David Lynch (1946-2025)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
shubby
Régisseur
Messages : 3087
Inscription : 27 avr. 08, 20:55

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par shubby »

Colqhoun a écrit : 20 janv. 25, 10:36
tchi-tcha a écrit : 20 janv. 25, 00:00- Twin Peaks : Fire walk with me : On ne pourra pas accuser Lynch de surfer avec opportunisme sur le succès de sa série. Mais était-ce bien la peine de pondre un truc aussi radical, aussi jusqu'au-boutiste et aussi peu aimable ?
Oui.
+1
tchi-tcha a écrit : 20 janv. 25, 00:00
- Mulholland Drive : J'ai déjà trollé le topic dédié, pas besoin de repasser une couche sur cet épisode pilote de série transformé en film (ce qui se voit).
- Oui, et c'est génial parce qu'on a parfois une patine Hollywood Night d'antan qui serait comme corrompu par Lynch, le ressenti est assez fou.
- Non parce que la colorimétrie, pilote TV ou non, est formidable. Parvenu à ce niveau de strate, cette frontière ne veut plus rien dire.
Avatar de l’utilisateur
Dunn
Mogul
Messages : 11762
Inscription : 20 août 09, 12:10
Localisation : Au pays des merveilles

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par Dunn »

J'ai regardé hier soir le doc sur arte et je vous le conseille. Incroyable cet artiste! Un génie!
Elever des enfants c'est comme ranger sa collection de films : c'est pas comme on voudrait mais c'est bien quand même.
Avatar de l’utilisateur
tenia
Le Choix de Sophisme
Messages : 33061
Inscription : 1 juin 08, 14:29
Contact :

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par tenia »

Je trouve curieux de reprocher à Blue Velvet d'être trop rock n' roll et d'adorer Lost Highway.
Avatar de l’utilisateur
Coxwell
Le Révolté de l'An 2000
Messages : 4428
Inscription : 24 févr. 05, 10:58

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par Coxwell »

Il doit sans doute faire référence à Sailor et Lula davantage qu'à Blue Velvet.
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6456
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par Thaddeus »

Goret a écrit : 19 janv. 25, 19:10Pour ma part, qu'un avis soit largement majoritaire n'en fait pas pour autant une vérité.
Certes. Je constate simplement que l'évolution de mon ressenti est en quelque sorte "validée" par la manière dont le cinéma de Lynch est, très majoritairement, défendu. Exemple caractéristique : l'approche d'un Pacôme Thiellement, qui semble être devenu depuis quelque temps une sorte de référence lorsqu'il s'agit d'analyser le cinéaste, d'en éclairer la nature. Ses quelques interventions dans le reportage posté plus haut sont éclairantes. Voilà quelqu'un dont je me demande s'il est vraiment ému par les films de Lynch - en tout cas, rien dans ses propos ne le laissent transparaître. Il ne parle que d'indices, de signes, d'énigmes ; il ne semble appréhender ce cinéma que comme un champ d'investigation herméneutique. Il revendique lui-même être avant tout un "exégète". Et lorsqu'il cherche à définir la place du spectateur, il emploie le mot de "détective". Mais où est l'investissement émotionnel là-dedans ? D'ailleurs, que pense-t-il d'Une Histoire Vraie ? Je serais curieux de l'entendre sur ce film, pour voir s'il est aussi enthousiaste. Cette manière d'envisager l'oeuvre lynchienne ne me parle pas du tout ; elle est même totalement opposée à la mienne. Or c'est bien elle qui est défendue par les plus illustres défenseurs de Lynch. Et c'est là où, parce qu'Inland Empire a complètement reconfiguré mon rapport à ce cinéma, j'en viens à me dire que c'est moi qui, pendant très longtemps, me suis d'une certaine manière fourvoyé. Le Lynch que j'aimais, ce n'était pas le "vrai" Lynch, c'était un Lynch que je m'étais inventé. Plus de détails dans ma réponse à Truffaut Chocolat.

