
Allez je me dévoue, car il y a quelque chose d'attristant à voir tout se diluer dans des topics inadéquats.
En quelques mots : Cruise exploite à fond la signature élégante mais impersonnelle de son pantin McQuarrie, lequel aura donc bientôt signé la moitié de la saga à lui tout seul alors qu'elle se voulait originellement versatile, en renouvellement permanent. Prenons juste un moment pour songer qu'en plus de ceux qui ont effectivement réalisé un épisode, furent dans le passé attachés en phase de pré-production des cinéastes comme Sydney Pollack, Oliver Stone, David Fincher ou encore Joe Carnahan... et je ne parle même pas de fantasmes persos de voir un Mission: impossible de McTiernan, Michael Mann (il l'aura fait, quelque part, avec Blackhat) ou Johnnie To. Franchement, il y avait tellement mieux à faire que de cadenasser ainsi cette franchise, le basculement à partir de Rogue Nation est un renoncement dont j'aimerais bien connaître un jour tous les dessous de table (Cruise a des dossiers sur McQuarrie pour l'inféoder à ce point ? Le mec est Scientologue lui aussi ?). Enfin bref, fin de la parenthèse.
Grâce à son boy, l'acteur a donc les coudées larges pour continuer d'écrire sa légende au travers d'épisodes chaque fois un peu plus fonctionnels que ceux qui les précèdent, et qui paraissent écrits à la va-vite sur un coin de table pour combler les interstices des cascades high-concept de la star, autour desquelles tout le marketing va broder. Difficile de ne pas trouver, sur ce Dead Reckoning plus que jamais, un goût d'usine à ce qu'est devenue la franchise Mission: impossible : la sérialisation des épisodes de McQuarrie, façon Bond de Craig, empèsent en effet le processus créatif en cherchant à développer une espèce de mythologie et de solennité dont l'intérêt n'aura pas toujours été démontré après trois films (je peine à être convaincu par les rouages de la relation Hunt/Faust pour humaniser ce premier, et ce n'est pas avec ce nouvel épisode et le sort réservé à certains personnages que le constat sera invalidé). Ceux que la mythologie à la Dan Brown de Fallout avaient laissé perplexes seront vraisemblablement aux anges face à cette ambiance millénariste où le MacGuffin est littéralement une croix chrétienne que seul l’Élu pourra assembler et utiliser pour vaincre le Mal, une IA abstraite en forme de trou noir (et qui fait chaque fois le même petit grésillement sonore se voulant inquiétant). De quoi donner du biscuit aux tenants de la lecture scientologue des Mission: impossible...
Si les enjeux du film peinent à convaincre, Cruise n'a en revanche pas son pareil pour se démener et s'imposer consciemment ou inconsciemment comme l'ultime rempart contre la déréalisation numérique du cinéma hollywoodien. Et de ce point de vue, force est de constater qu'il reste le meilleur, malgré quelques inserts en CGI encore une fois superflus (la leçon du saut en parachute au-dessus de Paris dans Fallout, prouesse gâchée par des incrustations de nuages qui font douter de la concrétude de la cascade, n'aura donc pas été retenue). On sent que le mec est littéralement porté et nourri par une conception du cinéma d'antan (le film évoquant ça et là des films comme L'or se barre ou Bons baisers de Russie, mais chaque fois avec de réjouissantes trouvailles à l'intérieur des séquences d'action qui permettent de se détacher des modèles), et que derrière son obsession égotique et parasite de faire de Hunt un personnage omniscient et invulnérable, se noue aussi un rapport profondément nostalgique et schizophrène à une certaine manière cinématographique, où le public en avait pour son argent avec des set-pieces mémorables où tout était filmé en dur, où l'on tremblait pour les personnages pris dans ces séquences. Et c'est schizophrène parce que Cruise semble constamment rechercher cet héritage tout en éliminant dans le même temps toutes les possibilités d'implication du spectateur pour le personnage qu'il joue, présenté comme infatigable, presque robotique. Heureusement, face à un Cruise plus empêtré que jamais dans son dilemme, Dead Reckoning trouve en la petite nouvelle Hayley Atwell (<3) un vent de fraîcheur qui apporte beaucoup de piquant. Sans elle c'est simple, la mécanique, qui menace déjà de tourner à vide, apparaîtrait rabâchée. Mais son duo avec Cruise fonctionne, grâce à leur alchimie on vibre dans l'enceinte d'un aéroport, dans l'habitacle d'une Coccinelle ou dans les compartiments de l'Orient-Express. Et l'on en vient à espérer une nouvelle dynamique pérenne pour la saga. A suivre.