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Critique de film
Le film

Trois sublimes canailles

(Three Bad Men)

L'histoire

Située au Dakota en 1877 alors que le gouvernement après avoir confisqué leurs terres aux tribus Sioux - sur lesquelles de l’or vient d’être découvert - les distribuent aux pionniers en organisant des courses épiques, l'action mêle des évènements réels avec une histoire centrée sur trois hors-la-loi prenant sous leur coupe une jeune femme déterminée. Le père de cette dernière a été tué alors qu’on cherchait à leur voler leurs chevaux de course destinés justement à cette ruée sur les nouvelles terres promises. S’étant institués ses chevaliers servants, les trois fripouilles au grand cœur aideront l’orpheline à trouver un compagnon (George O’Brien, plus à l’aise que dans The Iron Horse et prêt à trouver l’année suivante le rôle de sa vie dans le sublime L'Aurore de Murnau) et se sacrifieront afin que les deux amoureux puissent convoler en justes noces et s’installer tranquillement sur leurs nouvelles terres. Le souvenir des trois "parrains" sera néanmoins immortalisé par le nom que les parents donneront à ce nouvel enfant de l’Ouest et du progrès...

Analyse et critique

Après Le Cheval de fer et son tournage homérique, John Ford se tourna quelques temps vers des films à petits budgets. Quand il se sentit d’attaque pour réaliser une œuvre de plus grande envergure, il se dirigea naturellement de nouveau vers le western ; ce fut avec ce Three Bad Men qui subit néanmoins un cuisant échec public et critique à tel point que, dépité, le cinéaste abandonna le genre pendant treize ans. Trois sublimes canailles est donc son ultime western muet.

« Ils avaient l’habitude de trouver des chevaux qui n’avaient jamais été perdus », telle est la description que nous fait John Ford de ces trois sublimes canailles lors de leur première apparition. On devine dès lors l’aspect humoristique du film. Et en effet, contrairement au Cheval de fer, la partie historique se révèle être dans Trois sublimes canailles la portion congrue, plutôt un élément d’arrière-plan malgré la séquence mouvementée et virtuose de la course à la parcelle de terrain. Et, alors que Ford nous faisait au départ miroiter un nouveau western ample et spectaculaire, nos attentes sont déjouées par un film qui bifurque une bonne partie durant vers la comédie picaresque.

Après cinq premières minutes qui nous dévoilent des plans majestueux sur les montagnes et les gigantesques plaines de l’Ouest, une figuration imposante, de splendides images de la lente progression des caravanes vers le point de départ de la course, puis qui nous décrivent la rencontre des deux tourtereaux de l’histoire, filmée façon comédie américaine légère et subtile, John Ford nous fait atterrir dans la ville de Custer. Il y piétine un peu trop longuement, y stagnant quasiment une heure. Le manque de rigueur du scénario vient nous lasser un moment malgré le fait que l'ensemble soit rempli d’humour et de tendresse, de compassion et d’humanité, Ford prenant encore fait et cause pour les petites gens et les parias divers (hors-la-loi, prostituées) contre les hommes de loi se révélant la plupart du temps pourris jusqu’à la moelle. D’ailleurs, le bad guy de l’histoire, inspiré d’une authentique figure de l’Ouest, n’est autre qu’un homme s’étant déclaré shérif, un personnage inquiétant vêtu façon dandy et grimé tel un vampire. D’après le biographe de Ford, Joseph McBride, le film aurait été pas mal mutilé, certains personnages très intéressants comme celui de Millie se trouvant réduits à presque rien ; cela expliquerait peut-être ce manque d’harmonie et d’efficacité dans l’écriture. Mais cette longue partie donne néanmoins à John Ford l’occasion de faire une description passionnante d’une ville grouillante dans laquelle règnent le vice et la corruption.

Et une fois de plus, son savoir-faire emporte le morceau. Malgré les efforts parfois répétitifs de nos trois pittoresques et attendrissantes fripouilles pour s’occuper de leur jolie protégée (à signaler dans ce western que, contrairement aux hommes qui se trouvent tous affublés de trognes pas croyables, les femmes, qu’elles soient prostituées ou mères de famille, sont toutes charmantes, Ford se faisant dès lors le chantre westernien de la gent féminine), on ne s’ennuie guère et le fameux clou du spectacle tant espéré vaut son pesant d’or. Celui-ci nous récompense en nous en mettant plein la vue. Il débute par un fabuleux travelling latéral sur le rassemblement en ligne des chariots qui semble ne pas devoir en finir ; puis l’armée donne le signal de départ duquel s’ensuit une débandade impressionnante, laissant gravées sur nos rétines - grâce aussi à une parfaite science du montage - des images surréalistes comme cet homme sur un vélo à grande roue, ce bébé abandonné au milieu de la piste, des chevaux arrivant au grand galop sur celui-ci, avec le journaliste écrivant cette page d’histoire sur son chariot caracolant à vive allure... Qu'il s'agisse de Wesley Ruggles ou d'Anthony Mann, qui auront dans leur carrière à mettre en scène une séquence similaire avec un budget au moins aussi correct, ceux-ci n’arriveront jamais à retranscrire une telle puissance et une telle vigueur !

   

Le reste du film est consacré à la course poursuite entre nos héros et les hommes de loi dépravés qui visent à les éliminer, pensant que la jeune femme cherche à s’installer sur un terrain contenant de l’or en son sol. Plus conventionnelle, mais bien agencée et apportant son comptant d’émotions, cette dernière partie voit les trois bandits donner leur vie pour sauver le couple de jeunes pionniers amoureux, ce dernier représentant bien évidemment pour Ford l’avenir de cet Ouest qu’il aimera toujours à glorifier tout en ne restant pas dupe. Très belle et poétique image finale que celle du couple et leur bébé voyant passer au loin les trois fantômes en contre-jour sur l’horizon crépusculaire. Très agréable, assez efficace et témoignant d’un solide sens plastique (on y trouve déjà ce plan récurrent chez Ford d’un paysage vu à partir d’un intérieur, ici un chariot bâché) pour une belle histoire d’amour et d’amitié. Mais un John Ford encore mineur.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 28 avril 2010