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Interviews

Depuis notre précédente visite dans les locaux de Wild Side, l’éditeur a déménagé et occupe dorénavant des locaux plus spacieux : finies les rencontres dans l’entrée, coincés entre le canapé et le baby-foot, désormais c’est dans une confortable salle de réunion que nous discutons du bilan 2007, des éditions à venir ainsi que des projets concernant la haute définition et la VOD. La parole est à Manuel Chiche.

Franck Suzanne : Commençons par le bilan de l'année 2007 côté naphta.

Manuel Chiche : Il n'est pas bon. Malheureusement, on constate beaucoup de désintérêt pour les réalisateurs peu connus. Qu’il s’agisse de Masahiro Shinoda, Tomu Uchida ou Eiichi Kudo, les résultats ont été très limites. J'ai l'impression que la curiosité, l'esprit de découverte, se perdent un petit peu. Que ce soit les journalistes ou les consommateurs, chacun aime bien parler de ce qu'il connaît déjà. C'est quelque chose de très frustrant pour nous, qui avons tout bâti sur l'idée de faire découvrir ou redécouvrir. C'est finalement un goût un peu amer qui nous reste sur l'année 2007.

Ronny Chester : Beaucoup de vos coffrets n'ont pas atteint les chiffres de vente espérés ?

MC : Tous les coffrets (je ne parle que du cinéma de patrimoine). On a l'impression que quelque chose s'essouffle. Les habitudes de visionnage se déportent peut-être ailleurs. Encore que pour le patrimoine japonais, on peut le voir sur le net - on a fait quelques audits là-dessus -, il n'y a pas énormément de choses. Voilà ce qu'il reste de cette année 2007, que je préfère oublier au plus vite. On se retrouve face à une année 2008 et on se dit : qu’est-ce qu’on fait ?

RC : Vous avez souffert plus que d'autres de la baisse des prix et des volumes de vente ?

MC : Oui, peut-être. Sur le cinéma de patrimoine, je trouve que ça a été brutal. Mais est-ce que ça vient du marché en général ou de l'intérêt moyen pour les titres qu'on a sortis, je ne sais pas.

FS : Vous n'avez vraiment eu aucun succès ? Même pas pour les éditions individuelles ?

MC : Par rapport à ce que je considère comme un succès, non, aucun. On est très loin d'avoir fait le tour des réalisateurs que j'ai cités qui, pour moi, sont trois cinéastes essentiels dans le cinéma japonais. Je ne vois pas pourquoi les gens ne finiraient pas par y venir. Est-ce la profusion d'offres ? Je n'en sais rien. Mais il s'avère qu'on ne va pas lâcher le morceau ; c'est simplement que la déception est forte.

FS : En même temps, sortir 50 euro pour un coffret, juste pour découvrir un film, c'est rude. Alors qu'avec un Introuvable à 12 euro, on peut se dire : "Je ne connais pas, je peux essayer."

MC : Je suis d'accord. C'est ce qu'on va faire en sortant des éditions simples. C'est vrai que 50 euros, c'est une somme. Mais ce qu'on a en face, c'est aussi une somme. C'est beaucoup d'investissement au départ, c'est quelque chose qu'on ne trouve pas forcément ailleurs. On n'a jamais essayé de ponctionner plus que de raison le consommateur, nous avons essayé de vendre les produits au juste prix. Si on divise le prix d'un coffret à 50 euros par le nombre de films qu'il contient, on arrive à un prix relativement raisonnable.

Dès à présent, on va "relifter" les Introuvables qui ont un peu vécu. C'est la première décision qui a été prise pour 2008, avec une forme plus sobre, plus épurée, plus "littéraire".

RC : Votre collection Introuvables n'existera plus telle qu'elle est ?

MC : Non, une nouvelle charte graphique est mise en place. Il faut régénérer les choses de temps en temps.

RC : Sur le modèle de la collection Eclipse créée par Criterion, envisagez-vous d'éditer des films plus rares et plus pointus de façon plus sobre ?

