Matrix Resurrections (Lana Wachowski - 2021)

[Barry Egan]

C'est vrai que c'est un film au premier degré. C'est dans les critères de l'époque. C'est peut-être aussi parce que la réalisatrice voulait mettre en avant l'Amour (avec un grand A), lequel est tout de même souvent absent des histoires à l'écran ces derniers temps. Quand je vois Peter Parker et sa copine dans le dernier Spider-Man, il manque la dimension innocente et passionnée de, disons, Loïs Lane et Clark Kent dans le "Superman" de Donner, pour rester dans le même type de film, cet esprit qui se transmet de l'écran au spectateur. J'avais le même problème avec "Free Guy" où le romantisme de l'histoire d'amour entre les deux geeks n'est pas assumé jusqu'au bout formellement, par exemple. En fait, je crois que je pourrais en citer beaucoup des films récents où "le couple" ne transmet plus rien. Ce n'est pas une question hétéro/homo, etc. C'est une question de flamme et d'étincelle. Ça ne s'embrasse plus, ça ne se chatouille plus, ça ne rit plus ensemble. Un film peut aujourd'hui le montrer un peu pour illustrer un point de l'histoire, mais pas pour le partager ou le faire ressentir. Je ne sais pas si c'est de la censure ou si c'est par rapport aux enjeux sociétaux ou au multi-culturalisme, mais je voudrais bien d'un film aujourd'hui qui montre une scène de passion folle type Cary Grant et Ingrid Bergman dans "Les enchaînés" ou Curtis/Monroe dans "Certains l'aiment chaud"... ou même, je sais pas, Indiana Jones et Willie dans "Le Temple maudit"... Ces relations fortes, on ne les a plus dans le cinéma mainstream depuis... je sais pas... Néo et Trinity à la fin du premier "Matrix" ?

[shubby]

Le principal problème de Matrix 4, c'est qu'il pousse à revoir Battlefield Earth à la hausse pour toute la dimension discursive de sa réthorique extra-diégétique quant à son exégèse méta. Ce que je n'ignore pas de le savoir.

[MJ]

Ces relations fortes, on ne les a plus dans le cinéma mainstream depuis... je sais pas... Néo et Trinity à la fin du premier "Matrix" ?

Il y a quand même quelque chose d'assez romantique dans leurs retrouvailles finales du quatrième (c'est plutôt l'incapacité à ancrer Trinity dans une vie quotidienne, un couple et une famille avant cela qui trahit une carence d'un autre ordre).
Ca n'empêche pas le film d'être très raté, une fois passée une façon plutôt habile de mettre en scène la pirouette du "aucune envie de le faire mais ...", du reste.

[tchi-tcha]

L'analyse qui semble se répandre autour de ce Matrix Resurrections serait la suivante :

Warner voulait relancer la franchise Matrix, les Wachowski ne voulaient pas revenir sur leur univers.
Warner a dit "OK on s'en fout, au pire on fera sans vous", Lana a répondu "OK je le fais"...

...et a transformé ce blockbuster programmé en un ego-trip psychanalytique mêlant :
- réflexion sur l'héritage de Matrix (dans la société et pour ses créateurs)
- règlement de comptes méta avec Warner (qui brainstorme sur un reboot plein d'effets bullet time)
- regard désabusé sur le monde actuel (la "révolution" Matrix n'a pas eu lieu) *
- rééquilibrage égalitaire (Trinity n'était qu'un pot de fleurs au milieu des affrontements Neo/Smith de Reloaded et Revolutions)
- et déclaration d'Amour (avec un grand A) à ses parents disparus *.

* Ça c'était touchant, je trouve.


Partant de là, chacun développera sa propre interprétation suivant son rapport à la trilogie et selon son appréciation du cinéma des Wachowski.
Si vous aimez la trilogie c'en est un prolongement actualisé.
Si vous n'aimez que le premier, alors Resurrections corrige/efface les deux séquelles.
Si vous trouvez ça complètement ringard, la laideur visuelle du produit vous donnera raison.
Si vous détestiez Cloud Atlas et Jupiter Ascending la nullité de l'interprétation ne sera ni une surprise ni une découverte (c'est vrai qu'entre le nouveau Morpheus et Niobe, on se régale).
etc...

