fait s’entrechoquer des problématiques historiques à des questions purement cinématographiques. Par exemple, le fait que le personnage de Nicola défende Le Voleur de Bicyclette à un moment donné du récit, n’a rien d’anecdotique. Scola restituant le climat tendu de l’après-guerre en utilisant le film emblématique de De Sica qui cristallise, selon-lui, toutes les craintes inhérentes à cette période trouble.

L’ère dite du miracle économique, quant à elle, prend des allures de Dolce Vita. Scola allant jusqu’à faire visiter le tournage du film fellinien par deux de ses personnages, avec la bienveillance du Maestro, lui-même, et de Marcello Mastroianni, qui interprètent leur propre rôle. Scola convoque ensuite la figure d’Antonioni, pour illustrer la dérive bourgeoise d’un de ses protagonistes, engoncé dans une crise d’incommunicabilité avec les siens.

Ce rapport, étroit, symbiotique, entre fiction, Histoire et Histoire du cinéma, intervient à de multiples niveaux. L’interprétation du film traduit également la volonté des auteurs d’inscrire, dans la matière même de leur œuvre, une réflexion élaborée sur l’évolution socio-culturelle de l’italie. Aldo Fabrizi l’entrepreneur bourgeois qui, dans le film, appartient à une génération abhorrée par Antonio, est non seulement, au cinéma, l’interprète de Rome ville ouverte, mais également le comparse de Toto, acteur emblématique de la précédente vague de la comédie italienne. Gassman et Manfredi, eux, personnifient la modernité de ce genre. Monstres sacrés autant que sacrés « monstres » (dans les bien nommés Nouveaux Monstres ou Une poule, un train et quelques monstres) leur physique plus « passe partout », « qualunque » diraient les puristes, s’avère moins intrinsèquement comique, débarrassé des tics clownesques des Toto et Fabrizi.

Mais la force de Nous Nous Sommes Tant Aimés réside dans cette capacité à sublimer ce qui n’aurait pu être qu’un fastidieux exercice de style, en ne sacrifiant jamais l’émotion sur l’autel de l’analyse critique.

« Nous voulions changer le monde, c’est lui qui nous a changés » entend-on dans cette œuvre à la fois résolument drôle et éminemment mélancolique.
Elégie du regret, le film de Scola entérine les défaites d’une génération, tout en déclarant sa flamme à un art populaire qui a su refléter les espérances de toute une nation. Plus de trente ans après sa réalisation, le film demeure un des sommets de cette comédie italienne que nous avons tant aimée, pour sa portée sociale autant que pour ses vertus humoristiques.

A Carlotta...

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La fiche IMDb du film

Par Cosmo Vitelli - le 3 octobre 2006