MC : Cela dépendra des films. Mais s'inspirer d'Eclipse, non. Pour des raisons de coûts et d'approvisionnement, on va abandonner le digipack, sauf pour certaines éditions exceptionnelles. Ce sera un boîtier plastique simple pour les éditions simples à 14,99 euros, et un boîtier plastique double pour les éditions doubles à 19,99 euros. Et après, les prix habituels en opérations.

RC : Vous pensez vous orienter vers des rééditions simples ?

MC : Il y aura de tout. Déjà, on va arrêter les coffrets Shinoda, Kudo, Uchida, à épuisement des stocks. Ensuite, les films seront proposés dans des éditions simples. Libre aux gens d'en prendre et si ça leur plaît, d'en prendre un deuxième. C'est la décision majeure pour 2008. Surtout, cette année verra la fin de notre incursion au sein du cinéma japonais, que l’on terminera en beauté avec Hitokiri. On aura alors fait le tour de ce qu'on avait envie de sortir. Ensuite, on va se recentrer sur le patrimoine européen, les films de genre et le patrimoine américain.

RC : L'an dernier, vous nous aviez parlé du cinéma italien.

MC : Le cinéma italien, c'est pour 2009. C'est comme tout, chaque fois qu'on évoque un projet, ça prend une année de plus. Notre cycle italien démarrera avec la quasi intégrale de Roberto Rossellini restaurée en haute définition, histoire de partir du bon pied. C’est un chantier qui devrait démarrer par une ressortie de tous les films en salles : dans un premier temps, un festival itinérant Rossellini, puis une sortie en DVD. Il y a de nombreux témoignages à recueillir sur ce cinéaste qui avait une personnalité très complexe, ce sera un gros travail d'édition.

FS : Pour rester dans le cinéma italien, quels ont été les résultats pour Suspiria ?

MC : Pas mal. Je dirais que la polémique lancée par vos confrères de Filmsactu.com ne nous a pas beaucoup aidé, en revanche, une fois que les gens ont acheté le DVD, les retours ont été formidables. Même chose pour ceux qui ont vu le film en salles. Je suis extrêmement fier de ce qu'on a réalisé sur Suspiria, c'est l’une de nos plus belles éditions. Et je n'ai aucun regret, si ce n'est que le DVD ne s'est pas assez vendu.

RC : Les DVD TF1 Vidéo à bas prix de Dario Argento, qui circulent depuis des années, n'ont pas pesé sur les ventes de Suspiria ?

MC : Peut-être. Mais quand on aime le film, au prix où on l'a vendu, on n'a franchement volé personne. De toute façon, il va ressortir en édition simple avec le même master. Mais je pensais quand même qu'avoir la musique du film et nos compléments en plus n'était pas rien. Nous pensions en vendre plus, c'est ainsi, ce n'est pas grave. On a redonné vie à ce film, et on va le faire pour quatre autres films de Dario Argento : Le Chat à neuf queues, L'Oiseau au plumage de cristal, Ténèbres et Phenomena. Avant d'attaquer, si l'on y arrive, Inferno.

RC : Sur le même modèle que Suspiria ?

MC : Pour les quatre premiers cités, non. Ce seront des restaurations SD et non HD, mais à partir des négatifs. Sur ces titres, nous ne détenons que les mandats vidéo, on ne peut donc pas se permettre de faire une restauration HD que l'on ne pourra amortir que sur un seul support. Lorsque l’on dispose de tous les droits, il y a moins de problèmes. Ce sera le cas sur Inferno qui, lui, sera restauré en HD. Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines, mais on y travaille ardemment puisque, pour moi, c'est la suite logique de ce que l’on a fait sur Suspiria.



FS : Ces rééditions sont une excellent nouvelle. Mais la polémique risque peut-être de resurgir avec le coffret TF Vidéo trouvable partout à 30 euros, avec ses DVD qui sont techniquement perfectibles, car dans le lot, Suspiria est encore le mieux loti.

MC : J'avoue que je ne les ai pas regardés. Je suis parti de ce qu'on m'a dit et, de toute façon, on souhaite faire quelque chose de très beau sur ces films.