À l'arrivée, est-ce que tout ça fait un bon film ? Pas exactement, hélas. Les flash-backs sont maladroits (non seulement les dialogues font un clin l'oeil aux fans mais en plus on balance l'extrait correspondant pour ceux qui auraient loupé la citation), le binôme de réalisatrices fonctionne nettement moins bien quand il en manque une moitié derrière la caméra, Keanu qui agite ses mains comme n'importe quel super-héros Marvel est ridicule (et infichu de voler sans sa meuf), les scènes spectaculaires sont spectaculairement moches (et ringardes, je l'ai peut-être déjà dit), et Christina Ricci me fait peur avec ses grands yeux.

Le plus triste, c'est que si le film fonctionne au box-office Warner se dira que c'était une bonne idée de relancer la franchise (donc développons des spin-off ou une préquelle), et s'il se plante Warner se dira qu'il n'aurait pas fallu le laisser entre les mains des deux soeurs (donc développons des spin-off ou une préquelle). Dommage, la démarche de Lana Wachowski ne manquait ni de culot ni de panache.

Et une petite news piratage pour bien finir l'année :
http://kulturegeek.fr/news-248838/matri ... lus-pirate



Parle à ma main

[Flol]

Et une petite news piratage pour bien finir l'année :
http://kulturegeek.fr/news-248838/matri ... lus-pirate

Ça sent la fin de la politique du day and date chez HBO/Warner, non ?

[hansolo]

Il me semble que c'est déja acté.

Cela dit, penser que l'echec du film au Box office est lié au piratage, c'est se bercer d'illusion.
Le piratage diminuera uniquement le nombre d'achat sur HBO Max, mais n'a que peu d'impact sur les entrées ciné. Quelqu'un qui telecharge n'a pas l'intention d'aller voir le film au cinéma. D'ailleurs très souvent celui qui telecharge soit ne regarde même pas le film, soit n'en regarde que le début.

[tenia]

Le 3e film le plus téléchargé est No Way Home, un film qui vient de réussir à passer le milliard au BO mondial, donc effectivement, la corrélation entre les 2 est variable.
Par contre, je ne sais pas d'où tu tiens que ceux qui téléchargent ne regardent pas le film téléchargŕ ou que le début.

[hansolo]

Le 3e film le plus téléchargé est Far From Home, un film qui vient de réussir à passer le milliard au BO mondial, donc effectivement, la corrélation entre les 2 est variable.
Par contre, je ne sais pas d'où tu tiens que ceux qui téléchargent ne regardent pas le film téléchargŕ ou que le début.

Plusieurs études l'evoquaient.

Et il suffit d'interroger dans son entourage les maniaques du téléchargement: beaucoup ont sur leur DD des centaines de classiques qu'ils n'ont jamais regardé : penser que s'ils ne pouvaient pas les telecharger ils les acheteraient ou iraient au cinéma pour les voir a l'occasion d'une retrospective, c'est s'illusionner.
Certains font de leur DD une bibliothèque: a mettre en relation avec la chute de fréquentation des médiathèques depuis 20 ans!

[tenia]

Ah oui, les maniaques du DL sont probablement les mêmes qui ont 3000 BRs encore à regarder, il y a un effet d'accumulation (je ne juge pas, ayant été très bien placé côté piratage sur ce type de comportement). Je ne suis juste pas sûr qu'ils représentent la majorité des pirates, qui sont il me semble plus prompts à simplement télécharger sur le moment ce qu'ils ont prévu de regarder dans la foulée et voilà.

[shubby]

Une scène m'a particulièrement marquée : celle, brève, où Neo s'efforce de faire passer son index à travers un miroir avant de se marrer comme une baleine. A cet endroit, j'ai vraiment cru voir l'acteur craquer et se poiler, pas Neo. Plus j'y pense, plus ça me semble être une scène foirée, de celles que l'on trouve dans un bêtisier. Mais, non, le réalisateur l'a conservée tel quel, sans doute pour sa fraîcheur indéniable. Toute la distance d'avec le projet est là, ce regard qui tient à peu près pendant 45mn - le vieux qui se marre sur une connerie de jeunesse - avant de basculer dans le truc de vieux simulant un premier degré qu'il n'est plus capable de tenir (action à chier, redites thématiques, mise en scène torchée etc).

[Paroju]

Vu et déçu.

