Dune I et II (Denis Villeneuve - 2021 & 2024)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Supfiction
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par Supfiction »

ballantrae a écrit : 18 sept. 21, 17:59 Et Dune ceci d'intéressant qu'il nous rappelle qu'il existe bien des grands romans de SF pas encore adaptés et que Hollywood serait inspiré de consulter pour conjurer l'appauvrissement scénaristique dramatique de ces dernière années.
La manie des remakes ( Robocop, Total recall, The thing, etc... La planète des singes est mieux troussé) n'est qu'un symptôme parmi d'autres de cet appauvrissement.
Pourtant Dune est une adaptation mais également un remake. En outre, le scénario est aussi manichéen et pauvre que la plupart des autres films hollywoodiens en question. Regarde les 3-4 personnages principaux du film et essaye de caractériser les personnages au delà de leurs statuts ou fonctions, tu auras bien du mal à en dire grand chose.
Tu cites La communauté de l’anneau qui m’a également toujours laissé un peu de marbre mais au moins il y avait quelques personnages qui existaient vraiment et qui suscitaient la sympathie parfois. Ce n’est absolument pas le cas ici.
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Jeremy Fox
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par Jeremy Fox »

Supfiction a écrit : 18 sept. 21, 22:41
Tu cites La communauté de l’anneau qui m’a également toujours laissé un peu de marbre mais au moins il y avait quelques personnages qui existaient vraiment et qui suscitaient la sympathie parfois. Ce n’est absolument pas le cas ici.
Aucun personnage de la trilogie Jackson ne suscitait ma sympathie, pas plus que le film d'ailleurs. Alors que j'ai éprouvé de l'empathie pour Paul (excellent Chalamet), son père, sa mère et Duncan Idaho.
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Supfiction
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par Supfiction »

C’est très très mince mais effectivement Duncan Idaho est le seul à apporter un peu d’humanité au détour d’une courte scène. Je comprends qu’il existe potentiellement une version de 6h dans laquelle on peut supposer que les personnages sont mieux valorisés. Mais Villeneuve avait quand même plus de deux heures pour le faire.
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par la_vie_en_blueray »

Il est evident que les personnages de Dune sont des archétypes, choisis pour leur fonction/position sociale sur un échiquier politique. Avoir de l'affection pour le Duc, c'est comme en avoir pour un pion sur un échiquier. C'est juste une pièce dont l'usage (no spoiler) est écrit.

Même Luc est le pion de sa destinée, c'est juste un pantin sur une roadmap de 5000 ans déjà écrite.
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par G.T.O »

la_vie_en_blueray a écrit : 19 sept. 21, 10:10 Il est evident que les personnages de Dune sont des archétypes, choisis pour leur fonction/position sociale sur un échiquier politique. Avoir de l'affection pour le Duc, c'est comme en avoir pour un pion sur un échiquier. C'est juste une pièce dont l'usage (no spoiler) est écrit.

Même Luc est le pion de sa destinée, c'est juste un pantin sur une roadmap de 5000 ans déjà écrite.
Je pense ne pas trop me tromper en disant que Supfiction se réfère au déficit d'incarnation des acteurs dans le film, et non à leur rôles dans l'histoire générale, qu'il impute à la fois au type de narration mise en place par Villeneuve qu'au traitement.
Comme lui, j'ai quand même le sentiment que Villeneuve a mis uniquement le paquet sur le réalisme de son univers. La tangibilité du monde décrit. C'est une approche qu'il l'étend aussi à sa compréhension littérale, et non figurée, du texte, loupant l'adaptation, non pas quant au respect et fidélité ou d'une quelconque exhaustivité, mais plutôt par manque d'interprétation.
Ce qu'il lui manque, c'est une image, une métaphore en quelque sorte, à même de transposer l'oeuvre. Une entrée visuelle, une forme, pour traduire cet univers qui ne soit pas qu'un design. De cette aristocratie ou tribalisme freemen, Lynch en tirait une certaine théâtralité; une forme d'antan de péplum ou de mélodrame en costumes. Il y a du David Lean là-dedans, et les indications visuelles données à Freddie Francis vont dans ce sens. A la rigueur, on trouve, chez Villeneuve, des cérémonials, des rituels, mais surtout des costumes. Il n y a aucune inventivité ou compréhension de ces usages, c'est aussi cela un travail d'adaptation au cinéma, une manière transposée de les représenter. Là dessus, on constate aussi un manque d'incarnation. Le Duc Leto, par exemple, chez Lynch, joué par Jurgen Prochnow, était vu comme un mort en sursis, un fantôme. C'est une image et une clé de compréhension du personnage. La scène, théâtrale à souhait, musique de Toto aidant, évoque Shakespeare. Et au delà du rôle, y transparait donc une certaine noblesse, le port, destin funeste mais aussi une remarquable intensité dramatique, merci Lynch. :lol:

