The Scarf (Le foulard) écrit et réalisé par Ewald André Dupont sur une idée originale de Isadore Goldsmith et E.A. Rolfe. Produit par Gloria Productions Inc. (Isadore Goldsmith et Anthony Z. Landi). Distribution : U.A. (1957). Directeur de la photographie : Frank Planer. Musique : Herschell Burke Gilbert.
Avec John Ireland (John Howard Barrington), Mercedes McCambridge (Connie Carter), James Barton (Ezra Thompson), Emylin Williams (Le doc. David Dunbar),
LLoyd Gough (Le Doc. Gordon), Basil Ruysdael (Cyrius Barrington), David Bauer (Level Louie). Durée : 87 min (93 à l'origine) - N&B
John Howard Barrington s'échappe d'un asile pour aliénés criminels où il purgeait une longue peine pour avoir été reconnu coupable d'avoir étranglé sa petite amie avec un foulard, crime dont il n'a aucun souvenir. Épuisé par sa course à travers le désert, il s'effondre à l'entrée de la ferme d'élevage de dindes appartenant à Ezra Thompson, un vieux misanthrope lequel, méfiant, le tient d'abord en respect. Malgré que John ait tenté de lui dérober son arme, quand les autorités, à la recherche du fuyard, arrivent à la ferme et interrogent Ezra, celui ci nie avoir vu quiconque. Les deux hommes sympathisent et John raconte au vieil homme son amnésie quant au crime dont on l'accuse mais qui croit cependant être l'assassin. Suivant son intuition, Ezra décide de lui faire confiance et emploie le fuyard à la ferme. Un jour qu'il part faire des courses en ville, John prend en stop Connie Carter, une fille facile qui, sans argent, tente de gagner Los Angeles où elle devrait être engagée comme chanteuse dans un bar tenu par une de ses connaissances. Lorsque la fraîcheur du soir commence à tomber, la jeune femme noue autour de son cou un foulard similaire à celui ayant servi à étrangler la petite amie de John ce qui produit chez lui un choc lui faisant commencer à retrouver des bribes de souvenirs …

Film culte pour une poignée d'initiés,
The Scarf (Le foulard) n'est peut-être pas totalement à la hauteur de sa flatteuse réputation mais c'est un objet filmique fascinant, baignant dans un climat d'étrangeté faisant de ce film une fantasmagorie presque unique que l'on peut toutefois apparenter aux noirs de Welles (
La soif du mal et
La dame de Shanghai) à
La nuit du chasseur – sans atteindre le niveau de ces 3 là - ou au Ulmer de
Détour, film avec lequel il présente le plus de parentés, à la fois en raison des points communs entre les deux auteurs / réalisateurs : origine germanique, début dans le muet (et dans le cas de Dupont, cela se voit) et de la pauvreté des budgets, de leurs personnages principaux désaxés, marginaux et évoluant dans un univers parallèle, pauvre voire sordide ...
Attention, flatteuse réputation auprès de certains passionnés de noirs … mais le film est aussi parfois considéré comme bavard, prétentieux mais finalement creux, décousu car dépourvu de continuité dramatique et ayant un dénouement raté et enfantin. Et c’est en partie vrai car le réalisme ici n’est pas la priorité première de l'auteur/réalisateur. Les personnages le sont : vrais, puissants, vivants, complexes et les liens qui se nouent entre les 3 marginaux qui sont les principaux protagonistes de cette histoire « sonnent » justes. En apparence inquiétants, malgré les méfiances et les peurs -celle de Connie est parfois manifeste- ils se montrent finalement solidaires, désintéressés – Ezra et Connie pourtant fauchés négligeant les récompenses promises - car tout deux auront été touchés par un homme perdu et doux dont la jeune femme dira même qu'il a « la tendresse d'un faon ».