La première partie meta est plutôt pas mal mais au final elle ne sert pas à grand chose sinon à se moquer ouvertement de Warner (ce qui est un peu court). On a l'impression d'avoir un début de film et puis on passe complétement à autre chose. J'aurais trouvé plus intéressant que l'idée soit creusé sur l'ensemble du film : Neo aurait pu prendre la pilule bleue ce qui en aurait fait un pendant au premier opus. Tout le film, nous n'aurions pas su si les protagonistes étaient dans la matrice ou si Neo souffrait au final de personnalités multiples. (Bon je me rends compte que beaucoup aurait détesté ce film.)
Toute la suite avec des incises non stop des épisodes précédents, ça m'a fait pensé à l'amour en fuite Je n'avais pas été convaincu par le procédé, c'est une fois de plus le cas. Pire j'étais nostalgique de la photo verdatre d'antan ! Les scènes d'action sont pas génials en particulier celle du train qui est sacrément bordélique. On sauvera le passage du suicide collectif.
Près de 2h30, c'est long, pour au final ne plus chercher à renverser le système mais seulement trouver l'amour.

[Shin Cyberlapinou]

Allez, c'était pas si mal. C'est trop long, les scènes d'action sont ratées (étonnant quand on sait ce qu'elle ont fait pour l'aura de la trilogie originale), j'ai bien aimé la photo mais le lissé du numérique est gênant (problème que j'ai aussi eu ponctuellement sur The card counter, film antithétique dans le ton et l'économie. Peut-être que dans dix ans on pourra émuler l'argentique de façon convaincante?), l'aspect méta montre rapidement ses limites et la refonte de Smith et Morpheus ne mène nulle part mais il y a quand même une sincérité touchante/maladroite dans la love story au coeur du récit.

Et là petite défense de Reeves: ses limites d'acteur sont connues et il a su les utiliser à son profit, son côté vide marche bien pour des personnages de benêt et/ou de Petit Scarabée en attente d'une Connaissance (Point Break et Matrix, évidemment), son côté -presque- inoxydable fait bien passer l'usure, hem, existentielle d'un John Wick et je trouve qu'ici il est à l'aise dans la fragilité de son personnage, quadra/quinqua enroué se comportant comme un ado de 13 ans avec la femme de sa vie, fort belle comédienne qui ne correspond néanmoins plus aux canons hollywoodiens. Mauvais blockbuster mais comédie romantique (faute de meilleur qualificatif) attachante, allez, 6/10.

Je ne suis pas un apologiste des Wachowski (Revolutions et Jupiter Ascending sont des ratages implacables) mais leur carrière repose pour moi sur un malentendu: ce sont à la base des réalisatrices "bizarres" qui *une fois* ont été parfaitement connectées à l'air du temps et sont du coup considérées comme des cinéastes de blockbusters rassembleurs alors qu'en toute logique elles auraient dû rester dans les eaux de petits films de genre comme Bound ou leurs scénarios de jeunesse. En cela je les rapproche de Carpenter ou Walter Hill, pas vraiment des émules de Bresson mais qui ont bien souvent raté leurs rendez-vous avec le grand public à l'inverse d'un Spielberg ou d'un Cameron.

Et il faudra aussi se demander quel a été l'apport de Joel Silver (aujourd'hui quasi retraité avec sûrement pas mal d'huissiers au cul au regard de son train de vie pharaonique) à Matrix, sans doute le seul film de leurs auteurs qui aura connu l'unanimité au delà d'un statut de film culte/maudit/bancal.

[hansolo]

Pas (encore) vu.
Mais pour avoir revu récemment le 1er (et le seul à mes yeux) Matrix, je me demande comment le réal a pu se passer de Don Davis
La musique fait partie intégrante du film et de son ambiance.

Et j'ai trouvé que le film n'avait pas pris une ride!

[shubby]

Ouais, enfin sur le même sujet la réflection de Oshii courant de Ghost in the Shell jusqu'à Skycrawlers est autrement plus vertigineuse. J'insiste là-dessus parce que je ne le lis nulle part depuis la sortie de cet opus 4. Si Matrix a plutôt bien digéré gits et le ciné hk, sur le fond on va se calmer.

[Flol]

Pas (encore) vu.
Mais pour avoir revu récemment le 1er (et le seul à mes yeux) Matrix, je me demande comment le réal a pu se passer de Don Davis

Ben ils l'ont remplacé par 2 compos (Johnny Klimek et le cinéaste multi-cartes Tom Tykwer), qui ont tenté de singer quelques passages des scores de Davis, mais en les salopant allègrement. Et en y rajoutant de la bouillie de leur sauce, typique de la musique de blockbusters actuels (à base de nappes de cordes sans intérêt et de percus qui font juste "boum boum").
Et c'est dommage, parce que ce duo avait pourtant fourni du très bon boulot pour Le Parfum.