Truffaut Chocolat a écrit : 20 janv. 25, 09:00C'est comme si son cinema t'avait plaqué avec Inland Empire, que ça déchirait la belle histoire d'amour d'avant et que tout ce qui suivait était mauvais. C'est dommage mais je respecte ton avis. :)

On peut parler de point de rupture mais perso, j'y vois surtout de la continuité et j'aime à penser que ce n'est pas un hasard si son dernier film a finalement de grandes choses en commun avec son tout premier. C'est aussi celui qui a le plus de choses en commun avec sa personnalité au sens large.
Mais je suis totalement d'accord avec cela. Inland Empire, c'est le Lynch le plus pur, le plus absolu, le plus libre. Du Lynch sans filtre, qui opère sans contrainte de production à tous les niveaux de conception. Or c'est un film que je déteste. Conclusion ? Elle est évidente : au fond, je n'aime pas vraiment Lynch. Et il m'a fallu ce film pour me dessiller les yeux. Michel Chion, qui n’est pas n’importe qui puisqu’il est un des grands spécialistes français du réalisateur, n’est pas par hasard un énorme fan d’Inland Empire, qu’il considère comme son chef-d’œuvre. Je me permets d’ailleurs de le citer à ce sujet, parce que je pense que toute la clé est là : "Le film non-glamour de Lynch, après le malentendu du succès de Mullholland Drive lié à l'image "glamour" de cette oeuvre, est un magnifique rétablissement de sa vérité d'artiste." Tout est dit : le rétablissement de sa vérité d’artiste. Il explique ici que Mulholland Drive était un malentendu, et que le vrai Lynch figure dans Inland Empire. C’est exactement ce que je pense aussi, et c’est pourquoi j'ai suivi un tel parcours. C'est aussi pourquoi aussi j'ai eu l'impression d'avoir été "trahi", après l'avoir défendu pendant si longtemps. Comme si ce dernier long-métrage me disait : tout ce que j'ai fait avant, c'était du toc, du faux, de l'attrape-nigaud. L'émotion ? L'humanité ? Le romantisme ? C'était du maquillage pour appâter le gogo. La vraie personnalité de Lynch, elle s'exprime ici, dans Inland Empire.

Je regrette également ton rejet sur The Return est c'est dommage encore une fois.
Attention, je ne parle que des deux premiers épisodes - comme je l'ai précisé, je n'ai pas eu la motivation d'aller plus loin. Peut-être que ce qui suis change totalement de direction. Mais de ce que j'ai vu, c'est affreusement gris, sinistre, mortifère, glauque (d'ailleurs, Thierry Jousse dans le reportage utilise le terme "funèbre" - ce qui aurait tendance à confirmer mon impression). Des intérieurs sombres, des mines renfrognées, aucune lumière, aucune humanité, aucune sensibilité (du moins, celle que j'aimais chez le cinéaste) et tous les poncifs lynchiens qui s'enchaînent comme dans une case de bingo. Bref, Inland Empire bis.
Avatar de l’utilisateur
Coxwell
Le Révolté de l'An 2000
Messages : 4428
Inscription : 24 févr. 05, 10:58

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par Coxwell »

Thaddeus a écrit : 20 janv. 25, 17:58
Goret a écrit : 19 janv. 25, 19:10Pour ma part, qu'un avis soit largement majoritaire n'en fait pas pour autant une vérité.
Certes. Je constate simplement que l'évolution de mon ressenti est en quelque sorte "validée" par la manière dont le cinéma de Lynch est, très majoritairement, défendu. Exemple caractéristique : l'approche d'un Pacôme Thiellement, qui semble être devenu depuis quelque temps une sorte de référence lorsqu'il s'agit d'analyser le cinéaste, d'en éclairer la nature. Ses quelques interventions dans le reportage posté plus haut sont éclairantes. Voilà quelqu'un dont je me demande s'il est vraiment ému par les films de Lynch - en tout cas, rien dans ses propos ne le laissent transparaître. Il ne parle que d'indices, de signes, d'énigmes ; il ne semble appréhender ce cinéma que comme un champ d'investigation herméneutique. Il revendique lui-même être avant tout un "exégète". Et lorsqu'il cherche à définir la place du spectateur, il emploie le mot de "détective". Mais où est l'investissement émotionnel là-dedans ? D'ailleurs, que pense-t-il d'Une Histoire Vraie ? Je serais curieux de l'entendre sur ce film, pour voir s'il est aussi enthousiaste. Cette manière d'envisager l'oeuvre lynchienne ne me parle pas du tout ; elle est même totalement opposée à la mienne. Or c'est bien elle qui est défendue par les plus illustres défenseurs de Lynch. Et c'est là où, parce qu'Inland Empire a complètement reconfiguré mon rapport à ce cinéma, j'en viens à me dire que c'est moi qui, pendant très longtemps, me suis d'une certaine manière fourvoyé. Le Lynch que j'aimais, ce n'était pas le "vrai" Lynch, c'était un Lynch que je m'étais inventé. Plus de détails dans ma réponse à Truffaut Chocolat.