FS : Toujours au chapitre Argento, Quatre mouches de velours gris est une arlésienne internationale, on ignore qui a les droits ?

MC : Non, on le sait, mais il faut nous laisser du temps. Il faut de la patience. En dépit de notre prudence habituelle, cela prend toujours douze mois de plus que prévu. En général, on arrive à nos fins, mais le temps nécessaire au projet complique toujours un peu la donne. Il s'avère que grâce à la restauration de Suspiria, nous avons lié des relations fortes avec Dario Argento, et surtout avec son frère Claudio, ainsi qu'avec l'un de leurs collaborateurs, qui nous permettent d'avancer sur certains dossiers. Ils doivent d'abord déblayer le terrain au niveau juridique pour qu'on puisse ensuite passer à la phase active. Et aujourd'hui, ce n'est pas fait. Pour Quatre mouches de velours gris, nous connaissons exactement la nature du problème, nous savons pourquoi ça prend du temps. C'est une bataille juridique.

FS : C'est un ayant droit qui ne veut pas céder ?

MC : C'est un contrat qui a été établi sur une très longue durée avec une clause suspensive si le film n'est pas exploité. Puisqu'il n'est pas actuellement exploité, aujourd'hui s'engage la bataille juridique.

FS : Y aura-t-il le même traitement sur ces quatre titres d'Argento que sur Suspiria en terme de suppléments ?

MC : Probablement pas. Mais l'idée est plus simple : il y aura sans doute une introduction de Dario sur chaque film. De plus, je voudrais récupérer les droits de chaque musique, afin d'intégrer la bande originale du film sur chaque DVD. Nous souhaitons faire de même avec le western italien, et c'est loin d’être gagné ! On est en train de prendre des contacts pour voir si on y arrive, ce que j’espère vraiment.

FS : Pour les BOF italiennes, c'est toujours très compliqué.

MC : Oui. Mais on y est arrivé sur Suspiria, donc on va peut-être réussir. On verra bien. C'est vraiment ce que j'aimerais faire. J'ai regardé des compilations pour retrouver les traces des ayant droits, et ce n'est pas impossible, cela s’est souvent fait au Japon, par exemple. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’on finisse par devoir les acheter au Japon plutôt qu'en Italie.

RC : Les DVD de Dario Argento vont-ils faire partie de la future collection des films italiens ?

MC : Non. En fait, les Introuvables vont être segmentés en quatre gammes, bientôt cinq, à savoir l'Âge d'or du cinéma asiatique, l'Âge d'or du cinéma américain, l'Âge d'or du cinéma européen, les Maîtres du fantastique, et l'Âge d'or du manga. On pourra les identifier de façon à ce qu'ils forment une vraie ligne de collection, et accessoirement, pour que les vendeurs sachent dans quel rayon les placer. Ce n'est pas rien. Donc on est partis sur une idée toute simple, et toute la collection a été confiée à notre graphiste historique qui a géré les débuts des Introuvables.

RC : Comptez-vous rééditer tous les anciens Introuvables dans cette collection ?

MC : Au fur et à mesure, oui. On va travailler à nouveau sur les anciens Introuvables, ce qui permettra de mieux leur rendre justice.

RC : Vous avez d'autres chantiers sur le cinéma italien ?

MC : Comme vous avez vu, dans notre bibliothèque se trouve le "Mario Bava - All the Colors of the Dark" de Tim Lucas. Nous avons donc un gros projet à moyen terme qui concerne Mario Bava. C’est un chantier colossal, dont on ne peut pas s'occuper seuls, nous travaillerons donc avec une boîte américaine. Nous avons posé trois conditions : d'abord la chaîne de droits doit être totalement claire – un bataillon de juristes travaille dessus. Ensuite, nous voulons que Tim Lucas travaille avec nous sur la collection. Enfin, tout doit être remastérisé en haute définition car ce qui existe est catastrophique. C’est un projet que nous prévoyons pour fin 2009 / début 2010.

FS : L'objectif, c'est une intégrale Mario Bava ?