Dernière modification par G.T.O le 19 sept. 21, 11:59, modifié 1 fois.
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par hansolo »

Idem pour moi.
Le film de Villeneuve me permet de reconsidérer à la hausse la version de Lynch qui, malgré ses gros défauts, donne du corps à nombres de personnages qui, chez Villeneuve, manquent cruellement d’âme!
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par El Dadal »

J'y suis allé, prêt à détester, et force est d'admettre que les minutes passaient et je ne trouvais pas suffisamment de matière à mon fiel. J'ai donc lâché un peu prise et pris honnêtement un peu de plaisir à toute la partie centrale, à mes yeux la plus réussie (de l'arrivée des Atréïdes sur Arrakis, à la reprise de l'extraction de l'épice, jusqu'à la fuite dans le désert). Dans ces moments là, Villeneuve a principalement deux choses pour lui : il ne rabâche pas ce que Lynch a fait dans son film, et cette nouvelle mouture prend un rythme surprenant, comme aspiré par une force d'inertie le contraignant à aller de l'avant. Cette énergie est cruciale, et j'ai bien cru qu'un petit miracle pouvait arriver. Mais en fait, non. Toute la partie finale fait figure de soufflé qui se dégonfle. Et sans appel : sans seconde partie, ce film ne sert strictement à rien. Or, je tiens pour principe que n'importe quelle œuvre se doit de tenir seule sur ses deux jambes. En l'état donc, sensation d'un demi-film.

Quelques notes supplémentaires :
Casting perdu ou sous-exploité, à l'exception de Ferguson, brillante. Et Chalamet n'est, surprise, pas l'endive que j'ai vue dans chacun de ses films précédents (même si son regard bovin sera toujours là). La scène de la boîte de souffrance n'a rien de la puissance du Lynch, mais Chalamet y est très bien, adoptant un ton de défiance surprenant, une note qu'il réutilisera progressivement à d'autres moments.
Au rayon des comparaisons avec Lynch : les visions de Paul, si poétiques dans le film de 1984, sont les pires moments du film de 2021. Quasiment toujours présentant la même rengaine de chant de world music nulle (là où je ne jette pas la totalité de la BO/sound design) sur fond de Zendaya mono-expression (c'est vraiment une actrice ?) les cheveux au vent.

La part industrielle/industrieuse de ce Dune : 1ère partie est à mes yeux clairement sa plus grand réussite.
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par hansolo »

Ah, Zendaya ...

Faudra qu'on m'explique ce qu'elle fait dans les films auquels elle participe; autrement que présenter son charmant minois; ici en mode boudeur.
Même Cara Delevingne & Jai Courtney sont meilleurs acteurs, c'est dire ...
Que Denis Villeneuve l'ait embauché sur ce diptyque me laisse songeur!
El Dadal a écrit : 20 sept. 21, 10:04 sans seconde partie, ce film ne sert strictement à rien. Or, je tiens pour principe que n'importe quelle œuvre se doit de tenir seule sur ses deux jambes. En l'état donc, sensation d'un demi-film.
D'accord avec toi.
C'est problèmatique de sortir ce qui est clairement la 1ere partie d'un film - sans 2eme partie certaine d'être présentée un jour; et de rien faire pour que ce soit une oeuvre a part entière.
D'ailleurs sur ce point, les amateurs & les détracteurs du film se rejoignent.
Et ce n'est pas comme si Villeneuve n'etait pas au courant de cette contrainte; vu qu'on avait l'info de l'adaptation uniquement de la 1ere partie du 1er roman ds un premier temps, dès la mi-2018.
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par Strum »

J'ai plusieurs réserves, dont certaines importantes, mais ma foi, ce Dune première partie n'est pas si mal étant donné la gageure que constitue cette adaptation - cela aurait pu être pire. Je partage quelques observations :