Truffaut Chocolat a écrit : 20 janv. 25, 09:00C'est comme si son cinema t'avait plaqué avec Inland Empire, que ça déchirait la belle histoire d'amour d'avant et que tout ce qui suivait était mauvais. C'est dommage mais je respecte ton avis. :)

On peut parler de point de rupture mais perso, j'y vois surtout de la continuité et j'aime à penser que ce n'est pas un hasard si son dernier film a finalement de grandes choses en commun avec son tout premier. C'est aussi celui qui a le plus de choses en commun avec sa personnalité au sens large.
Mais je suis totalement d'accord avec cela. Inland Empire, c'est le Lynch le plus pur, le plus absolu, le plus libre. Du Lynch sans filtre, qui opère sans contrainte de production à tous les niveaux de conception. Or c'est un film que je déteste. Conclusion ? Elle est évidente : au fond, je n'aime pas vraiment Lynch. Et il m'a fallu ce film pour me dessiller les yeux. Michel Chion, qui n’est pas n’importe qui puisqu’il est un des grands spécialistes français du réalisateur, n’est pas par hasard un énorme fan d’Inland Empire, qu’il considère comme son chef-d’œuvre. Je me permets d’ailleurs de le citer à ce sujet, parce que je pense que toute la clé est là : "Le film non-glamour de Lynch, après le malentendu du succès de Mullholland Drive lié à l'image "glamour" de cette oeuvre, est un magnifique rétablissement de sa vérité d'artiste." Tout est dit : le rétablissement de sa vérité d’artiste. Il explique ici que Mulholland Drive était un malentendu, et que le vrai Lynch figure dans Inland Empire. C’est exactement ce que je pense aussi, et c’est pourquoi j'ai suivi un tel parcours. C'est aussi pourquoi aussi j'ai eu l'impression d'avoir été "trahi", après l'avoir défendu pendant si longtemps. Comme si ce dernier long-métrage me disait : tout ce que j'ai fait avant, c'était du toc, du faux, de l'attrape-nigaud. L'émotion ? L'humanité ? Le romantisme ? C'était du maquillage pour appâter le gogo. La vraie personnalité de Lynch, elle s'exprime ici, dans Inland Empire.

Je regrette également ton rejet sur The Return est c'est dommage encore une fois.
Attention, je ne parle que des deux premiers épisodes - comme je l'ai précisé, je n'ai pas eu la motivation d'aller plus loin. Peut-être que ce qui suis change totalement de direction. Mais de ce que j'ai vu, c'est affreusement gris, sinistre, mortifère, glauque (d'ailleurs, Thierry Jousse dans le reportage utilise le terme "funèbre" - ce qui aurait tendance à confirmer mon impression). Des intérieurs sombres, des mines renfrognées, aucune lumière, aucune humanité, aucune sensibilité (du moins, celle que j'aimais chez le cinéaste) et tous les poncifs lynchiens qui s'enchaînent comme dans une case de bingo. Bref, Inland Empire bis.
Pacôme Thiellement ? Il y a vraiment quelqu'un ici ou ailleurs qui prend ce personnage pour un mandarin des études lynchiennes ? Son approche comme son texte sont affligeants pour l'essentiel. Par ailleurs, tout son body language dégage au contraire la sensiblerie maladive, l'affect mal géré, et son approche lynchienne est au contraire ultra connectée à ses "traumas" montés en épingle par un pseudo autiste devenu gourou chez Blast.

