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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Faucon maltais

(The Maltese Falcon)

L'histoire

San Francisco. Une femme arrive dans le bureau des détectives Samuel Spade et Miles Archer. Elle souhaite qu'on retrouve sa sœur qui, soi-disant, aurait fugué avec un certain Floyd Thursby. Archer est assassiné dès le début de son enquête ainsi que Thursby. Les soupçons se portent dans un premier temps sur Sam Spade qui a une liaison avec la femme de son collègue défunt. En fait, tous ces meurtres tournent autour d'une mystérieuse statuette d'un faucon qu'une bande d'aventuriers sans scrupules cherche à s'approprier par tous les moyens...

Analyse et critique

"Pour un premier film, ce n'est vraiment pas mal" : cette sentence un peu condescendante, répétée un peu trop facilement lorsqu'il s'agit d'une première oeuvre, ne devrait plus avoir lieu d'être après la vision de ce coup d'essai de John Huston : un coup d'essai transformé en coup de maître comme tant d'autres exemples et parmi les plus récents Little Odessa de James Gray ou Un faux mouvement de Carl Franklin pour en rester dans le domaine du film noir. D'emblée, le réalisateur signe un chef d’œuvre et le prototype du film noir des années 40 : peu d'autres oeuvres du genre arriveront à se hisser à ce niveau, y compris à mon avis dans le sous-genre qu'on pourrait nommer 'films de privé', ceux de Howard Hawks d'après Raymond Chandler (Le grand sommeil) et de Robert Aldrich d'après Mickey Spillane (En quatrième vitesse). Mais les trois romanciers possèdent au départ des styles tellement différent les uns des autres que la préférence pour l'une de ces trois adaptations demeurera toujours très subjective. Pendant 50 ans Le faucon maltais reste pourtant la plus parfaite adaptation du grand écrivain Dashiel Hammett avant qu'un certain duo de frères iconoclastes vienne nous donner la leur, fabuleuse et très personnelle, du roman le plus réussi de l'auteur américain : La moisson rouge. Les frères sont Joel et Ethan Coen et le film est évidemment le somptueux Miller's crossing. Aujourd'hui pourtant, un grand nombre de cinéphiles ne comprennent pas pourquoi Le faucon maltais est placé sur un tel piédestal : nous allons tenter de les convaincre mais si effectivement au départ, on n'est pas sensible à la littérature de Hammett, il y a peu de chance qu'on le soit à cette transposition cinématographique d'une fidélité absolue au roman. Pour les fans, cependant encore nombreux, sachez que cette pépite noire est telle que nous la voyons aujourd'hui grâce à de nombreux coups de pouce du destin.

"Dans The maltese falcon, j'ai essayé d'être le plus fidèle possible aux dialogues que Dashiel Hammett avait écrit. C'était un romancier extraordinaire, j'ai simplement mis le livre en images" dira souvent John Huston. En effet la plupart des dialogues du roman ont été conservés hormis la célèbre réplique finale tirée de Shakespeare et qui a fait beaucoup pour la réputation de Huston, cinéaste de l'échec : alors qu'un policier demande à Sam Spade de quoi est faite la statuette, Sam Spade réplique "De l'étoffe dont les rêves sont faits". John Huston s'attaque ici pour la première fois à la réalisation après avoir été un excellent scénariste à la Warner, ayant collaboré à des films aussi prestigieux que L'insoumise de William Wyler, High sierra de Raoul Walsh ou Sergent York de Howard Hawks. Le roman d'Hammett avait déjà donné lieu à deux adaptations signées Roy Del Ruth en 1931 et William Dieterle en 1936. En 1941, Huston se sent prêt à passer derrière la caméra. Jack Warner lui lance un défi : "Si tu es capable de tirer un bon scénario du roman Le faucon de Malte de Hammett, la réalisation du film t'en sera confiée". Huston racontera plus tard qu'avec le scénariste Allen Rivkin, ils décomposèrent simplement le roman en scènes et parties dialoguées sans rien y toucher et que ce travail totalement mécanique arriva entre les mains du producteur qui n'y vit que du feu, félicitant au contraire Huston d'avoir retrouvé toutes les qualités du livre et l'encourageant à se jeter à l'eau. John Huston s'y lance alors à corps perdu. Il choisit de tourner dans la continuité de son scénario afin que les acteurs arrivent à suivre l'intrigue très obscure et confuse. Le film est mis en boîte plus tôt que prévu, en seulement 6 semaines pour à peine 300 000 dollars. Il est nommé pour l'oscar mais se le verra soufflé par Qu'elle était verte ma vallée de John Ford. Nous rêverions aujourd'hui d'avoir deux tels chefs d’œuvre en lice dans la compétition aux oscars! Devant le succès considérable de son film, la Warner envisagera d'en tourner une suite avec la même équipe mais qui n'aboutira pas. La suite d'un film aussi réussi aurait vraisemblablement été superflue.

Le faucon maltais atteint cette sorte de perfection parce que Huston suit à la lettre les conseils que lui a prodigués le producteur Henry Blanke : "Réalisez chaque scène comme si elle était la plus importante du film et faites que chaque plan compte." Le résultat est une sorte 'd'épure rigoureuse 0% matière grasse' : pas un plan de trop, une préparation millimétrée qui ne laisse pas de place à l'improvisation ; le script était parfait sur le papier, Huston le tourne tel quel sans y ajouter ni y retirer quoique ce soit : la justesse et l'intelligence de sa méthode sont flagrantes. Le scénario est brillantissime ; les dialogues pleins d'humour sont parsemés de répliques qui font mouche ; la photographie de Arthur Edeson, à la limite de l'expressionisme, est magnifiquement contrastée et donne au film cette atmosphère typique qui sera maintes fois copiée par la suite durant l'âge d'or hollywoodien ; enfin, Adolph Deutsch nous gratifie d'un score particulièrement réussi. Le roman offre aussi à John Huston une situation dramatique souvent reprise tout au long de sa carrière : un groupe disparate constitué de personnages tous plus ou moins ambigus qui cherchent un trésor se révélant en fin de compte inexistant, disparu ou introuvable ; Huston s'en régale et le plaisir qu'il a de filmer cette abracadabrante chasse au trésor en quasi huis-clos rejaillit sur le spectateur.

