L'Ange Bleu (Josef Von Sternberg - 1930)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Thaddeus
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L'Ange Bleu (Josef Von Sternberg - 1930)

Message par Thaddeus »

Happy Charly a écrit :Revu hier soir :arrow:

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"DER BLAUE ENGEL ( L'ANGE BLEU )", film de 1930 signé Josef Von Sternberg, réalisateur des "A WOMAN AT THE SEA", "UNDERWOLRD" du cinéma muet.

Car s'il est bien une image qu'a conservé parmi les classik des classik ce film allemand, c'est celle de premier film Allemand parlé en sus de l'imagerie plus sensuelles qu'érotik de la découverte d'une star en devenir Marlene Dietrich :P :P :oops:

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Tout comme son partenaire, Emil Jannings ( "OTHELLO", "QUO VADIS ?", "FAUST" ), Marie Magdalene Dietrich aura déjà traîné sa silhouette ( si ) féminine du coté des films muets - "PRINCESSE OLALA", "CAFE ELECTRIC" - mais c'est avec ce film, "L'ANGE BLEU", qu'elle trouve là son billet pour les Etats-Unis et leur rêve de réussite et de célébrité - un peu comme le faisait miroiter le Directeur et magicien de la petite troupe à ce bon raté de Professeur, sauf que elle elle y est arrivée :wink:
Et elle pourra donc dire encore merci à ce réalisateur de talent de Josef Von Sterneberg ( "THE DOCKS OF NEW-YORK" ) avec qui en plus de devenir LA Dietrich elle entretiendra de suite une relation amoureuse mais aussi X films : "MOROCCO", "DISHONORED", "SHANGHAI EXPRESS", "BLONDE VENUS", "THE SCARLET EMPRESS", "THE DEVIL IS A WOMAN" jusqu'en 1935, me semble-t'il.

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Car autant le film racontera la lente descente aux enfers pour celui qui interprêta lui-même Mephisto par le passé du muet, Emil Jannings ( "LE DERNIER DES HOMMES" ), dans le rôle d'un professeur de pensionnat bourré de tics et de vieilles habitudes de célibataire continuant son bonhomme de chemin sous les sifflets et colibets de ses élèves, qui la nuit venue s'en vont s'encanailler auprès de Lola Lola ( Marlene Dietrich dont "JUST A GIGOLO" sera le dernier film en 1979 ), autant la réussite du film sera donc le billet pour Hollywood et la célébrité, qu'elle rejoindra la nuit-même de la première sous les applaudissements du public, le billet d'avion dans une main, la valise dans l'autre et son réalisateur ( de ) chéri au bras :twisted: :twisted: :twisted:

Célibataire, complexé, moqué, on ne peut pas dire que le Professeur Rath ( dont l'ajout d'un simple un au début de son patronyme suffit à en faire un raté dans la langue de Goethe ) a de quoi réussir dans la vie :? :( :|
Et trois de ses maudits élèves ne vont pas pour lui faciliter la vie en s'en allant s'amouracher et s'encanailler auprès de la sensuelle danseuse et chanteuse d'un cabaret glauque, L'Ange Bleu :twisted: :twisted: :oops:
Car pétri de discipline, Rath est prêt à poursuivre son éducation et son instruction au-delà d'un lycée ( qui ressemble plus à un pensionnat de province que de Chavagnes ) voire dans l'enceinte de ce bouge... ou pourtant quiproquos et coups férir vont aider le destin à le mettre dans les bras de cette dame, Lola Lola, pour qui en défendant son honneur ( contre un grassouillet capitaine de Marine marchande allemande ) il pourrait devenir l'homme de sa vie :wink: :twisted: :twisted:

Ensuite, il vaut mieux éviter de continuer à trop en dire si je ne veux pas spoiler et même si de ce coté du oueb beaucoup d'entre vous risque de l'avoir déjà vu maintes fois ce film classik :wink:

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On pourrait revenir sur la sensualité, la dose d'émotions érotiques ( pour l'époque : 1930, tout de même !! ) en apercevant les cuisses de Marlene Dietrich, mais que dire de plus sur ce film lorsqu'il a servi maintes fois de prétexte fallatieux à la mise en chantier de versions réellement érotiques voire pornographiques ou pris en référence dans ce genre de cinéma, dont le nom du cabaret ( me semble-t'il ) dans lequel les deux escrocs de frères trouvent leur pute pour remplacer la princesse du titre "LA PRINCESSE ET LA PUTE", par exemple :wink:
Et je suis sûr qu'il y a d'autres titres...