Pour le reste, je ne vois pas en quoi il y a contradiction ou trahison entre ce que Lynch a fait "avant" ou "après". Les émotions, l'amour, la sensibilité, le traumatisme, l'horreur, la vision désabusée et le cynisme font tous partie intégrante de sa représentation du monde. Eraserhead n'est pas une contradiction antithétique que ce soit dans son écriture ou approche esthétique du monde avec Inland Empire ou même Lost Highway voire Mulholland Drive. Il n'y a pas "d'attrape-nigaud" de "maquillage" (c'est une assertion simpliste ou grotesque à mes yeux), simplement de l'articulation, de l'alternative dans les éléments moteurs par ici ou par là de sa pensée et de son expérience en fonction du temps, de son temps, de sa vie. La complexité du monde et de ses affres, le chavirement d'un artiste, des personnages en fonction d'un empirisme qui est le moteur de son art et rapport au Temps.
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 15544
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par Alexandre Angel »

Thaddeus a écrit : 20 janv. 25, 17:58 Des intérieurs sombres, des mines renfrognées, aucune lumière, aucune humanité, aucune sensibilité (du moins, celle que j'aimais chez le cinéaste) et tous les poncifs lynchiens qui s'enchaînent comme dans une case de bingo. Bref, Inland Empire bis.
Là, alors que je ne voulais pas insister, je suis obligé d'intervenir.
Sur ce diagnostic préventif (une fois passé le second épisode), j'ai le sentiment te concernant d'un énorme malentendu voire fourvoiement. Il n'est pas possible que tu tires cette conclusion sans être allé plus loin parce je peux te jurer que si ça avait été ce que tu projettes, j'aurais aussi lâché l'affaire très vite et je n'aime pas du tout INLAND EMPIRE.
Twin Peaks The Return est hugolien (j'utilise, tu l'auras compris, le qualificatif à dessein), épique, poilant , tragique, dur, ludique, ésotérique, expérimental et dingue, par moments. Bref tout est là qui ne correspond pas à ce que tu imagines.
Je vais m'y remettre incessamment (ces discussions vont accélérer le processus) avec une petite appréhension toutefois : celle que ça me plaise moins comme si je m'étais monté la tête il y a 6 ans. C'est toujours possible.

Mais c'est réellement vibrant et étonnant de chaleur humaine, lumineux et surtout, étonnamment non redondant par rapport à ce qu'on connaissait de l'artiste.

EDIT je t'ai mieux relu et il est vrai que tu ne parles que des deux premiers épisodes (j'avais l'impression que tu "projetais").
Alors froideur oui (pour ces deux premiers épisodes, de ce que je m'en souviens) mais outre le fait qu'il ne m'ont pas semblé du tout reproduire l'esthétique d'INLAND, c'est par la suite que tout prend d'incroyables directions, proposant de tout dans une coulée où l'on se sent transbahuté de surprises en surprises, de la sidération à l'agacement (ces installations arty à l'esthétique discutable -sans rapport aucun avec INLAND) puis à la stupéfaction et par instants qui te tombent dessus sans crier gare, à l'exaltation. Et cette conclusion, si elle ne fait pas se dresser les poils, c'est bien le Diable.
Dernière modification par Alexandre Angel le 20 janv. 25, 19:25, modifié 3 fois.
Image
sebamas
Doublure lumière
Messages : 349
Inscription : 14 févr. 04, 12:58

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par sebamas »

Coxwell a écrit : 20 janv. 25, 18:18 Pacôme Thiellement ? Il y a vraiment quelqu'un ici ou ailleurs qui prend ce personnage pour un mandarin des études lynchiennes ? Son approche comme son texte sont affligeants pour l'essentiel. Par ailleurs, tout son body language dégage au contraire la sensiblerie maladive, l'affect mal géré, et son approche lynchienne est au contraire ultra connectée à ses "traumas" montés en épingle par un pseudo autiste devenu gourou chez Blast.

Moi qui me pensais être seul à ne pas comprendre sa "hype" et donc sa présence systématique dans tout ce qui est relatif à David Lynch en France.
Image
Avatar de l’utilisateur
Kiké
Electro
Messages : 927
Inscription : 11 juin 15, 10:12

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par Kiké »

Pour ce qui est de Pâcome Thiellement, je suis d'accord pour dire qu'il semble être devenu la référence critique francophone sur Lynch (bien avant son arrivée sur Blast), et comme toujours dans ces cas-là il est bon de remettre en question un point de vue qui peut paraitre surplombant. Personnellement, j'ai lu Pop Yoga ainsi que son essai sur Twin Peaks (première édition, avant la saison trois) et, sans forcément adhérer à tout (ni même sans être sûr d'avoir tout compris lorsque ça part en analyse gnostique), je trouve qu'il a souvent des mots justes et certaines de ses intuitions sont passionnantes.