Mais si l'on se rappelle surtout de ce classique de nos jours c'est pour son casting imparable dont les participants, grâce à ce film, connurent une popularité accrue. Et encore, Bogart a failli ne pas être de la partie et rester toujours englué dans ses rôles de 'bad guy'. Au départ, le rôle de Sam Spade est offert à George Raft qui le refuse, ne voulant pas risquer sa réputation et gâcher son plan de carrière avec un cinéaste débutant: "Je pense fermement que Le faucon maltais que vous voulez me faire tourner n'est pas un film important et je vous rappelle qu'avant de signer mon nouveau contrat, vous m'aviez promis de ne m'en proposer que d'importants". Encore un coup de chance et c'est Bogart qui hérite du rôle qui permettra à sa carrière de s'envoler. Personne n'a jamais su aussi bien que lui se mettre dans la peau du personnage du 'privé' et nous en serons éternellement reconnaissant à Huston et à... George Raft. Impossible de lire aujourd'hui un roman noir de l'époque sans imaginer l'acteur dans le rôle du privé. Bogart trouve dans le héros - ou antihéros - de Hammett, un personnage à la fois cynique et romantique, las et désabusé, obstiné et machiavélique, côtoyant la pègre mais conservant son intégrité morale en suivant un code de conduite dont il ne dévie jamais ; il est finalement moins corrompu et pourri qu'il semblait l'être au départ. "Voici Sam Spade. Voici le rude, l'âpre détective du faucon maltais... L'homme qui méprise son client mais découvre le coupable ; l'homme qui pense que c'est du mauvais travail de laisser l'assassin l'emporter, tant pis pour qui en souffre, même si c'est la femme qu'il aime... voici l'homme sauvage de San Francisco qui appelle un chat un chat ; voici Sam" écrira Ellery Queen pour la préface du livre 'Sam Spade'. Sa manière d'allumer ses cigarettes, son ironie permanente, sa façon de sourire après avoir joué un mauvais tour à ses poursuivants, la moindre de ses séquences est inoubliable ; et sachant que le film est vu par son regard et qu'il est donc de toutes les scènes (excepté celle du meurtre de son collègue), on comprend quel régal ce film procure aux admirateurs de Boggy.

Mais il ne se trouve pas seul ; au contraire, Sam Spade est magnifiquement entouré par une série de personnages pleins de verve et de saveur tous interprétés à la perfection. Brigid, la menteuse congénitale est jouée à merveille par Mary Astor dont le physique n'est pourtant pas celui de la vamp cher à tout amateur du genre. Le réalisateur l'a fait courir autour du plateau avant les prises afin qu'elle paraisse toujours un peu nerveuse par un débit de parole à la fois rapide et essoufflé : Nous sommes attristés pour Sam Spade quand il doit la sacrifier dans la scène finale assez dure mais émouvante. Kasper Gutman, le gros homme, est confié à Sidney Greenstreet qui, après avoir longuement arpenté les planches, trouve ici son premier rôle au cinéma à 62 ans : Huston s'amuse à le filmer en contre-plongée pour accentuer son embonpoint afin de le rendre encore plus imposant. Joel Cairo, aventurier efféminé au regard trouble et à la diction si étrange est tout aussi génialement interprété par Peter Lorre et le duo qu'il forme avec Greenstreet sera réutilisé à de nombreuses autres reprises par la Warner. Enfin Elisha Cook Jr, l'acteur le plus malchanceux du studio, celui qui interprétera le plus de personnages trouvant la mort avant la fin du film : son physique frêle et son regard apeuré et inquiet en font l'une des autres silhouettes inoubliables de cette perle noire. La façon qu'il a de réagir face aux multiples vexations du détective est absolument jouissive. Walter Huston (le père de John) fait une brève apparition dans le rôle du capitaine Jacobi qui arrive chez Spade avec le faucon et une balle dans le ventre : il se plaindra par la suite des mauvais traitements qu'eu a lui faire subir son fils pour cette séquence dans laquelle il du répéter la scène de sa chute à d'innombrables reprises et qui lui a laissé des bleus sur tout le corps !

Ce chef d’œuvre a souvent été taxé de bavard. Alors bien évidemment, ce premier essai de Huston abonde en dialogues mais rien ici de lourd ou d'ennuyeux. Au contraire, le tempo est rapide et haletant, le réalisateur allant toujours à l'essentiel et cela donne des échanges de ce type : "C'est la seconde fois que vous me cognez" dit Elisha Cook à Bogart qui lui réplique alors "Vous vous y ferez" : Concis, serré, sec, percutant, sans un poil de graisse, tel est le film du début à la fin. Dans un article lui étant consacré dans l'encyclopédie Atlas on peut lire ceci qui résume assez bien pourquoi ce premier film et bien d'autres du réalisateur ne subissent pas de coup de vieux : "C'est peut-être cette capacité qu'à Huston d'utiliser les techniques de tournage les mieux adaptées aux buts qu'il se fixe, sans tenir compte des modes, qui permet à ses meilleurs films de supporter l'épreuve du temps".

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 7 février 2003