Judge Priest (1934)
Si
Le soleil brille pour tout le monde m'avait grandement déçu, cette "première" version m'a autrement plus ravi même si c'est peut-être le moins réussi du trio Ford/Rogers, la faute à des problèmes de rythme et des ficelles narratives grossières.
Celà dit, c'est clairement un film très personnel et on peut se dire que ce Juge possède beaucoup de points communs avec son réalisateur. J'irais même jusqu'à dire que le film est presque auto-biographique puisque les méthodes de ce Juge nonchalant et malicieux ne sont pas sans évoquer certains procédés du style Ford (celles qui me plaisent le moins).
Dans le documentaire "Le loup et l'agneau", quand un journaliste demande au fameux borgne pourquoi l'humour de
l'homme tranquille reposait autant sur des gags misogynes, le cinéaste répondait simplement que c'est ce qui plait au spectateur. Rien de foncièrement cynique dans cette réponse (d'autant qu'il affectionnait bien ce genre de réparties cinglantes qu'il ne fallait pas prendre pour argent comptant) mais ça correspond bien à son style et cette façon de jouer sur plusieurs éléments fédérateurs pour mieux instaurer une connivence avec son public : un sentimentalisme (plus ou moins discret), une vision idéalisée de la famille, un peu de patriotisme... Bref quelques tours de passe-passes que ne manque pas de pratiquer le Juge Priest. Ainsi lors du procès final, il n'hésite à évoquer sur un long passé assez hors-sujet de l'accusé pour le montrer sous un bon jour et attirer la sympathie du jury (alors que ces faits n'ont rien à voir avec le procès en question) tout en se débrouillant pour faire jouer des thèmes traditionnels sous la fenêtre du tribunal ("dixie" en l’occurrence) pour mieux manipuler l'émotion de la foule.
En y repensant, l'utilisation de la musique joue pour beaucoup dans le "rejet" que j'ai de plusieurs John Ford. Des thèmes tirés du répertoire folkloriques traditionnels et des thèmes militaires que le cinéaste a décliné/ré-utilisé jusqu'à plus soif dans nombre de films, illustrant au pied de la lettre le contenu des séquences sans grande imagination et pas toujours avec subtilité. Dans le pourtant excellent
Tobacco road (j'ai malheureusement pas pris le temps d'en parler), il y a plusieurs moments qui m'ont agacé avec ce recourt systématique aux morceaux emblématiques du Sud. Ca a devient même contradictoire avec le propos du film puisque le père de famille se moque justement des chanteurs de cantiques... dont les titres illustreront quelques séquences plus tardives en jouant la carte du pathos (alors que la grande qualité du film est justement son approche cru, blasphématoire et caustique qui se porte en contre-point parfait et génial aux
Raisins de la colère).
Mais bon, je digresse, je digresse... Donc fi de détails oiseux et retour à ce
Judge Priest
Ca reste une comédie sudiste débordant d'une chaleur débonnaire avec un Will Rogers toujours aussi impérial. Le début est impayable d'ailleurs : les lumières se sont à peine éteintes qu'il apparaît en gros plan derrière derrière son journal, lève la tête et demande l'ordre et le calme dans la salle. L'effet est radical sur le public qui remuait sur son siège et chuchotait encore à son voisin.
On a rarement fait mieux en introduction.
Le film alterne ainsi pur moment de comédie (le premier procès, le "dialogue" pour faire peur à des prétendants de sa voisine), de jolis élans de tendresse nostalgique et pudique (si vous cherchiez le premier film de Ford où le héros s'adresse à sa femme décédée, c'est ici) et quelques touches progressistes, glissées l'air de rien mais bel et bien présentes notamment dans l’amitié sincère et complice qui lie le Juge et la communauté noire : il défend un hypothétique voleur de poulets avant d'aller pêcher avec lui, rejoint des femmes entamant un air traditionnel et forme un irrésistible duo de chant avec sa femme de ménage. Des scènes courtes mais qui possèdent une simplicité directe, naturelle sans artifice pour un sentiment d'harmonie et d'évidence.
Comme souvent avec ce genre de film, la première moitié est excellente avec sa description du microcosme du Juge, dévoilant son comportement et ses valeurs humanistes... Mais
Judge Priest est moins réussi dans la seconde moitié où Ford est "obligé" de raconter une histoire qui ne vaut pas grand chose et ne fait pas illusion longtemps (le père biologique de la voisine). Les artifices du scénarios sont grossiers comme j'évoquais au début mais l'abattage du duo Ford/Rogers, qui ne ménagent pas leur peine, finit pas emporter l'admiration.
Imparfait, bancal, maladroit, boiteux, mise en scène de manières très relâchée mais les figures humaines qui nous touchent le plus ne sont-elles pas justement celles qui possèdent quelques menus défauts ?