MC : Ce sera difficile ; dans un premier temps, la collection porterait sur 13 titres. A côté des essentiels, il devrait y avoir des raretés comme son western (La Strada per Fort Alamo, NDLR) ou son film de vikings (I Coltelli del vendicator, NDLR). Si on va au bout de ce projet, ce sera une grande satisfaction. Mais c'est comme tout, il y a des projets qui démarrent et qui s'arrêtent en route. Par exemple, pour La Nuit du chasseur, on n'était pas loin, on était même très prêt d'aboutir. Ce n'est pas abandonné, c'est seulement partie remise. On a notre bâton de pèlerin et on essaie d'avancer comme on peut.

RC : Mettrez-vous le cinéma américain en stand-by pour mieux vous concentrer sur le cinéma italien ?

MC : Pas du tout, de nombreux titres sont prévus pour 2008.

RC : Parlons plus précisément de la programmation dans ce cas. Qu'en est-il déjà de Hideo Gosha pour terminer sur le cinéma japonais ?

MC : Pour Gosha, il y a tout le pan qu'on appelle rapidement "Geishas et femmes de yakuzas", qui concerne grosso modo ses derniers films. Ils ont tous été remastérisés et restaurés. Le sixième film est Hitokiri, qui est assez attendu. On pense en avoir une assez belle copie. Et vu les compléments de programme, les gens ne seront pas déçus, ce sera assez complet, Fenêtre sur Prod a fait un travail à la limite de l'exceptionnel là-dessus. J'ai vraiment été surpris, je ne pensais pas qu'on atteindrait un tel niveau. C'est une période de Gosha que, pour l'instant, on ne connaît pas. Mais grâce à HK, on a aujourd'hui un large spectre sur Hideo Gosha. Nous serons le pays au monde qui aura le plus rendu hommage à Gosha, et ça me semble n'être que justice.

Toujours en ce qui concerne le Japon, il y aura également un film de Kinji Fukasaku qu'on a dans nos tiroirs depuis un petit moment, mais les problèmes de copie n’ont été résolus qu’aujourd'hui : il s'agit de Cops Versus Thugs, rebaptisé Police contre Syndicat du crime. C'est un très bon film, il sortira dans une future opération. Et, sans surprise de dernière minute, il en sera fini de notre incursion dans le cinéma japonais, qui était quand même assez large.

RC : Et avant de vous pencher sur les réalisateurs italiens, sur quels autres cinéastes travaillez-vous ?

MC : Pour le film de genre, nous allons enfin éditer La Dernière maison sur la gauche dans une version plus que décente. Ce sera une édition double ou triple DVD, ça reste à déterminer.

RC : C'est une question de versions ?

MC : Il y a en aura deux : la version UK et la version habituelle. Le master est tiré du négatif, mais comme vous le savez, il s’agit d’un négatif 16 mm, ce ne sera donc pas la folie furieuse en terme de qualité d'image.

RC : Ca fait partie du "charme" du film.

MC : Oui, c'est vrai. On a tenu compte de tout ce qu'on lit à longueur de forums, on n'a pas trop lissé (rires). Le résultat n'est pas trop mal, même si on espérait faire un peu mieux sur ce film. Mais je pense que les compléments sont exceptionnels ; sous réserves qu'on aime La Dernière maison sur la gauche, ce sera une édition qui fera date.

RC : Avez-vous rencontré Wes Craven à cette occasion ?

MC : Non, mais tous ces compléments ont été réalisés pour une prochaine sortie du DVD. Nous, on a simplement rajouté quelques bricoles. Toujours dans le film de genre, on sortira Les Révoltés de l'an 2000, qui est un titre assez attendu, dans une copie qui n'est pas parfaite mais qui enterre tout ce qui existe aujourd’hui, dans une édition double DVD. Pour vous donner une idée des compléments, il y aura la participation de Guillermo Del Toro, Jaume Balaguero, Nacho Cerda, etc. Et on n'a pas fini. Je suis très content de sortir ce film-là, ça fait une éternité que je l'ai vu, je suis vraiment ravi.