Sinon, pour remettre une pièce dans la machine : et si les cinéastes appartenaient à tout le monde? Chaque spectateur pourrait se les réapproprier, et ce n'est pas parce qu'on ressent X d'une manière bien différente des critiques institutionnalisés que l'on est pas sincèrement Xien.
You said it, man. Nobody fucks with the Jesus.
https://www.rayonvertcinema.org/
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 57425
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par Flol »

El Dadal a écrit : 18 janv. 25, 13:10
Thaddeus a écrit : 17 janv. 25, 21:22
Spoiler (cliquez pour afficher)
Quel étrange état que celui dans lequel je me trouve depuis hier soir. Car David Lynch a longtemps été pour moi un cinéaste-totem absolu, de ceux qui se comptaient sur les doigts d’une main lorsqu’il s’agissait de définir quels étaient les artistes les plus importants à mon cœur. Parce que je me suis longtemps senti en communion ultime avec sa sensibilité, son expression, son univers, sa poésie, son romantisme. Cette adoration se doublait la plupart du temps d’une perplexité radicale lorsque je me confrontais au ressenti des autres, y compris de ceux qui l’adulaient. On parlait alors "d’inquiétante étrangeté", de "films-puzzle", de "sensorialité", de "maître du bizarre et du déconcertant", voire – pire – de "cinéma du malaise, de la morbidité, du glauque". Certains défenseurs acharnés affirmaient qu’il n’y avait rien à y comprendre, et que c’est en cela que cet art était si grand. Ah bon ? Si ces films me touchaient, c’est précisément parce que je les comprenais : je comprenais très intimement ce qui les articulait, les enjeux qui les animaient, les états par lesquels passaient les protagonistes, la situation dans laquelle ils se trouvaient et pourquoi ils réagissaient ainsi. Ne s’abandonner qu’à la surface des sensations (si riches et intenses soient-elles) en se défaisant des profondeurs qui les motivent, c’est se trouver bien pauvre. À l’autre extrémité du spectre, d’autres admirateurs étudiaient ces œuvres comme de nouveaux petits Champollion, seulement guidés par leur goût du déchiffrement, des indices, des énigmes à résoudre. Les films de Lynch sont des puzzles, affirment ceux-là, et c’est bien cela qu’ils sont géniaux. Amusante mais bien maigre satisfaction que voilà. Autant de notions que je percevais mais qui me semblaient incroyablement réductrices, pour ne pas dire marginales. Le Lynch que j’aimais tant, ce n’était pas ce Lynch-là. C’était d’abord et avant tout le Lynch de l’humain, le grand plasmateur du sentiment. Sentiment au sens de sentimentalité (et non de sentimentalisme). Elephant Man, c’était cela puissance 1000. Victor Hugo au cinéma : la beauté de l’âme et la laideur physique, le peuple et la foule, la sensibilité et la virginité. Et l’éternité, les étoiles, la mémoire qui s’écoule dans l’infini du temps et de l’espace. John Merrick était le Gwynplaine de Lynch, s’échappant sur l’Adagio de Samuel Barber. Dès son second long-métrage, Lynch définissait ce qui rendait pour moi son art si précieux : une empathie à déplacer les montagnes, une compassion coulant en torrents, un amour inextinguible pour ses fabuleux personnages. Un grand cinéaste classique, au sens où il mobilisait tous les ressorts du pathos, de la catharsis, de l’identification. Devant ses films, je suis John, je suis Laura, je suis Alvin, je suis Betty-Diane. Fut une époque où j’écrivais des pages et des pages pour tenter de restituer ne serait-ce qu’une infime partie de ce que généraient en moi le romantisme de l’auteur, la splendeur esthétique de ses images, la puissance incantatoire de ses visions, le glamour et la séduction qui en émanaient. Et la pictorialité organique des plans (les jaunes, carmins et bleus profonds de Blue Velvet), l’abîme qui gisait au travers des sons (fermez les yeux, écoutez), les mélodies éthérées ou la gravité élégiaque que dispensait la musique (c’est un Ange qui la composait). J’étais ensorcelé, émerveillé, hypnotisé, émoustillé comme jamais (commentaire lu aujourd’hui : "devant Naomi Watts et Laura Harrring, je suis passé de petit garçon à homme" – on se comprend, mec). Et surtout, j’étais extraordinairement ému. Par ces histoires de détresse, de solitude, de désarroi, de hantises, de désillusions, par lesquelles transitaient toute la vulnérabilité de l’expérience humaine. L’Émotion, avec un grand E. J’ai énormément pleuré à la souffrance de l’homme-éléphant, figure ultime de la condition humaine ; à l’affliction de Laura, victime expiatoire du monde ; au chagrin de Diane, broyée par Hollywood et anéantie par la passion. Ce cinéma était pourtant aux antipodes du misérabilisme, de la sinistre macération ou des complaisances dont se nourrissent les tourmentés professionnels. Si certains de ces films étaient de bouleversants lamentos, l’humour, la chaleur, la légèreté nourrissaient l’inspiration lynchienne d’une inaltérable lumière. Ce sont des visions de paradis qui clôturent Fire walk with me et Mulholland Drive. Et c’est une ode merveilleuse à l’existence et à notre passage sur terre que Lynch a composé avec son film le plus incompris, le plus sous-estimé, le plus vaguement snobé (à commencé par les thuriféraires proclamés du cinéaste), j’oserais presque dire le plus beau : Une Histoire Vraie. À travers le voyage d’Alvin, lumineux cicérone de nos fraternités, c’est le Lynch que j’aimais tant qui triomphait : la bienveillance, la chaleur, la sensibilité pure. Il s’exprimait déjà dans le lyrisme débridé de ce qu’un Sailor et Lula offrait de plus fort, de plus beau. Sailor courant vers Lula, en un étourdissant travelling latéral, lors d’un mega happy end sur le Im Abendrot de Strauss. Chavirant. Puis est venu Inland Empire, qui s’est planté comme une mauvaise graine dans ma conscience et a commencé à tout saloper. Au point que son ombre s’est profilée derrière la plupart des films de Lynch lorsque je les ai revus depuis. Je ne vais pas réexpliquer une fois de plus comment mon rapport avec l’artiste s’est depuis lors sérieusement dégradé, comment la magie a fini par inéluctablement se gripper. Ce n’est pas/plus le moment pour cela. Mais je me devais de rendre un petit hommage à celui qui, pendant si longtemps, fut un astre central dans le panthéon de mon imaginaire et de subjectivité.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Je savais que je pouvais compter sur toi pour retranscrire les mêmes sentiments, les mêmes expériences, et le même parcours vis-à-vis de son œuvre. À la virgule près. Merci Thaddeus !

