Love
1920, dans une petite ville minière britannique. Très amis, un bohème et un chef d’industrie s’éprennent de deux sœurs fort différentes. Itinéraires parallèles, brouilles et réconciliations, passions contrariées et sentiments exacerbés, surgissement final de la tragédie. Reproduisant la clarté de l’univers de D.H. Lawrence, le cinéaste donne à suivre une étrange prosopopée où s’éprouvent, sans aucun faux-semblant, les grandes batailles intérieures des êtres confrontées aux conflits sans fin de la sexualité, de l’affectivité et de la morale. Il privilégie une sérénité formelle dont il ne cessera ensuite de s’éloigner, évoque avec sensibilité les rapports ambigus d’un quatuor incapable de s’ajuster à une société qui, réprimant les instincts de l’homme, sanctifie une notion du couple pour l’écrivain entièrement mythique. 4/6
Les diables
En évoquant l’affaire des possédées de Loudun, Russell s’évade du champ clos de l’histoire pour donner libre cours aux flamboyants accents de sa démonologie personnelle. Dévotions, macérations, obsessions, sabbat des ursulines aux crânes nus, chattes sous un toit brûlant qui se flagellent, se griffent, se tortillent, carnaval de luxure, cérémonials d’exorcisme, séances de tortures atroces, visage noirci par les flammes... Cette frénésie baroque, cet expressionnisme cauchemardesque, ces outrances hallucinatoires se justifient par le sujet même, la crise loudinoise ayant cristallisé les passions refoulées d’un monde peu enclin à passer de la certitude dogmatique au doute cartésien. L’hystérie n’est pas une maladie de la langueur, le fanatisme ne massacre pas l’esprit de la liberté et de la tolérance avec délicatesse. 5/6
Tommy
On pourrait dire qu’il y a dans cette foire popisante et boursouflée, ce tonitruant opéra-rock, des choses justes qui ne sont hélas pas nouvelles et des choses nouvelles qui ne sont hélas pas justes. Certes Russell essaie de prendre ses distances, de critiquer la machine décervelante du show-business. Se dénonçant par le tapage d’un Moi survitaminé, il ingère, phagocyte, régurgite sans digérer tout ce qui passe à sa portée, de Zardoz à La Montagne Sacrée, sans parvenir à rythmer son récit (matraqué par un montage cut), à organiser ses décors (l’abus de courtes focales ne suffit pas à personnaliser un espace), à diriger des comédiens (post-synchronisés sur une gestuelle tétanisée). Et le spectateur de parcourir ahuri l’itinéraire inverse du héros pour se retrouver finalement sourd, muet, aveugle et fort peu rédimé. 3/6
Au-delà du réel
En abordant le fantastique, Russell affirme des intentions pour le moins ambitieuses et questionne à travers le genre une poignée de sujets costauds (le mémoire génétique, l’origine de la vie). L’odyssée de l’espèce à laquelle est soumis le protagoniste provoque chez lui une altération physique et mentale irréversible, l’enferme dans un univers parallèle, lui fait remonter les stades de l’évolution humaine, jusqu’à l’ultime mutation cellulaire. Si sa personnalité appelait un déluge d’horreur, le cinéaste s’oriente pourtant vers la chronique d’un couple en crise : au-delà des scènes psychédéliques, des exubérances colorées, surimprimées, accélérées, macroscopées, de tout un amalgame esthétique digéré avec une certaine réussite, c’est à cette dimension intime que le film doit en premier lieu l’adhésion qu’il suscite. 4/6
Mon top :
1. Les diables (1971)
2. Love (1969)
3. Au-delà du réel (1980)
4. Tommy (1975)
À contre-courant du Free Cinema britannique, qui le précède d’une petite décennie, et à la notable exception de Love qui le fit connaître, Ken Russell pratique un cinéma résolument excentrique, carnavalesque, débridé, volontiers grotesque et hystérique, porté sur la prédominance d’un style visuel tonitruant qui annonce autant le formalisme d’un Alan Parker que le règne de l’esprit MTV. À ce titre, et en attendant la découverte plus approfondie de cette filmographie qui me reste pour l’instant largement méconnue, son influence n’est pas à mésestimer.