Je crois que je resterai sur ma fin en me disant que ce film historique reste tout de même aujourd'hui désuet avec son charme et ses charmes d'antan qui ne font plus frémir qui que ce soit, même le pire amateur de culottes roses le dimanche soir sur M6, mais qu'il reste tout de même une grande tragédie sur la déchéance d'un homme... par amour quand dans le monde réel une femme se voyait illuminer de toute la maestria d'un homme : le réalisateur !!
L'acteur principal d'Emil Jannings ( star parmi les stars d'alors avec ses 200 000 dollars de cachet contre 5 000 pour Marlene Dietrich ) manquant, lui, de réellement étrangler sa partenaire lors d'une scène en se rendant compte que ce film s'il ne marquait pas sa fin marquait les débuts d'une nouvelle gloire. La vedette lui ayant été volé. Et ce pour l'éternité, vu qu'on associe maintenant que ( ou presque ) Marlene Dietrich et "L'ANGE BLEU" :wink: :twisted: :?

Et malgré cette anecdote de plateau, malgré les qualités du film, malgré la coté pièce historique en étant le premier film parlant en langue allemande, bien qu'on y dévoile un peu de Marlene Dietrich et qu'Emil Jannings reste tout de même un ( très ? ) bon acteur, je ne peux que mettre un 2/6 pour note à ce film que trop daté par le temps qui passe en ce qui me concerne :? :( :cry:

P.S. : il est dommage que ce film, noté presque tous les mois par des forumeurs, ne bénéficie pas de son topic dédié dans lequel nous pourrions confronter tous nos avis et commentaires... plutôt que de les perdre dans les méandres de pages de plus en plus nombreuses :wink: :idea: :twisted:
Nestor Almendros a écrit :L'ANGE BLEU (Arte)

spoilers

J'ai d'abord été surpris de la première moitié du film qui évolue dans la comédie (romantique), où deux univers radicalement différents se rencontrent. On a un professeur vieillissant, célibataire, un peu coincé, moqué par ses élèves, et qui va rencontrer par un concours de circonstances une jeune chanteuse/entraineuse de cabaret, au charme certain et à la vie plus dissolue. Dans cette première partie, on joue avec les quiproquos, les boutades des élèves et le retard impromptu en classe (après une nuit passée avec Lola). Ce vieux professeur, amoureux platonique (un temps) semble retrouver une certaine jeunesse, un nouvel élan autre que son travail.
La deuxième moitié étonne par la noirceur palpable qui diffère radicalement de la première moitié du film. On note surtout la prestation du héros, grimé en clown triste, dont le look marquant participe à la déchéance dont nous serons témoins. Il va peu à peu glisser dans une folie incontrolable, car enfermé dans un amour qui se révèle un échec. Il a tout quitté pour elle, son travail, sa situation sociale dans sa ville, pour devenir saltimbanque et finalement vivre aux crochets de sa femme (pusiqu'il n'a plus d'emploi). Il sera donc contraint de participer à la vie de la troupe en jouant l'Auguste, clown triste et accessoire. D'invité il deviendra accessoire. Le retour dans sa ville natale va accélerer le pétage de plomb attendu.