« Le mystère de la vie n’est pas un problème à résoudre mais une réalité à vivre ». Ainsi s’exprime la Révérende Mère de l’ordre religieux du Bene Gesserit dans Dune de Frank Herbert. Adapter Dune au cinéma relève de la même gageure : il s’agit de faire ressentir au spectateur la réalité de cette autre vie vie projetée à l’écran. Impression de réalité qui n’a pas pour fondations le style et les descriptions d’Herbert (assez pauvres d’un point de vue littéraire) mais la voix et les querelles des personnages qu’il a imaginés. Car ce qui caractérise Dune, c’est que toutes les factions qui s’opposent dans le livre (les Bene Gesserit qui manipulent la génétique humaine pour créer l’être suprême – le Quidaz Haderach – et implantent dans les peuples des superstitions pour contrôler le sens de l’Histoire ; les Mentats, ces conseillers du Prince qui ne jurent que par la logique ; les Atréides et les Harkonnen, ces Grandes Familles ennemies qui se voient successivement octroyées par l’Empereur la charge d’exploiter Arrakis ; les Fremen, population autochtone d’Arrakis cachée dans les trames de son vaste désert et courbant l’échine sous le joug étranger, etc.) se voient représentées par des personnages dont on peut lire les pensées intérieures. Herbert écrit ces pensées en italique dans le texte, et elles irriguent constamment la narration d’une veine souterraine, d’un entrelacs de réflexions contradictoires et incertaines, d’un tunnel d’intrigues secondaires, d’autres plans creusés à l’intérieur du plan d’ensemble, comme le monde souterrain des Fremen creusé sous la surface. On reconnaît là, toutes proportions gardées, la manière équitable de Tolstoï, qui accordait à tous ses personnages, y compris les pires, le don de la vie et à qui Herbert a emprunté cette technique narrative : chaque personnage, même le plus secondaire, même le plus fugace, reçoit le droit de se justifier, existe aux yeux du lecteur, car celui-ci a accès à ses pensées intérieures les plus intimes. Même le Baron Harkonnen est humain dans le livre, pareil à un vieil empereur romain adipeux, cruel et subtil. Le « tout le monde a ses raisons de Renoir » n’est pas si loin.

Sur Arrakis, se trouve l’Epice, cette substance secrétée par les vers de sable qui apporte la prescience et qui, synthétisée par la Guilde, produit un carburant permettant de replier l’Espace. Sans Epice, pas de voyage intergalactique, et c’est pourquoi l’Empire et les Grandes Familles ont colonisé Arrakis, que l’on appelle aussi Dune, exploitant ses ressources et tenant en esclavage le peuple du désert, les Fremen. On a pu en déduire qu’Herbert parlait par analogie de notre monde, comme le fait tout bon roman de science-fiction, que l’Epice figurait le pétrole et Arrakis le Moyen-Orient ; du reste, plusieurs mots du livre nous sont familiers, Herbert nommant « Jihad » la Guerre Sainte des Fremen et imaginant dans la Bible Catholique Orange du livre un syncrétisme religieux réconciliant les religions monothéistes. Les deux grandes mythes sur lesquels est assis le récit font le reste, assurant la pérennité de son succès : le mythe du Messie, du Sauveur, qui reste si important pour notre humanité ; le mythe de la justice, de la vengeance. Réduit à sa substantifique moëlle, Dune raconte cela : l’histoire d’un Messie (Paul) qui réalise la vengeance, longtemps espérée, d’un peuple opprimé. Mais nonobstant ces analogies possibles, ce qui rend les personnages du livre attachants, ce qui donne vie au monde du livre, c’est d’abord cette technique narrative d’Herbert mentionnée plus haut : confier une voix intérieure à chaque personnage, même au Traître Yueh. Parce qu’au lecteur sont confiés les secrets des personnages, il possède un temps d’avance, il est dans l’attente de ce qui va advenir, attente qui est au principe du suspense. Ce sont les personnages et leurs voix intérieures qui sont à l’origine du monde de Dune et d’un point de vue visuel, l’adaptateur devra presque tout inventer.