Au centre du film, il y a donc John Ireland qui tenait là probablement le rôle de sa vie et il est étonnant de le voir – lui presque toujours terne et peu expressif - si convaincant et touchant en homme perdu, profondément blessé par sa culpabilité, dont on l'a convaincu mais qui ne sent pas capable, au fond de lui, d'avoir commis ce crime et que cette incertitude, en elle même, rend fou. Au fond, il n'y croit pas, pas plus que Ezra, son premier soutien, et encore moins Connie, malgré sa méfiance et même sa peur, y compris d'elle même car elle sera brièvement tentée de le dénoncer.
En revanche, il est censé être le fils adoptif d'un homme important et riche, avoir fréquenté la bonne société californienne, avoir pour meilleur ami un psychiatre renommé, ce qui constitue un portrait qui ne correspond guère à l'image que l'on peut avoir de cet acteur qu'on n'envisage peut-être pas en « héritier « , quand bien même celui ci sort d'une prison pour fous. Broutille ...
L'intrigue est, elle, cousue de fils blancs. On sent bien que le pauvre type a probablement été manipulé … Et bien le véritable coupable, le réalisateur nous le désigne dès sa première apparition et ceci dès le premier quart d'heure. Dans presque toute les histoires d’amnésie, il y a un psychiatre ou un psychanalyste qui aide le « dingue » à recouvrer la mémoire. Et bien ici, on en a deux. Celui de l'hôpital psychiatrique où John était interné. Et l'ami de la famille Barrington qui accompagne le père adoptif de John lorsque celui ci se propose d'augmenter considérablement la prime offerte pour la capture de son fils. Et bien l'un des deux porte la pancarte « guilty » en énorme sur son front. Pour un américain moyen, l'homme est un cumulard : un intellectuel raffiné, qui plus est un anglais, hautain et qui parle comme s'il avait étudié à Eton. Un psychiatre, donc, ok, qui caresse sans cesse amoureusement une plume, ok ...Dupont aurait voulu très vite nous désigner un coupable en présentant l'efféminé psychiatre ainsi qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Il est évident que la résolution de l'intrigue ne l'intéresse pas (et d'ailleurs, le stratagème monté pour démasquer le coupable est totalement téléphoné). Broutille, bis.

Entre temps, Dupont prend sans cesse le contre-pied de ce que l'on attend. Il nous montre un vieux misanthrope ensauvagé, d'emblée agressif et semblant bien content d'avoir attrapé un fuyard effrayé avec lequel il semble décider à jouer au chat et à la souris et on est persuadé qu'il va y avoir affrontement violent ou bien qu'il va le donner …. Et bien il va être très vite le premier appui de John, refusant de le livrer malgré la récompense promise. Il y a pourtant sans doute bien longtemps qu'il n'a plus fréquenté personne ce vieil ermite savant qui ne croit plus qu'en la contemplation de la nature et dans la lecture, lectures dont on retrouve la trace dans sa conversation car – sans doute finalement bien content de trouver un compagnon, quand bien même celui ci est très perturbé – il va l'abreuver de paroles avec ses considérations philosophiques sur la relativité de la folie mais finalement, par ses mots, il va sembler commencer à lui redonner confiance en lui.
Il va aussi le remettre au travail. C'est que ça bouffe 600 dindes …C'est d'ailleurs en allant au ravitaillement en ville que John fait monter à bord du Pick-up d'Ezra, une auto-stoppeuse, une fille facile qui se présente elle même comme 'Cash-and-Carry' Connie, celle qui bourlingue de bouis-bouis en bistro miteux et que le moindre gars un peu entreprenant peut embarquer puisqu'elle dit elle-même que sa «morale n'a pas de fermeture éclair»
Comme le taciturne et peu loquace John, sans doute rouillé par ses années d'inactivité ne semble pas prêt d'attaquer les tactiques d'approche, c’est Connie qui fait la conversation. Comme Ezra, elle cause, Connie. Si le vieux avait commencé à aiguiller John sur les questions à se poser pour résoudre l'énigme de sa culpabilité, Connie fait, elle, sans le vouloir, bien avancer le problème du « fou ».