Ce qui était sujet à l'humour dans la première moitié devient la cause de tous les maux par la suite. Ces deux mondes que tout oppose et qui s'est trouvé réuni (par le mariage, entre autres) ne peut survivre bien longtemps. Trop de choses les séparent: l'âge, le métier et l'environnement social (atmosphère coquine du cabaret vs. salle de classe), la mentalité (elle est une fille facile qui se lassera de cet amour pour se laisser convoiter par d'autres), etc.

Dans un premier temps, j'ai un peu souffert du style daté du film. Le rythme est très lent, beaucoup de choses dans le jeu sont accentuées, insistantes: on sent l'application pour que le public comprenne. Ca m'a assez gêné pendant un moment, mais c'est aussi le style de l'époque, peut-être moins fin sur certains points. Le scénario va aussi dans cette optique: on ne montre que les épisodes importants, les grands points de l'histoire. Mises à part les psychologies "thématiques" du film, on ne sait pas grand chose de certaines situations ou de certains personnages, par exemple: pourquoi le professeur s'est-il laissé embarquer dans la troupe au lieu d'insister pour que Lola reste avec lui? A-t-il insisté pour rester prof? Il y a comme çeux-là de nombreux trous, pas forcément gênants, mais qui semblent manquer pour avoir un tableau complet. C'est une impression.

Niveau interprétation, si l'on découvre une toute jeune Marlène Dietrich, très sexy et toute en jambe (cela participe à l'ambiance coquine du film, probablement pour attirer quelque foule), je retiendrai surtout la performance d'Emil Jannings: bonhomme un peu dépassé par la situtation, amoureux maladroit dans la première moitié et amant dépressif au bord de la folie dans la deuxième partie, le contraste des deux personnalités est assez saisissant et le faciès du clown avec cette griffure à l'oeil (comme dans son coeur) est très moderne.
Anorya a écrit :L'ange Bleu (Sternberg - 1930)

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Un professeur sombre dans la déchéance après sa rencontre et son attachement à une chanteuse de cabaret...

Grand film, puissamment érotique, tendre, drôle et cruel. Il n'est pas étonnant que Marlene Dietrich fut révélée par ce film même si elle avait déjà un peu tournée précédemment. Au côté du jeu puissamment maîtrisé d'Emil Jennings (formidable acteur), elle apporte une fraîcheur convenue qui attire à elle tous les hommes (et le spectateur). Mais cette vamp ingénue (elle n'a justement pas conscience de ses agissements et fait plutôt tout pour mener sa vie comme elle l'entend. Elle n'a pas une idée directrice ou un plan comme Ava Gardner dans Les tueurs (Siodmak) par exemple mais le prix de sa liberté et de sa beauté lui font tomber les Hommes à ses pieds. Elle le sait et en joue, fière de pouvoir se libérer de l'emprise masculine et du monde des apparences où son travail l'a plongé) fera tomber le professeur honnête mais coincé. Si le début du film reste d'un certain humour (les confrontations avec les élèves sont toujours tournées en dérision), le reste s'avère ensuite beaucoup plus sombre et tragique. Ici, l'image du clown, c'est un pauvre être silencieux, ayant perdu son humanité, comme vampirisé, qui vient en remplacer un autre (pas étonnant que Sternberg insiste au début sur cet étrange personnage muet du clown) dans le monde sans fin du théâtre itinérant. Un film à rapprocher sans doute de La nuit des forains (Bergman) qui était aussi bien des années plus tard d'une crudité encore plus poussée sur les relations Hommes-femmes au sein des artistes itinérants.