Ce que Herbert n’avait pas anticipé en 1965, date de publication de Dune, premier de la série, c’est l’avènement de l’intelligence artificielle qui caractérise notre monde actuel. Dans Dune, l’intelligence des machines a été bannie, et c’est l’esprit humain que les Bene Gesserit et les Mentats entendent développer, avec peu de succès il est vrai, si l’on en juge par le caractère impitoyable de cette histoire où règnent la peur et le goût de l’intrigue. Le test de la boite et du Gom Jabbar au début du livre, dit bien cela : Paul Atréides doit prouver à la Révérende Mère qu’il n’est pas un animal (qui n’est qu’instincts) en contrôlant la douleur qu’il ressent à la main. C’est ce qu’enseignent les paroles de la Litanie de la peur du rituel Bene Gesserit : « Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale… » L’Esprit doit triompher du corps et de ses instincts primaires, mais au prix de quels douleurs et de quels reniements dans le livre ! Car l’Esprit sans la nature ne peut dominer – il faut à un moment se soumettre, autre idée du livre. C’est le côté mystique du récit, New Age pour user d’un terme plus moderne, qui l’inscrit dans un temps précis des réflexions humaines, temps qui n’est plus le nôtre aujourd’hui.

Dans son adaptation tronquée de 1984, David Lynch avait perçu ces idées New Age et les avaient intégrées dans sa narration à travers les rêves de Paul en utilisant des images symboliques, une lune, une image qui se déchire, une goutte d’eau symbole de vie, une main en feu, un embryon d’enfant, glissant sur le beau thème musical de Brian Eno. Il avait également, dans plusieurs scènes, repris à son compte, la technique des pensées intérieures des personnages commentant en voix off l’action, de manière certes limitée en raison de la nécessité de condenser l’intrigue et les dialogues. En revanche, Lynch avait complètement raté la représentation du clan Harkonnen en occultant tout ce qui dans le livre le désignait comme un avatar d’une Rome antique tardive et dégénérée, malade de ses intrigues et de ses jeux décadents, faisant du subtil Baron un grotesque méchant de pacotille, monstrueusement laid et difforme, ce qui rendait impossible l’exploitation d’une des idées les plus intéressantes du roman, faisant voir le caractère diabolique des manipulations génétiques du Bene Gesserit : Dame Jessica, la mère de Paul, aux traits si purs, au visage oval, était la fille cachée du Baron Harkonnen… comme si les deux familles étaient elles-mêmes prisonnières d’un plan global plus grand qu’elles-mêmes et Paul, tout Messie qu’il soit, le prisonnier de ce plan dont il ne pourra s'extraire qu'en devenant une "Anomalie". Villeneuve s’intéressant au thème de la filiation depuis ses débuts (voir Incendies, son plus beau film), cette idée pourrait être reprise dans un épisode ultérieur de sa série, mais on en doute au vu du portrait de son Baron, pas beaucoup plus réussi que celui de Lynch.

Voilà la tâche ardue sinon impossible à laquelle s’attelait Denis Villeneuve dans cette nouvelle adaptation de Dune (2021), censée se décliner en plusieurs parties. Le résultat est fort honorable et d’une tenue certaine, suivant dans ses grandes lignes la première partie du livre de 1965. Honorable mais sans éclat ni lyrisme, engoncé dans une esthétique monochrome où rien ne dépasse, rien ne doit attirer l’oeil. Du reste, peu à peu, alors que l’on est séduit au début, on finit par ressentir une impression d’engourdissement. Le Dune de Denis Villeneuve obéit à cinq principes qui font du film une oeuvre restant par instants extérieure à sa propre intrigue, qui reste à la surfaces des choses. Premier principe : le recours à la figure visuelle du survol, comme dans Blade Runner 2049 où la ville tentaculaire était vue d’en haut : la caméra de Villeneuve ne cesse de survoler les décors, le désert, les vaisseaux, les mouvements de troupes, à la recherche d’une échelle toujours plus grande pour faire voir le gigantisme des opérations militaires, auxquelles font échos les boucles sonores assourdissantes et sans inspiration de la musique de Hans Zimmer. Au formalisme désuet du livre, à l’étrangeté séduisante de ses cérémonies séculaires, qui rendent son adaptation si difficile, se substitue un écrasement des perspectives et un effacement des couleurs et des contrastes au sein des plans (certaines images sont tout uniment orange, d’autres tout uniment vertes). Second principe : le bannissement de l’intériorité, sauf en ce qui concerne Paul : les pensées intérieures des personnages secondaires sont chassées de la narration, de même que le recours aux voix off (instrument pourtant idéal pour adapter Herbert), les réactions des Fremen à la réalisation de la Prophétie passant par des phrases énoncées à voix haute en langue Fremen. Sans doute ce choix était-il motivé par la recherche d’une certaine clarté narrative dans ce film au budget conséquent, qui n’aura une suite que si Warner estime son succès commercial suffisant. Il s’agissait d’être pédagogique et de ne pas perdre le spectateur novice, ignorant des arcanes du livre – mission accomplie de ce point de vue. Mais il en résulte parfois un sentiment d’extériorité qui renforce l’impression de survol et ôte aux personnages leur vitalité (ils sont pour l’essentiel des fonctions, des pièces de l’échiquier narratif). De manière caractéristique, Villeneuve a supprimé certaines aspérités du roman, certaines personnalité de traverse, alors qu’il n’y en avait déjà guère. Ainsi du sympathique Gurney Halleck, qui de baladin souriant, mi-bouffon sarcastique, mi-guerrier, est devenu (comme dans le film de Lynch certes) un maître d’armes stoïque ne se départissant jamais de son sérieux et ne souriant jamais. Troisième principe : les rêves de Paul n’ont plus recours à des images symboliques comme chez Lynch mais anticipent la narration de ce qui va advenir (ou pourrait advenir et n’advient pas). Quatrième principe, qui découle de ce dernier : le triomphe de la narration épisodique en lieu et place des grandes séquences de dialogues du livre, qui introduit dans le film au fur et à mesure de son déroulement un esprit de série, et l’élimination des images symboliques et mentales (Thufir Hawat, le Mentat du Duc n’a d’ailleurs plus qu’un rôle minime). Cinquième principe : faire de Chani (la transparente Zendaya) un personnage clé des rêves de Paul, narrant pour lui l’histoire des Fremen, marchant dans le désert au ralenti dans des plans d’une esthétique douteuse, le regardant sans cesse, mise en avant de ce personnage féminin peu mis en valeur dans le livre.