Je n'en peux plus de lire "Lynch l'abstraction", "Lynch le mystère", "Lynch la représentation du rêve"... Non seulement, ça ne représente pas ce que j'y vois/trouve de profondément idiosyncratique, mais c'est une démission critique et analytique d'autant plus gênante qu'on chante les louanges d'un des plus grands cinéastes ever. Pas très surprenant cela dit (et quand viendront les tours de Clint, Martin, Francis... on sait déjà comment les rubriques nécro seront rédigées), mais exaspérant, oui.
C’est que j’en viendrais presque à regretter d’avoir parlé de Lynch principalement sur l’angle de sa représentation des rêves et cauchemars (choses auxquelles je suis particulièrement sensible…je l’ai déjà dit non ?). :|
Alors que c’est aussi et bien évidemment un cinéaste romantique qui me bouleverse (je pleure toutes les larmes de mon corps devant Mulholland Drive et pleure aussi de bonheur devant cette beauté qu’est Blue Velvet).
Et j’ai carrément oublié de mentionner A Straight Story, pourtant pas le moins « Lynchien » de sa filmo (tout comme on fait souvent l’erreur de trouver Elephant Man moins représentatif de son œuvre, alors que je le trouve au contraire dans la droite lignée de Eraserhead.
Donc ne chercher dans son cinéma qu’à explorer ses mystères labyrinthiques, c’est effectivement très réducteur.
Mea culpa. :o
(le mec qui cherche à se justifier pour rien)
Avatar de l’utilisateur
Barry Egan
Assistant opérateur
Messages : 2837
Inscription : 5 janv. 12, 18:51

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par Barry Egan »

Thaddeus a écrit : 20 janv. 25, 17:58Inland Empire, c'est le Lynch le plus pur, le plus absolu, le plus libre. Du Lynch sans filtre, qui opère sans contrainte de production à tous les niveaux de conception.
"Eraserhead" est aussi un Lynch sans filtre, sauf que l'image est belle, organique, le noir et blanc est sublime. "Inland Empire" avec une belle image, peut-être que ça aurait été plus avenant, mais ça aurait contré le propos du film, assez morbide.