Ensuite, probablement en juillet, on aura Last Man on Earth remastérisé en HD. Beaucoup de copies existent de ce film, puisqu'il est dans le domaine public. Nous serons les seuls à le proposer en HD dans une édition qui devrait plaire, même si ce n'est pas un film majeur.






RC : Qu'en est-il pour le cinéma de patrimoine américain ?

MC : Pour les Etats-Unis, on se penche sur le cas de Cecil B. DeMille. Plusieurs films sont édités aujourd'hui, mais il y en a deux que j'avais très envie de faire : L'Odyssée du docteur Wassel et Les Tuniques écarlates. Et on complètera avec un film que j'aime moins, Le Signe de la Croix avec Charles Laughton. Autrement, il y aura une très belle édition de Peter Ibbetson de Hathaway. Et on se penchera sur le cas de Curtis Harrington, qui est un réalisateur assez méconnu et qui fait des choses très intéressantes : nous sortirons Games avec James Mason et Simone Signoret, Night Tide avec Dennis Hopper, et peut-être un troisième film.

RC : Sous la forme d'un coffret ?

MC : Peut-être, je ne sais pas encore. Cela dépendra du troisième. S'il n'y a que deux films, ce sera probablement deux éditions simples.

Nous nous attaquerons ensuite au western italien, avec Far West Story, O’ Cangaceiro, Blindman et Navajo Joe, dans des éditions double DVD réalisées avec de nouveaux télécinémas, un peu de compléments, et probablement les musiques des films comme je vous le disais.



Ensuite, on fera un peu plus dans le bizarre, avec le Black Christmas de Bob Clark en édition double DVD et Santa Sangre d'Alejandro Jodorowsky remastérisé en haute définition. Il y aura d’ailleurs un autre Jodorowsky, remastérisé en HD lui aussi, Le Voleur d'arc-en-ciel (The Rainbow and the Thief), qui a été très peu vu. Jodorowsky le déteste a priori, mais je pense qu'il devrait le revoir.

Nous sortirons aussi Wanda's Café d'Alan Rudolph, qui est mon film préféré du réalisateur.

Enfin, un projet qui me tenait énormément à cœur, prévu pour Noël 2008 : une édition ultra collector de Let's Get Lost de Bruce Weber, avec pléthore de compléments sur Chet Baker. Vous aurez une belle surprise. Le film sera présenté je pense à Cannes Classics cette année, il a été totalement remastérisé en haute définition. C'est une pure merveille, je me suis régalé.

Voilà donc pour les grandes lignes de 2008. Il y a des choses qui ne sont pas dans la programmation pour l'instant, puisqu'on attend de voir l'état d'avancement du projet. Nous avons lancé un énorme chantier sur la haute définition : on a un programme de 53 films du domaine public, dont nous avons recherché les éléments photochimiques et que l'on remastérise en HD. Nous avons passé un accord avec un laboratoire new-yorkais et nous avançons doucement. J'espère sortir les trois premiers films à la fin de l'année : Les Chasses du Comte Zaroff, La Rue rouge et Plus fort que le diable. On travaille beaucoup sur les compléments, on a énormément avancé sur La Rue rouge qui sera accompagné d'un livre qui raconte l'histoire du film et qui présentera le scénario de tournage complet et annoté, ainsi qu’une centaine de photos de plateau inédites. On a trouvé du matériel incroyable, on était hystériques ! Si on arrive à trouver les bons éléments, on fera une édition sublime. Il en existe une pas mal chez Kino, on va essayer de faire mieux.

RC : Les éditions existantes des Chasses du Comte Zaroff ne sont pas formidables.

MC : L'édition Criterion n'est pas mal, mais elle est assez ancienne. Il s'avère que c'est l'un de mes films fétiches, donc j'aimerais essayer de faire mieux. Dès qu'on obtiendra des éléments de qualité, on fera un vraiment bon produit. Et je voudrais associer la nouvelle avec le DVD. Même chose pour Plus fort que le diable, on essaie de mettre la main sur le scénario qui était réécrit au jour le jour par Truman Capote. On verra bien.

RC : En terme de prix, cela risque de coûter cher ?