Dès lors, Dune filmé par Villeneuve devient exclusivement l’histoire de Paul (accompagné certes de sa mère Jessica) alors que dans le livre, du moins dans sa première partie, c’est aussi un récit polyphonique, l’histoire d’une série de personnages secondaires pris dans les mailles d’une vaste intrigue les dépassant. Or, Paul est un personnage observé des autres, mais qui s’observe aussi beaucoup car il ne sait pas encore qui il est, un personnage-monde à lui tout seul sur les frêles épaules duquel repose l’équilibre de l’univers, un personnage vampire et effrayant qui absorbe le récit et le produit au fur et à mesure, à l’instar du ver produisant l’Epice. Ce personnage observant qui vit déjà dans le futur, qui survole lui aussi les évènements, accentue cette impression de survol, ce qui diminue les émotions. Et c’est ce qui finit par se passer au moment de l’attaque annoncée des Harkonnen et de la mort du Duc : les émotions ont tendance à se diluer dans le désert monochrome de l’ensemble, à rester sous contrôle, comme si une Bene Guesserit y avait mis bon ordre. Lynch parvenait à contenir ce risque dans son adaptation (qui soulevait certes d’autres problèmes, notamment un kitsch insistant et un prologue discutable aux scènes d’exposition successives) en mettant en exergue la tendresse unissant Paul et son père, en reprenant à son compte une observation de la Révérende Mère : dans le grand ordre des choses, il n’y a pas de place pour le Duc, il n’y a pas de chemin, parmi les multiples chemins possibles du futur, où le Duc est sauvé. Paul craignait pour la survie de son père et nous avec, instillant dans le récit une veine émouvante, qui était celle des récits anciens, d’un fils vengeant la mort humiliante de son père adoré aux mains d’une famille ennemie. Dans le Dune de Villeneuve, les craintes de Paul pour son père ne servent plus de fil conducteur car le réalisateur n’a pas repris dans le dialogue cette réplique de la Révérende Mère sur le Duc : Paul semble plus préoccupé de ses propres rêves, de son destin, de cette jeune femme à laquelle il rêve, et même de son ami Duncan, que de la vie du Duc, son père. Ce qui fait que lorsque le Duc Leto meurt, on ne ressent rien à travers Paul qui ne parvient pas à pleurer son père. L’interprétation sobre et contrôlée de Thimotée Chamalet contribue à cela et on lui préfère l’interprétation plus frémissante et émouvante de Rebecca Ferguson en Dame Jessica.

