Il est assez difficile de parler du film tant celui-ci est dense et fait émerger une période totalement négligée dans le cinéma américain ; La chose n’est pas vraiment surprenante puisqu’on nous présente des personnages pour lesquelles le communisme n’est pas un gros mot et représente encore l’espoir d’un changement radical et bénéfique pour l’avenir des peuples. Le spectateur est plongé dans un univers entourés d’intellectuels, de poètes, de journalistes, d’écrivains, progressistes et politiquement engagés, passant leur soirée à refaire le monde et à mener des batailles politiques parfois sans lendemain.
Beatty choisit de débuter son récit par une série de témoignages de personnes de l’époque (et que nous ne verrons pas représentés dans le film), filmés en gros plan sur fond noir et dont les paroles se font entendre dès le générique. Cette entrée en matière crée dès lors une distanciation par rapport à ce qui nous sera montré, car d’une part le film est pointé comme étant une reconstitution avec toutes les approximations et interprétations que cela peut engendrer mais aussi parce que la nature des témoignages se montreront d’un ton léger en comparaison de l’histoire vécu par les personnages. Ce que nous disent ces témoins concernent les rumeurs qui ont pu circuler sur John Reed et Louise Bryant et comment leur style de vie pouvait être perçu à leur époque. Le film se chargera quant à lui de raconter, dans l’intimité, la vie de couple des deux amants en n’omettant pas de l’inclure dans la grande Histoire d’une manière assez complexe, puisque les deux personnages en sont également acteurs.
Ce qu’il y a de remarquable dans Reds est l’incessant flot de paroles, l’importante somme d’informations et les nombreuses ellipses que le film se permet, inscrivant le récit dans un univers en transformation et mue par une société en ébullition. Cette sensation de trop plein, de saturation, participe à créer un rythme très rapide sur l’ensemble des 3 heures que dure le film et à subjectiver la vie du couple pris dans l’engrenage de l’histoire et dont l’amour ne peut s’exprimer dans la quiétude. La rencontre des deux personnages se passe au cours d’une nuit entière où ceux-ci n’arrêteront pas de parler politique. Par le montage, les paroles des personnages se superposent les unes aux autres créant une sorte de brouhaha. De même lorsque, vers la fin du film, Reed voyagera dans le monde en tant que porte parole de son parti, ses mots se retrouveront soit noyer dans un tumulte, soit confronter à la barrière de la langue ou simplement tue par les dirigeants du partie communistes russe fraichement arrivés au pouvoir. La perception de l’Histoire comme celle que nous représente Reds est celle d’un train que l’on voit passer et sur lequel nous avons finalement peu d’emprise.
Au cœur de cela, Warren Beatty et Diane Keaton donne une insouciance et en même temps une fragilité bouleversante à l’amour unissant leurs personnages auxquels on s’attache immédiatement. Un amour que tous deux souhaitent libre, en respect aux valeurs qu’ils combattent, bien qu’acceptant difficilement les conséquences qu’il engendre. Avec une grande sensibilité et sans donner l’impression de recourir aux clichés ni à une simplification psychologique, Beatty signe de belles scènes marquant la séparation des deux personnages entraînés dans le flot de l’Histoire. Dans cette optique le film fait penser à certain David Lean (le docteur Jivago).
Le style est classique sans être académique, la photo de Storaro est chaleureuse et toute beauté.
Le film à gagné trois oscars dont celui du meilleur second rôle féminin (Diane Keaton aurait du être récompensé), de la meilleure photo (Storaro rules) et du meilleur réalisateur (mérité , Beatty Where are you ?).
Une édition dvd se fait attendre pour ce grand film, un peu oublié depuis.

PS: Je remercie Max Schreck pour le prêt de la VHS