MC : Ces trois titres seront proposés dans des éditions chères parce que celles-ci seront assez exceptionnelles, si on arrive à faire ce que je vous ai dit. Mais pour La Rue rouge, c'est certain vu l'état d'avancement, on a trouvé trop d'éléments et j'ai très envie de les faire partager. J'aimerais voir la tête des gens qui vont découvrir ça. Il y a des photos de scènes coupées, c'est vraiment un truc de malade !

Vous avez pris là connaissance de 80 % de nos chantiers. A cela, il faut ajouter le lancement presque imminent de la plateforme VOD Shaw Brothers sur Canalplay et VirginMega. A la fin du mois, nous aurons 60 titres prêts qui seront mis en ligne sur ces deux plateformes, sur lesquelles on pourra visionner ou télécharger définitivement. Il n'y aura plus de nouveaux Shaw Brothers en DVD. En revanche, tout sera en numérique à des prix très abordables.

FS : Combien coûtera une location ? Et pourra-t-on graver le titre qu'on aura téléchargé ?

MC : Ce sera 3,99 euros pour la location et 7,99 euros pour le téléchargement définitif. Pour la gravure, nous sommes en train d'en discuter. Pour ce qui est du format, Canal a une technique que je dois étudier de plus près pour qu'on puisse graver et ensuite lire sur un lecteur de salon. En tout cas, de notre côté, nous sommes prêts à 80 %. Les films sont sous-titrés, les titres français sont faits, les fiches films sont prêtes.

Dernière chose : à la fin de l'année sortira une nouvelle collection en DVD, même si je ne sais pas encore sous quelle forme elle sera commercialisée : les Introuvables du X américain. Tous ces films seront disponibles dans de nouveaux télécinémas faits à partir des éléments négatifs trouvés en Allemagne, et assortis de compléments. Cette collection couvrira la période 1978-1983. C'est d’ailleurs plus par curiosité que par intérêt personnel : ça me faisait tellement rire de faire ça, je me suis dit qu'il doit y avoir de nombreuses histoires à raconter sur cette époque, et on a rassemblé des documents. Je peux déjà vous donner quelques titres : Debbie Does Dallas, Ecstasy Girls, Nine Lives of a Wet Pussy d'Abel Ferrara (écrit pas Nicholas Saint-John !), ainsi qu’un film avec Vanessa Del Rio. J'en ai visionné quelques uns pour vérifier la restauration, le rendu est très sympathique. Je ne les connaissais pas et c'est vraiment du sexe joyeux. Il n'y a pas le côté mécanique des pornos d'aujourd'hui.

RC : La VOD va devenir un support important pour Wild Side ? Tout votre catalogue sera-t-il disponible ?

MC : C'est très important pour nous. Notre travail, c'est de faire circuler le plus possible les œuvres. Tout notre catalogue ne sera pas disponible parce qu'aujourd'hui nous ne disposons pas des droits Internet sur le patrimoine japonais, c'est encore en discussion. Ils viennent de les céder la semaine dernière sur Baby Cart, qui sera donc prochainement disponible en VOD.

RC : Questions de droits mis à part, est-ce votre souhait de tout transférer en VOD ?

MC : Oui. Depuis l'avènement de la VOD en France, nos titres ont toujours été disponibles. Une petite partie au début, mais nous en proposons de plus en plus. L’unique obstacle, ce sont les questions de droits. Par nature, je suis contre les secrets trop bien gardés. Et je suis pour le partage. C'est un processus démocratique que de mettre tout à portée de tout le monde à ce prix-là. Si les gens aiment, ils iront acheter après avoir loué. C'est une manière totalement transparente de convaincre le consommateur.

RC : En ce moment, il y a un débat qui court sur l'avenir de la HD face à la VOD, sur la dématérialisation du support. Où vous situez-vous dans ce débat ?

