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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Vampires

(I vampiri)

L'histoire

Paris en 1957. Un mystérieux tueur en série s’en prend à des jeunes femmes. Une étudiante est retrouvée noyée dans la Seine, une comédienne est enlevée dans sa loge... Toutes les victimes semblent présenter le même groupe sanguin. Parallèlement à l’enquête de la police, menée par l’inspecteur Santel, le jeune journaliste Pierre Valentin couvre l’affaire pour son journal. Valentin rencontre Laurette, une amie de la première victime, qui lui apprend qu’elles avaient toutes deux été suivies par un homme mystérieux. Il s’agit d’un drogué, Joseph Segnoret. Segnoret n’est que le bras armé du célèbre Professeur Du Grand, cousin de la Duchesse Marguerite, qui poursuivit de ses assiduités le père de Valentin et causa le malheur de sa mère. Aujourd’hui la vieille duchesse vit recluse, afin de préserver le souvenir de sa beauté auprès du monde. Beauté dont a hérité sa nièce Gisèle, elle-même amoureuse de Valentin...

Analyse et critique

Plus de dix ans après avoir célébré le retour de la grande aventure en terre européenne, grâce au succès d’estime du picaresque Don César de Bazan, et porté le genre au pinacle avec les triomphes de L’Aigle Noir et de son admirable adaptation des aventures de Giacomo Casanova (Le Chevalier Mystérieux), Freda se montre une nouvelle fois précurseur en activant la résurgence de la veine fantastique au sein de la production cinématographique transalpine et, au-delà, européenne.


A y regarder de plus près, tout prédestinait Freda à s’acoquiner au genre. Figure de proue de la défense d’un grand cinéma populaire italien face à la vague néo-réaliste, il eut les moyens de ses ambitions à la toute puissante Lux Film de Riccardo Gualino. Mais au début des années 50, la Lux décline et le boulimique Freda doit petit à petit diversifier ses talents. Il s’oriente alors volontiers vers le mélodrame historique, dont il se plaît à souligner la noirceur plutôt que la sensiblerie. Sommet de ce courant, et sans doute de l’œuvre de Freda toute entière, Le Château des Amants Maudits, par son intensité paroxystique, sa perversité latente et son atmosphère trouble et étouffante constituait un film littéralement hanté, aux confins du fantastique (à quand une édition DVD de ce joyau noir ?).
I Vampiri, qui est entrepris juste après ce Beatrice Cenci, procède donc d’un cheminement sinon logique, en tout cas cohérent.

Freda n’obtient de ses producteurs, Luigi Carpentieri et Ermanno Domati, très circonspects quant au potentiel commercial du film en ces temps de superproduction bibliques triomphantes, qu’un budget maigrelet, à hauteur de douze jours de tournages. Qu’à cela ne tienne, Freda opte néanmoins pour le format Cinémascope et fait appel aux services de son ami Mario Bava, tout juste sorti des prodigieuses expérimentations Technicolor du par ailleurs assez vain La Donna Piu Bella Del Mondo. Le grand architecte et décorateur Beni Montresor recrée aux studios Titanus, à Cineccita, quelques ruelles de Montmartre et conçoit le vertigineux décor du Château de la Duchesse Du Grand, étrangement sis à Paris.
Privés de figuration ou presque, Freda et son chef opérateur légendaire ont une idée de génie, écraser d’une lumière blanche et surexposée les plans diurnes de leur Paris improvisé, ce qui en accentue le caractère fantomatique. Saisie dans ce hiératisme extrême, la capitale semble s’être arrêtée de vivre, comme tétanisée sous la menace du vampire. A contrario, dès que la nuit déploie son manteau de ténèbres, l’écran large se meuble d’une profusion de lumières éparses et frémissantes, comme des flammèches de vie dans un environnement organique en décomposition.


Rarement décor d’un film contemporain sera allé aussi loin dans la description d’une horreur aussi graphique : de la pièce où est retenue captive la pauvre Laurette, digne d’une véritable chambre des tortures, à la crypte ornée de têtes de squelettes blafards, chaque pierre semble imprégnée de la personnalité morbide de la Duchesse.
Pour sa douzième collaboration avec Freda, Gianna Maria Canale, qui fut sa compagne, livre une superbe composition, et domine sans peine le reste de la distribution -comme souvent assez inégale dans ce genre de production. Belle et hautaine, elle exhale un charme inquiétant et presque malsain , et confère au récit toute sa fascination. On n’oublie pas, par exemple, la scène de la réception donnée au château, qui voit la jeune et belle Irène se mouvoir, comme détachée du temps, au milieu de courtisans d’un autre âge.

Beaucoup ont cru déceler dans ce I Vampiri la paternité prédominante de Bava sur Freda (ce DVD est d’ailleurs édité dans la collection Mario Bava). C’est assurément injustifié, tant le film appartient en propre aux codes narratifs de Freda : rythme syncopé, hypertrophie gothique dans la composition des plans. Si l’on en croit Jacques Lourcelles, proche de Freda, Bava aurait en fait tourné quelques scènes, qu’il juge parmi les plus ternes du film, après que Freda a quitté le tournage au bout de 10 jours, faute d’obtenir une rallonge budgétaire de ses producteurs (plans dictés par lesdits producteurs) : les séquences finales (Valentin au chevet de Laurette ; les pesants éclaircissements apportés par l’inspecteur Santel), ainsi que la première rencontre entre Valentin et Laurette (une excellente scène au demeurant). Néanmoins, les trucages photographiques du vieillissement de la Duchesse sont à porter au crédit de Bava : ils représentent un tour de force inégalé, Bava ayant procédé de la manière la plus simple qui soit : par apposition, en temps réel, de filtres devant l’objectif.

De par ses vicissitudes de tournage, I Vampiri ne peut sans doute prétendre au statut de pur chef d’œuvre. Le dénouement, quelque peu bâclé, atteste du fait que Freda n’a pu garder le contrôle de son projet. De même, l’interprétation du falot Dario Michaelis (Pierre Valentin) embourbe par moment le récit : difficile de croire que ce bellâtre puisse susciter une passion d’entre les âges... N’en reste pas moins une œuvre fascinante, fusionnant avec bonheur le feuilleton début de siècle, le mélodrame et le film d’horreur, et plastiquement envoûtante, une œuvre en tout cas très supérieure aux lugubres Yeux sans Visage de Georges Franju, réalisé sur un thème très voisin.
En l’état, c’est à ma connaissance avec l’excellent péplum mythologique Le Géant de Thessalie, le seul film de Freda disponible sur le support qui nous occupe. Il s’agit donc d’un DVD indispensable, faute d’éditions des grands chefs-d’œuvre comme L’évadé du Bagne, Le Chevalier Mystérieux, Theodora Impératrice de Byzance, Le Château des Amants Maudits ou Sept Epées pour le Roi.

Pour en savoir plus sur Riccardo Freda en général, je ne saurais trop vous conseiller la lecture d’une petite monographie très documentée de Stefano Della Casa, traduite aux éditions Yellow Now : Riccardo Freda Un homme seul.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Otis B. Driftwood - le 17 décembre 2002