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Critique de film
Le film
Affiche du film

Valentino

L'histoire

Biographie de Rudolph Valentino. Le film commence par une séquence d'actualités montrant l'événement suscité par la mort à 31 ans de la star de cinéma Rudolph Valentino (Rudolph Noureev). Des milliers de fans se précipitent dans la maison du défunt. Plusieurs femmes clament l'importance de Valentino dans leur vie et viennent lui rendre un dernier hommage. Chacune se souvient de lui par l'intermédiaire de flash-back.

Analyse et critique


Valentino est une œuvre assez mal aimée dans la période dorée que constituent les années 70 dans la filmographie de Ken Russell. Suite à l’échec commercial et critique du film, Russell considérera d’ailleurs sa décision de le réaliser comme la plus grande erreur de sa carrière. Librement adapté de du livre Valentino, an Intimate Exposé of the Sheik de Chaw Mank et Brad Steiger, Valentino est le biopic de Rudolph Valentino, star hollywoodienne du cinéma muet et disparue en pleine gloire. Sur le papier, cela semble le projet idéal pour le cinéaste qui avait déjà donné dans le biopic controversé autour d’une icône, que ce soit avec la vision nazie de Richard Strauss dans Dance of the Seventh Veils (1970), l’homosexualité coupable de Tchaïkovski dans The Music Lovers (1970) ou Mahler (1974). Russell avait également déjà rendu hommage à une période de l’âge d’or hollywoodien avec sa flamboyante comédie musicale The Boy Friend (1971). On pouvait donc s’attendre à une nouvelle approche anticonformiste et provocatrice mais, s’il n’est pas dénué de quelques excès typiques du réalisateur, Valentino reste un biopic plutôt respectueux et linéaire dans son développement.

La grande surprise est de voir la star du ballet Rudolf Noureev dans le rôle-titre. Ken Russell l'avait initialement sollicité pour jouer le danseur Vaslav Nijinsky dans une scène reprenant la légende selon laquelle Valentino lui aurait appris le tango à l’époque où il était danseur de salon. Russell se ravise finalement pour en faire son héros et Noureev, cinéphile émérite et fasciné par ce milieu, accepte contre toute attente, y voyant des « vacances » au milieu de son agenda effréné (il donne alors jusqu’à 250 représentations par an). Perfectionniste et ombrageux dans le cadre de ses spectacles, Noureev se montrera docile et avide d’apprendre durant le tournage. Ayant lui-même tâté une fois de la réalisation pour la retranscription de son Don Quichotte avec l’Australian Ballet (1973), Noureev saisit immédiatement le sens du mouvement et de la chorégraphie filmée dans la mise en scène de Russell et est séduit par sa personnalité excentrique. Si la ressemblance physique avec Rudolph Valentino restera discutable (tout comme un accent italien qui dérive fort vers le russe), Russell trouve néanmoins l’interprète idéal avec un Noureev qui fonde sa prestation sur l’expressivité corporelle et faciale héritée de son expérience scénique, alliée à une beauté physique parfaitement évocatrice de la star de cinéma. Ken Russell joue tout au long du film sur les différentes formes de perception que son entourage, son public et ses ennemis peuvent avoir de Valentino. La structure en flash-back, qui voit lors de ses funérailles les amis de Valentino se souvenir de leur vécu avec lui, va dans ce sens et reste assez classique. C’est dans l’outrance de cet adieu que Russell sort des clous, mais finalement en s’en tenant au mythe qui entoure Valentino : fans endeuillées et hystériques s’introduisant de force dans la pièce où trône la sépulture de la star, « amis » glamour à la peine fort théâtrale, troupes de Mussolini envoyées pour un hommage au ressortissant italien... Russell passe constamment du visage paisible et sobre du défunt au véritable cirque grandiloquent qui l’entoure durant la cérémonie, comme pour annoncer le décalage entre la simplicité de Valentino et la folie qu’il a générée malgré lui. Déjà au bas de l’échelle, il était un objet de convoitise sollicité par des femmes d’âge mûr en tant que danseur de salon, mais aussi un objet de scandale lorsqu'il fut la cause d’un fait divers conjugal. Les circonstances l’amènent donc vers son destin hollywoodien du fait de son pouvoir d'attraction alors que lui n’aspire qu’à cultiver des oranges en Californie grâce à son diplôme d’agriculture. Le décalage entre ce discours modeste et l’aura que dégage Valentino façonne ainsi une proximité, un capital sympathie, tout en définissant cette inaptitude à la normalité dans le Hollywood des Années Folles.