MC : C'est plus abordable de mettre les films à disposition en VOD. A condition bien sûr qu'on puisse les accompagner de nos compléments et que la qualité de visionnage soit adéquate. Celle-ci s'améliore d'ailleurs de jour en jour. L'intérêt, c'est de ne pas perdre les bénéfices qu'apporte le support DVD, qui a deux intérêts principaux : le saut qualitatif de l'image et du son, et les compléments de programme qui multiplient les pistes d'entrée vers une œuvre. Avec ou sans support, il faut pouvoir continuer en préservant ces atouts. Personnellement, je ne consomme pas trop de VOD, voire pas du tout. J'achète des DVD. (Rires).

RC : Venons-en logiquement à la haute définition. Maintenant que le Blu-ray l'a emporté, comptez-vous pleinement vous lancer dans le DVD HD ? Quelle sera votre politique de réédition ?

MC : On va en faire quelques uns, mais je ne sais pas encore lesquels. Je le sais en revanche pour les nouveaux titres. Aujourd'hui, j'hésite. Je lis un peu les forums, j'observe qu'il y a de la demande pour Suspiria en HD. C'est à voir.



FS : Vu la qualité du DVD de Suspiria, le Blu-ray est très attendu.

MC : Entre le moment où l'on travaillait sur Suspiria et l'évolution des formats HD, il s'est passé beaucoup de temps. On n'a jamais eu vocation à essuyer les plâtres.

RC : Vous avez pourtant édité le HD-DVD du Labyrinthe de Pan.

MC : On s'était dit que si on en faisait un, autant le faire le plus beau possible. Et il se trouve que c'est la meilleure vente en France en HD-DVD… et il le restera si j'ai bien compris. On s'est voulu extrêmement prudents, car par expérience, on savait qu'il ne resterait qu’un seul format. C'est allé un peu vite, mais au moins maintenant les choses sont claires. De toute façon, on avait déjà fait des plans et décidé d’éditer un certain nombre de titres en Blu-ray. Début février, nous avons rencontré des gens de la Blu-ray Association. On leur a dit qu'on voudrait bien faire Suspiria, mais qu'il faudrait qu'ils nous aident un peu. Nous verrons si, économiquement parlant, ils sont prêts à faire un effort. De la même manière, nous aurons besoin des pouvoirs publics qui doivent se pencher sur ce problème. Parce que sur un plan économique, Suspiria, ce n'est pas gagné. Je ne dis pas qu'à chaque fois qu'on sort un produit, on ne veut pas perdre des sous ; mais pour une œuvre majeure, on se dit qu'ils peuvent faire un effort et que cela pourra servir de test pour d'autres Blu-ray.

RC : Aujourd'hui, en ce qui concerne la HD, préférez-vous vous consacrer aux nouveautés plutôt qu’aux rééditions ?

MC : Oui. C'est compliqué de revenir sur le consommateur. Vu la taille de notre structure, on pourra faire ça quand le marché sera mature. Là, il va se relancer. Les consommateurs équipés en HD-DVD vont se sentir floués et dégoûtés. Il va falloir attendre que ça se calme un peu. Et on s'est toujours dit, depuis le début de l'année dernière, qu'il fallait qu'on passe systématiquement aux masters HD pour la plupart des films. C'est ce qu'on essaie de faire quand c'est économiquement viable. On prend un peu plus de risques en ce moment, en se disant qu'on a raison de remastériser les titres en HD même si on ne les édite pas aujourd'hui.

FS : Une question plus spécifique à ce propos : avez-vous des masters HD pour Macbeth et Le Secret Derrière La Porte ?

MC : Oui, de même que celui de Lettre d'une inconnue.

FS : Y a-t-il beaucoup de titres pour lesquels vous avez les droits uniquement pour le marché européen ou français ?

MC : Le marché francophone. C'est toujours un peu compliqué de faire les choix, vu la taille du circuit d'exploitation. Mais il s'avère qu'on est en train de travailler sur d'autres schémas. Les films qu'on aime reviennent cher à restaurer. Si on veut les amortir, il faut envisager plus de territoires et faire une édition pour plusieurs pays. Et cela sans s'associer avec des éditeurs étrangers, car les associations coûtent cher, et il est difficile de mettre tout le monde d'accord. C'est pourquoi on refait souvent nos propres masters, nous sommes chez nous et nous agissons comme bon nous semble.