Reste la difficulté de juger de manière équitable un film qui s’arrête au cours de l’histoire car le Dune de Villeneuve s’arrête au milieu du récit, lorsque Paul rejoint les Fremen après avoir échappé aux Harkonnen. A cette aune, peut-être que certaines de ces réserves sont injustes. On a du reste envie de voir la suite en sortant de la salle, et ce d’autant plus que l’évolution que va subir Paul par la suite, la distorsion de l’idée de Messie et de destin, rejoint certains thèmes de prédilection de Villeneuve qui pourrait en tirer meilleur parti. Mais cela corrobore cette observation que nous faisions sur cet esprit de série qui oeuvre à l’intérieur du film. Et devant ce premier épisode de Dune pris séparément, il faut repartir de notre phrase inaugural : on a le sentiment de pas « vivre » assez la « réalité » de ce film, de ne pas entrer suffisamment sous la surface de ses images.

https://newstrum.com/2021/09/19/dune-de ... ve-survol/
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par Alexandre Angel »

Merci Strum!
Tu me donnes envie de lire l'œuvre d'Herbert, tout comme le fait Villeneuve du reste, je lui reconnais cela.

Non pas que je n'ai jamais eu cette envie mais j'étais resté sur le découragement ressenti ado devant les incessants renvois au glossaire qui font que je n'étais pas allé bien loin.
Depuis, j'ai tendance à attendre, comme un enfant capricieux et gâté, que sorte une belle édition qui me fasse envie (c'est peut-être bête, mais ce qui existe ne me fait pas super envie). Peut-être pas La Pléiade, qui n'est pas très SF pour l'instant mais Quarto Gallimard, par exemple, ou bien (même si il n'y en a plus beaucoup je crois) l'équivalent, chez Omnibus, de ce qui avait été fait avec Isaac Asimov et A.E. Van Vogt.
Pour moi, le flacon conditionne souvent l'ivresse.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par hansolo »

Dune a beneficié d'une révision de la traduction VF; sortie l'an dernier chez Robert Laffont.
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par Alexandre Angel »

hansolo a écrit : 20 sept. 21, 12:03 Dune a beneficié d'une révision de la traduction VF; sortie l'an dernier chez Robert Laffont.
Oui, je sais mais j'aurais tendance à attendre autre chose, d'autant que Dune, c'est comme Fondation : il y a des prolongements!
Dernière modification par Alexandre Angel le 20 sept. 21, 12:07, modifié 1 fois.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par hansolo »

Alexandre Angel a écrit : 20 sept. 21, 12:05 Oui, je sais mais j'aurais tendance à attendre autre chose, d'autant que Dune, c'est comme Fondation : il y a des prolongations!
+1000
Quel dommage que l'on n'ait plus le droit aux sublimes illustrations de Wojtek Siudmak !
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par Strum »

Alexandre Angel a écrit : 20 sept. 21, 11:46 Merci Strum!
Tu me donnes envie de lire l'œuvre d'Herbert, tout comme le fait Villeneuve du reste, je lui reconnais cela.

Non pas que je n'ai jamais eu cette envie mais j'étais resté sur le découragement ressenti ado devant les incessants renvois au glossaire qui font que je n'étais pas allé bien loin.
Depuis, j'ai tendance à attendre, comme un enfant capricieux et gâté, que sorte une belle édition qui me fasse envie (c'est peut-être bête, mais ce qui existe ne me fait pas super envie). Peut-être pas La Pléiade, qui n'est pas très SF pour l'instant mais Quarto Gallimard, par exemple, ou bien (même si il n'y en a plus beaucoup je crois) l'équivalent, chez Omnibus, de ce qui avait été fait avec Isaac Asimov et A.E. Van Vogt.
Pour moi, le flacon conditionne souvent l'ivresse.
De rien ! Content de t'avoir donné envie de lire le livre et si le film de Villeneuve produit le même effet, c'est déjà cela. Je ne suis pas très Pléiade de mon côté, et je pense que tu peux lire Dune et ses suites dans une édition lambda d'autant que cela a été réédité à l'occasion de la sortie du film. Et puis, si tu attends une hypothétique édition idoine, tu vas te retrouver dans dix ans devant le même dilemme sans avoir avancé d'un pouce. :)
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Re: Dune (Denis Villeneuve - 2021)

Message par Jack Griffin »

Oui là je pense qu'il n'y aura pas d'autres éditions avant longtemps. Les nouvelles sont bien et éditées en grand format (relié ou non) et livre de poche (mais seul le premier volume de Dune a cette couverture monochrome)
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