4/6.
Rick Blaine a écrit :Der Blaue Engel (L’ange Bleu - 1929)
Au regard e son statut dans l'histoire officielle, la vision de ce film a été une déception. Tout n'est pas a jeter évidement, on retrouve quelques très beau plans, et le personnage de Jannings est finalement touchant. Mais l'ensemble baigne dans une certaine vulgarité, dans une certaine forme de masochisme aussi, au point qu'il devient pénible de voir les humiliations subies par Jannings. Et puis Marlene n'est pas encore tout à fait Marlene à mon sens, il lui manque un peu de mystère, un peu de glamour aussi. Ce film n'est pas raté, il est correct, c'est une étape importante car Marlene Dietrich rejoint le cinéma de Sternberg, mais ça ne me semble absolument pas être un film indispensable.
Watkinssien a écrit :Pour moi, c'est un chef-d'oeuvre absolu : le sens implacable de la tragédie, la vision cruelle et sarcastique d'une déchéance pathétique, l'utilisation dramatique du son, la ligne métaphorique de l'érotisme à travers des éléments volatiles, le mélange des styles allemands et américains parfaitement digéré, la puissance de l'interprétation et des incarnations en font, à mes yeux, une oeuvre indispensable du septième art...
Dirk Diggler a écrit :L'Ange Bleu : 03/10

Quelle déception ! Que c'est lent, la caméra ne bouge pas (je sais, on y peut rien, c'est la technique primitive de prise de son qui veut ça), le personnage de Jannings n'a aucun dynamisme (et Jannings l'interprète dans la douleur), Dietrich malgré sa beauté reste délibérément statique, et question traitement des thèmes, ça vole pas haut (dès que la fille fout le petit oiseau au feu, on a tout compris sur la suite). Un vrai supplice, pas émouvant, pas lyrique, juste la déchéance, l'échec et la mort, rien n'a de sens, rien n'a d'importance, et on peut même pas s'apitoyer sur le personnage principal, aucune identification possible avec un pantin pareil, c'est lamentable ! Peut-être que j'étais pas d'humeur à avaler un film aussi cru, mais c'est surtout cette horrible lenteur qui pousse à l'agonie, j'ai trouvé ça totalement désincarné, pour un film qui traite du pouvoir de la chair, c'est un comble ! J'hésite pour une deuxième revoyure dans de meilleures circonstances
scottspeed a écrit :Je viens de voir L'Ange bleu et je trouve le jugement de Dirk Diggler très extrême ! C'est certes assez lent mais pourtant le film se suit sans ennui. J'image les spectateurs en 1930 hallucinés devant les jambes de Marlene Dietrich... Même aujourd'hui, la puissance érotique reste énorme.
Réalisation superbe de Sternberg, même si on voit bien qu'on sort moins vite du muet en Allemagne qu'aux Etats-Unis. De nombreuses références expressionnistes dans les scènes d'extérieures.
8/10 pour la note subjective
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Thaddeus
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Re: L'Ange Bleu (Josef Von Sternberg, 1930)

Message par Thaddeus »

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L’ivresse de la perdition


L'Ange Bleu est un buisson ardent dont les décennies ont à peine terni l'incandescence, une zone obscure, un maelström de formes et de significations subconscientes, d'intentions décuplées, d'implications rejetées mais résurgentes qui débordent son créateur comme son héroïne. Étrange carrefour de paradoxes, cette œuvre, peut-être la plus célèbre de Sternberg et de Dietrich, n'est pourtant la préférée ni de l'un, ni de l'autre. Le cinéaste se préoccupa moins de son sujet que de le rendre conforme à ses standards de poésie visuelle. Arrachant Marlene Dietrich à une carrière plus sophistiquée que réaliste, il a transformé une jeune femme songeuse et intellectuelle en une chanteuse vulgaire de beuglant, fort éloignée de sa personnalité réelle, mais la dota à son corps défendant d'une légende irréversible. Celle de la tentatrice tour à tour veule et provocante, qui se produit dans un attirail de dentelles, de frous-frous, de jarretelles et de rubans en fumant des cigarettes interminables. Le metteur en scène avoue volontiers : Marlene n’existe pas, je l’ai inventée. Marlene, c’est moi. Et Marlene, c’est le mirage de la volonté de puissance, jetée en pâture aux rêves de la foule. Rath, quant à lui, figure l’intelligence en déroute devant cette illusion grandiose, le pouvoir absolu de la beauté physique, indifférente à son devenir, lassée de son prestige, mais consciente d’être le seul reflet de la divinité qui puisse jamais se retrouver chez la créature. Poète de la lumière et de la flamme, il était normal que Josef von Sternberg réinventât, pour le vivre, le mythe du papillon qui se brûle et se détruit à la bougie qui l'attire.