FS : Est-il vraiment plus cher de faire un Blu-ray qu'un HD-DVD ?

MC : Oui, c'est vraiment très cher. Par rapport à un DVD, c'est 5 à 6 fois plus cher. Et c'est 35 % plus cher qu'un HD-DVD. Cela change fondamentalement le métier. J'ai dit aux représentants de la Blu-ray Association qu'ils ne feront pas décoller le marché avec des Blu-ray vendus à 30 euros. Vu les coûts de départ, de toute façon, on ne peut pas les vendre moins cher si on veut les amortir. Mais c'est le serpent qui se mord la queue. Aujourd'hui, le consommateur est très sensible au prix. Ils nous ont répondu qu'ils étaient conscients du problème et qu'ils allaient s'y atteler vite. Je leur ai aussi rappelé deux ou trois choses. On a vécu le format Sony UMD avec trois titres et on s'est senti rackettés. Ils se sont vraiment plantés, il ne faut donc pas qu'ils fassent la même chose avec le Blu-ray. Ils doivent être plus ouverts, s'adresser à plusieurs labos. Ils m'ont dit que c'est prévu. Je leur ai rappelé également que j'ai lu plusieurs critiques de Blu-ray qui étaient catastrophiques sur le plan technique par rapport à ce qu'on est en droit d'attendre.

Ils doivent se montrer très exigeants sur la qualité du master de départ, car ils sont en train de nuire au support avec toutes ces éditions ratées. Ils ont créé une nouvelle habitude chez le consommateur qui est d'attendre, de lire les critiques scrupuleusement pour éviter les déconvenues. Ce n'est donc pas comme ça qu'on crée un marché dynamique. On crée un marché dynamique sans tricher, en montrant que la HD est vraiment de la HD : un produit très beau, lumineux, précis, propre. Pour vous expliquer comment ça marche : vous devez présenter votre master à une sorte de testeur chez Blu-ray. On vous dit alors si le master est bon ou pas pour le support. Or il se trouve qu'ils ont accepté des masters catastrophiques. Alors que chez THX, c'est rare qu'ils acceptent nos masters du premier coup. Ils nous les rendent avec un rapport, on fait les travaux demandés puis on les renvoie. THX nous les valide ou bien nous renvoie un rapport complémentaire. Chez Blu-ray, ils valident des trucs inacceptables ! On risque de perdre la légitimité qu'un logo THX a toujours possédée ; on est rarement déçu d'un film qui sort de chez eux. En fait, chez Blu-ray, ils ont été partagés entre deux impératifs : avoir un maximum de titres en vente et imposer un label de qualité.

Et il y a aussi d'une part la problématique de la norme technique qui n'est toujours pas figée, et d'autre part deux modes d'encodages qui continuent à coexister : le VC-1 et le Mpeg. Sans oublier qu'avec des éditions bâclées, le consommateur ne voit pas la différence entre SD et HD. Alors que lors du lancement du DVD, il pouvait faire la différence avec une VHS, même sur un téléviseur mal réglé dans les magasins. De toute manière, j'ai toujours dit que Wild Side et les autres éditeurs qui nous ressemblent ne peuvent pas être moteurs sur ce marché. On ne peut être que suiveurs.

FS : Pour finir, une question technique : comptez-vous mettre des sous-titres paramétrables sur vos disques HD ?

MC : C'est une chose que nous avons évoquée. On peut en effet modifier le placement et la grosseur des sous-titres. On ne l'a pas fait sur le HD-DVD du Labyrinthe de Pan parce qu’on découvrait le support et qu’on s’est surtout concentrés sur l’essentiel. Mais on y réfléchit. Pas pour le HD-DVD évidemment, puisque ce format est appelé à disparaître. A suivre donc.

Propos recueillis et retranscrits par Ronny Chester et Franck Suzanne le 18 février 2008
Remerciements à Manuel Chiche et Benjamin Gaessler de Wild Side Video pour leur disponibilité.

Par Franck Suzanne et Ronny Chester - le 18 février 2008