Le plus grand cirque du monde (Henry Hathaway, 1964)
Le film n’efface pas les autres moutures de cet éternel mélo que tirent à intervalles réguliers les gens de cinéma de l’univers secret et exubérant du cirque. Fidèle à une ligne tout à fait conventionnelle, il propose le directeur bourru-au-grand-cœur, la trapéziste déchue et l’orpheline radieuse, le vieux régisseur sentencieux et la cohorte des clowns tristes, dompteurs angoissés et écuyères impitoyables. Le cinéaste se contente d’apporter ses soins à l’exécution des scènes spectaculaires (naufrage, numéros périlleux, incendie avec acrobates suspendus entre des lambeaux de toiles enflammées), Rita Hayworth donne une présence émouvante à son personnage, mais l’ensemble à tout des guirlandes un peu fanées de l’arbre de Noël : il si facile d’en fabriquer d’autres qu’on les range assez vite dans la boîte. 3/6
La ciénaga (Lucrecia Martel, 2001)
La province de Salta, près de la Bolivie, sa chaleur torride, sa végétation tropicale, la promiscuité de ses familles quasi incestueuses rappelant autant les "pauvres Blancs" de Faulkner que les Olvidados de Buñuel. Cadrés sans pitié, filmés dans la durée, les personnages semblent ici contaminés par une étrange maladie, voués à se changer l’un en l’autre ou à s’effondrer sur eux-mêmes. Vivre ensemble est à la fois plus âpre et plus doux, plus risqué et plus sûr, plus logique et plus absurde – au moins est-ce une alternative à la solitude. Sous la défroque naturaliste d’une chronique étouffante s’avance ainsi un film d’horreur fantasmé, pluriel et singulier, local et universel, bien planté dans la vase mais travaillé par des forces obscures. Qu’il soit le premier long-métrage de sa réalisatrice ne le rend que plus remarquable. 5/6
Southland tales (Richard Kelly, 2006)
Si la réussite d’un film se mesurait à son ambition, alors celui-ci friserait le triomphe. Kelly y crée sa propre mythologie et écrit sa bible, terme à prendre aussi bien dans son acceptation religieuse (les renvois du narrateur à l’Ancien Testament) qu’audiovisuelle (un cahier des charges). Dans cette fantaisie pop en forme de joyeux foutoir, cette boulimie de références se fondant dans le moule d’Orwell revu et corrigé par l’esprit graphique délirant de certains comics, on peut ne voir qu’un salmigondis informe où se téléscopent le pamphlet politique, l’obsession sécuritaire, la satire des médias et la prophétie apocalyptique. Il y souffle pourtant un vent d’imagination et de générosité, un certain lyrisme inquiet de la décadence, se nourrissant indéniablement à la confusion de ce début de millénaire. 4/6
J’ai tué ma mère (Xavier Dolan, 2009)
Autoportrait ou autofiction ? Avec ce premier long-métrage drôle et cruel, truculent et culotté, Dolan acteur exprime des opacités de petit Léaud tandis que Dolan réalisateur affirme des audaces de jeune Truffaut. Désamorçant en permanence ses afféteries de film-gadget, il ne cesse de reprendre différemment le fil du tête-à-tête/face-à-face/dos-à-dos entre le fils et sa mère. Leurs rapports passent par toutes les couleurs de l’amour, de la haine et de la phobie, carburant d’un récit initiatique n’oubliant pas de sourire de lui-même. Et le film, plein de brusques embardées, de plages ouvertes, d’instants suspendus et rêveurs, ménage des agencements de crise et des déflations qui parviennent à rattraper la trajectoire des personnages, comme un acrobate son trapèze alors qu’il semblait avoir tout lâché. 4/6
Le cas Richard Jewell (Clint Eastwood, 2019)
Le cinéma d’Eastwood pourrait se définir désormais en une formule résumable ainsi : analyse critique des institutions américaines, motivée par la reconstitution d’un fait divers authentique et l’amour d’un certain ethos que personnifie un héroïsme intime, à hauteur d’homme. Mais ce qu’il a de potentiellement édifiant est toujours désamorcé par sa faculté à déployer le discours dans le clair-obscur des contradictions humaines, au cœur d’un conflit idéologique où la complexité du réel se fait jour. D’où l’équilibre parfait de ce film dont l’efficacité dramaturgique se nourrit d’humour, de sensibilité et d’émotion, qui se consacre à fustiger avec virulence les dérives liberticides et hystérisées d’appareils promptes à broyer l’individu, et qui échappe à la caricature et au manichéisme sans s’interdire de prendre parti. 5/6
Bellamy (Claude Chabrol, 2009)
Pour son dernier ouvrage, Chabrol tisse une sorte de mol imbroglio avec un dilettantisme nonchalant qui le rend assez délectable. Le travail de commissaire n’est ici pas un métier, l’enquête pas une activité spécifique mais l’autre nom de l’humaine condition. Faux Simenon, faux Maigret, vrai Chabrol : les indices se donnent aussi pour ce qu’ils sont et ils ne manquent pas, tous appartenant à l’intime comme au policier, à l’ordre de la fiction comme à celui du film. L’intrigue se dénoue entre une villa, des appartements, des bars, une grande surface de bricolage, une chambre de motel, le cadre anodin d’existences ordinaires que des évènements imprévus plongent dans des histoires qui les dépassent, et dont la mise en scène révèle progressivement le mystère, les fêlures, les angoisses et les ambiguïtés. 4/6
Dark waters
L’éternelle lutte de la vérité contre la dissimulation, de la santé publique contre les puissances de l’industrie et de l’argent : Mann en avait fait un thriller épique, Soderbergh une success story euphorisante. Vingt ans après, Haynes prouve à son tour qu’un regard personnel peut transformer les conventions du film-dossier en or. Avec son climat de désolation hivernale s’étendant de cieux plombés en bureaux gris, l’œuvre est de celles qui passionnent, mettent en colère et donnent envie de s’engager dans une carrière d’avocat. Sa rigueur factuelle, sa dramaturgie sophistiquée, son obstination de fourmi puisent aux vertus du meilleur cinéma, car elles rendent sensible le processus menant de la découverte au combat – même s’il délivre le constat amer que nulle victoire n‘est possible dans un monde irréparable. 5/6
Et aussi :
Quand les aigles attaquent (Brian G. Hutton, 1968) - 4/6
Riz amer (Giuseppe De Santis, 1949) - 4/6
Hellzapoppin (H.C. Potter, 1941) - 5/6
Votez McKay (Michael Ritchie, 1972) - 5/6
La fille au bracelet (Stéphane Dumoustier, 2019) - 4/6
Les cadavres ne portent pas de costard (Carl Reiner, 1982) - 4/6
La kermesse héroïque (Jacques Feyder, 1935) - 3/6
The intruder (Roger Corman, 1962) - 5/6
Yoyo (Pierre Étaix, 1965) - 4/6
Pelle le conquérant (Bille August, 1988) - 4/6
La traversée de Paris (Claude Autant-Lara, 1956) - 4/6