Ce panache ressort dans la fange (excellente scène où dans un numéro de danse il ridiculise un Fatty Arbuckle moqueur) tandis que la simplicité se dégagera quand il sera au sommet. Ce sont toujours les regards et les attentes qu’il suscite chez les autres qui l’éloignent du commun des mortels. On pense ainsi à la scène qui nous plonge dans le tournage du Cheikh (1921), où le faste du décor et des costumes exotiques détonne avec son attitude humble. L’excès arrive dans la scène d’amour avec Natacha Rambova (Michelle Philips) dont on retient plus la flamboyance - Natacha qui attire Valentino en s’effeuillant en un clin d’œil de la danse des sept voiles - et un cadrage référencé qui rend hommage à une fameuse image d’Alla Nazimova. Le désir sincère de l’homme Valentino s’oppose à l’usage que Natacha veut faire de « l’icône » Valentino, elle se refuse d’ailleurs à lui dans l’attente du lien plus officiel du mariage. La suite des évènements, durant lesquels elle vampirisera la carrière de Valentino par sa mainmise sur ses choix et son jeu, confirmera d’ailleurs cela. Russell offre une réminiscence de cette étreinte avortée plus tard dans le film. Désormais installé dans une luxueuse villa hollywoodienne, Valentino est harcelé par des fans qui hurlent des psalmodies fiévreuses et incantatoires sous sa fenêtre. Russell alterne par un montage agressif et des plans d’ensemble grandiloquents la furie des fans à l’extérieur et celle de Natacha tout de rouge vêtue, jalouse non pas en tant que femme mais plutôt comme figure également en quête de lumière. Valentino ne peut être aimé que pour ce qu’il représente, jalousement et par ambition pour Natacha, dans l’idolâtrie la plus démesurée par les fans, ou tendrement mais toujours à distance pour la scénariste June Mathis (belle interprétation de Felicity Kendal).

La détestation opère selon une même démesure. Rudolph Valentino apporta avec lui l’imagerie du latin lover qui détonnait avec le modèle wasp de rigueur, tout en dégageant une forme de vulnérabilité et de féminité loin des canons machistes. Là aussi dès ses premiers pas, cette facette est synonyme de calomnies, suspicion et racisme (la fameuse scène de danse avec Nijinsky lancera le fiel homophobe) qui iront en grandissant avec la notoriété. La seule scène vraiment bouffonne et grotesque à la Ken Russell intervient lors d’un court séjour en prison de Valentino, où ce dernier est victime des invectives et des maltraitances de ses codétenus quant à sa sexualité. Alors qu’il ne s’était pas gêné pour livrer sa vision gay de Tchaïkovski dans The Music Lovers, Russell reste plus mesuré ici. Les allusions reposent plus sur les dialogues de personnages extérieurs plutôt que sur l’ambiguïté des situations. Valentino semble plus torturé par le regard biaisé sur lui que par sa propre orientation sexuelle, ce qui donnera lieu à un final mémorable. Dans la réalité, Valentino défia d’un combat de boxe un journaliste du Chicago Tribune, auteur d’un éditorial l’accusant de féminiser l’image du mâle américain. L’appel resta sans réponse mais Russell en fait une autre interprétation avec un duel qui aura bel et bien lieu, prétexte à une scène où le réalisateur excelle à jouer du grotesque et du grandiloquent. L’objectif est de confondre enfin l’homme et l’icône Valentino aux yeux du public : vulnérable et fier, teigneux et frêle.

Ce Russell relativement plus « sage » se met finalement au service de son prestigieux interprète ; le récit, certaines situations et images multiplient les effets miroirs entre Rudolph Valentino et la vraie vie/carrière de Rudolf Noureev - tous deux des exilés ayant quitté leur pays pour mener une carrière. Une séance photo coquine de Rudolph Valentino sur fond d’Après-midi d’un faune de Debussy trouve ainsi son écho chez Noureev qui a dansé dessus sur scène. De manière plus large, Noureev, plus grand danseur de son temps, était sans doute le plus à même de comprendre la vénération folle qui entoura la star déchue. Valentino  est une oeuvre de Ken Russell un peu plus classique donc (tout est relatif), qui décevra peut-être les amateurs des grands écarts du cinéaste, mais demeure un bien beau film qui ne mérite pas l’oubli dont il est victime quand on évoque les réussites de sa carrière.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 20 mai 2020