Quelque part, la filmo de Lynch suit le vieillissement de l'homme. Un père confronté à un enfant qu'il a eu sans le souhaiter vraiment (c'est ce qui ressort de ce qu'il dit quand il parle de l'époque d'"Eraserhead"), un intuitif qui accepte des commandes (les deux films suivants, une bonne intuition, une mauvaise qui s'avère être une expérience nécessaire), un puceau ("Blue Velvet" c'est pas autre chose que l'histoire d'un gamin qui va prendre des risques pour coucher), un fan de rock et de sexe, un interrogateur des pulsions, un amoureux des femmes (tout ce qu'il y a entre "Twin Peaks" et "Mulholland Drive"), un homme mourant ("Inland Empire", "The Return"). Les rêves et les cauchemars là-dedans, c'est pas autre chose que la réalité. L'œuvre est d'une grande cohérence parce qu'elle suit le cheminement basique de quelqu'un qui va du berceau à la tombe, qui est confronté au mal, à l'érosion de l'amour et à la mort, mais qui sans renier sa nostalgie s'est toujours confronté à la matière brute. Lynch pour moi dans ce qu'il raconte est le contraire d'un rêveur. C'est dans ce qu'il fait qu'il est un rêveur, c'est-à-dire un créateur.
Image
Avatar de l’utilisateur
Doppler
Assistant(e) machine à café
Messages : 233
Inscription : 4 juin 23, 20:24

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par Doppler »

sebamas a écrit : 20 janv. 25, 18:30
Coxwell a écrit : 20 janv. 25, 18:18 Pacôme Thiellement ? Il y a vraiment quelqu'un ici ou ailleurs qui prend ce personnage pour un mandarin des études lynchiennes ? Son approche comme son texte sont affligeants pour l'essentiel. Par ailleurs, tout son body language dégage au contraire la sensiblerie maladive, l'affect mal géré, et son approche lynchienne est au contraire ultra connectée à ses "traumas" montés en épingle par un pseudo autiste devenu gourou chez Blast.

Moi qui me pensais être seul à ne pas comprendre sa "hype" et donc sa présence systématique dans tout ce qui est relatif à David Lynch en France.
Non non, on est nombreux.

Pour ceux qui vont revoir Twin Peaks, je vous conseille le podcast d'Amies, où l'une des deux podcasteuse découvre et théorise au fur et à mesure des épisodes. C'est un vrai plaisir et un super accompagnement à la série.
The Eye Of Doom
Décorateur
Messages : 3775
Inscription : 29 sept. 04, 22:18
Localisation : West of Zanzibar

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par The Eye Of Doom »

Doppler a écrit : 20 janv. 25, 21:00 Pour ceux qui vont revoir Twin Peaks, je vous conseille le podcast d'Amies, où l'une des deux podcasteuse découvre et théorise au fur et à mesure des épisodes. C'est un vrai plaisir et un super accompagnement à la série.
Tu parles du TP normal ou The return ?
Tu as un lien. ?
Merci
sebamas
Doublure lumière
Messages : 349
Inscription : 14 févr. 04, 12:58

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par sebamas »

The Eye Of Doom a écrit : 20 janv. 25, 21:06
Doppler a écrit : 20 janv. 25, 21:00 Pour ceux qui vont revoir Twin Peaks, je vous conseille le podcast d'Amies, où l'une des deux podcasteuse découvre et théorise au fur et à mesure des épisodes. C'est un vrai plaisir et un super accompagnement à la série.
Tu parles du TP normal ou The return ?
Tu as un lien. ?
Merci
https://www.slate.fr/audio/amies/bienvenue-twin-peaks-1
Image
sebamas
Doublure lumière
Messages : 349
Inscription : 14 févr. 04, 12:58

Re: David Lynch (1946-2025)

Message par sebamas »

Quand mon réalisateur fétiche parle de mon autre réalisateur préféré
Image
Répondre