Et là encore, l'auteur et metteur en scène prend le contre pied de ce que l'on attend. Une fille en apparence facile, un type qui, bien que semblant absolument indifférent, a passé des années en HP et qui vit depuis des semaines avec un vieillard, on devrait avoir au minimum une scène de séduction … Et bien, la petite pause au bord de la route, on l'a bien mais c'est une longue séquence bucolique quasiment muette semblant toute droit venu du cinéma muet allemand. Après avoir passé des heures allongés par terre au milieu des
Joshua Trees, John ne se décidant pas à la réchauffer, Connie – l'air du soir devenant plus frais – sort la réplique exacte du foulard qui servi jadis à tuer l'ex petite amie de son indolent voisin ce qui va induire chez lui le choc émotionnel qui va commencer à réveiller sa mémoire et le sortir instantanément de ses méditations rêveuses. Dans un premier temps, Dupont s'amuse avec un faux suspense, le foulard semblant l'espace d'un instant faire resurgir le coté obscur de John … Mais finalement, comme si ces quelques éclairs de mémoire l'éclairait suffisamment sur lui même et le rassurait, la nuit tombée ne sera pas l'heure du crime mais celle de la confidence.

Malheureusement, la pose en pleine nature aura une fin et le retour en ville sera calamiteux, montrant que tous les paumés et les marginaux ne se valent pas : dans un bar de bord de route où John dépose Connie lui promettant de revenir -affaires faites- avec les 10 $ dont elle a besoin pour rejoindre Los Angeles en autobus ; sous le regard ahuri du patron édenté, une bagarre oppose John à deux clients collants et bien alcoolisés qui pensaient avoir « acheté « Connie pour la soirée.
Quant à la suite, je ne l'évoque que par bribes, en évoquant brièvement quelques trouvailles de Dupont :
Quand une fois en possession des 10 $ promis, à la gare routière Connie aperçoit l'affiche de la récompense de 5 000 $ promise pour la capture de John, Dupont joue habilement sur la valse hésitation éclair de Connie quand en lieu et place de l'enseigne lumineuse d'une boite toute proche, il fait se superposer l'image d'un néon affichant 5000 $.

Plus tard, alors que Connie est devenue serveuse et chanteuse dans un bar miteux, c'est au milieu d'une chanson, entre deux couplets, qu'elle prend connaissance de la capture de John et la commente tout au long de la chanson (son dissipé pianiste avait posé le journal local sur sa partition). Soit dit en passant, la dite chanson « Summer Rains « chantée par Mercedes McCambridge, elle même mais non créditée, est superbe.
Quant à la très surprenante conclusion, pourtant bien crédible, elle ne vient que mettre un point final en toute logique original et déroutant à un film qui l'est tout du long. Certes, l'intrigue est foireuse et ce n'est pas forcément le film noir de tout le monde mais à voir ce que fait Ewald André Dupont avec des lieux communs du genre, un psychopathe, un amnésique et une chanteuse de beuglant, je dis qu'on peut fort bien quelquefois se passer d'un scénario. Inutile de dire que Mercedes est sublime, tout comme le très expressif vétéran James Barton (Ezra). Quant au travail de Frank/Franz Planer, je vous laisse juge. Vu ' à peu près ' en vost.

Ewald André(as) Dupont, probablement un descendant de Huguenot, a commencé sa carrière en Allemagne, son pays natal, où il est réputé avoir été un des premiers critiques de cinéma avant de passer à l'écriture de scénario puis de réaliser lui même, rencontrant le succès public et critique avec
Das alte Gesetz ( L'évasion de Baruch), 1923, et surtout
Variété, 1925, qui lui vaut d'être appelé à Hollywood. Il n'y connaîtra pas le succès et pas plus en Angleterre, en France ou à nouveau en Allemagne, pays qu'il fuit comme bien d'autres au début des années 30 pour retourner aux USA, y réaliser des films qui ne rencontrent pas plus le succès, ceci jusqu'en 1939 où sur le tournage d'un petit film criminel avec les Dead End Kids, il en gifla un qui s'était moqué de son accent, fut viré et remplacé par Lewis Seiler. Et cela scella la fin de sa première carrière ... Il devint alors agent et publicitaire, ne revenant au cinéma que 12 ans plus tard, précisément pour tourner
The Scarf . La suite ne semble pas avoir été aussi brillante car il n'aurait pas gardé ce niveau là sur ses tous derniers films. Il faut dire que bon nombre sont aujourd'hui quasiment invisibles, même ses quelques films français avec des vedettes de l'époque. Mystère ...