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Le film peut être tenu, selon la perspective historique que l'on adopte, tant pour une fin que pour un début. S'il marque en effet en Allemagne l'achèvement de ce cinéma de la fascination et de la défaite qu'illustra le Kammerspiel (tendance ayant elle-même eu un mal fou à se déprendre de l'expressionnisme), il est par ailleurs au départ de l'école française d'avant-guerre dite du "réalisme poétique" et de ce courant, plus irrégulier, de "fantastique social" que cultiveront les dix premières années du cinéma parlant américain. Plus intéressante toutefois est sa place dans la carrière de son auteur, où il est tout aussi bien conclusion et commencement. Un tournant, donc. Ce qui va s’entamer, c'est le règne de Dietrich ou plus précisément son culte, sa transfiguration. Ce qui s'achève, c'est l'"époque noire" de Sternberg, qui n'a pas encore inventé sa magie blanche faite d’abstraction et de schématisation. Le monde dans L'Ange Bleu, lourd, opaque, envoûtant, s'arrondit autour des personnages comme un ventre maternel. Il est clos, tiède, immense (même si son horizon ne se découvre jamais : la scène du cabaret ne débouche-t-elle pas sur l’océan, invisible mais présent ?). Le destin diffus (la ville comme un corridor, le cabaret comme un piège, l'histoire circulaire qui se dénoue où elle s'est nouée) hante les décors tel une foudre, enveloppe les êtres bien avant de fondre sur eux. Dès Cœurs Brûlés, ce cocon va se déchirer. La sphère claire-obscure se projettera, s'aplatira en planisphère et refusera systématiquement la profondeur pour imposer l’univers sternbergien comme celui d’un espace en réduction dont l’exigüité même sera exubérante, dans la mesure où les signes ne cesseront d’y proliférer et de renvoyer à un ailleurs multiple.

Mais ici le cadre a encore trois dimensions et le destin est anonyme. Lola-Lola n’est que son instrument. Sa splendeur est réelle, immédiate : le gibus blanc, les jambes gainées d’obscur et de leur propre venin, elle cale sa chaise d’insolence devant une assemblée hébétée. Là où l’engagement naturaliste d’Emil Jannings joue, comme au théâtre, de la voix, de la posture et de la grimace, Sternberg incite Dietrich à inventer : diction neutre, presque blanche, mouvement et impassibilité du visage. Pour mettre en valeur cette altérité, le cinéaste a besoin d’un piédestal qui isole Marlene du jeu traditionnel. La scène où s’exhibe Lola est la première d’une série de petites estrades baroques sur lesquelles il se plaira à placer son égérie : décors nivelés (Cœurs Brûlés), escaliers (L’Impératrice Rouge), prosceniums (Blonde Venus), balcons (Agent X27), véhicules (La Femme et le Pantin). Marlene y évolue à son rythme (un balancement des hanches qui devient vite reconnaissable) et y impose des gestes relevant de sa propre logique (la jambe en appui sur le fameux tonneau, position totalement inconfortable et antinaturelle mais qu’elle semble arborer sans le moindre effort). Une sensualité violente imprègne toute la réalité de L'Ange Bleu. Ce n'est pas encore la sensualité sèche, cassante et crissante du verre, de la paille, de la soie dure, du papier et de la plume qui s’exaspérera plus tard dans un baroquisme flamboyant mais celle, molle et pulpeuse, odoriférante et moite, de la chair, de la peau, du désir. La matière amoureuse y frémit si intensément qu'elle mène les puritains au bord de la nausée. Douceur palpable du printemps qui entre lors du cours d’anglais par la fenêtre ouverte, langueur tactile de l'atmosphère des tours de chant, parfums de la culotte, des fards de la chanteuse, et ce bruissement d'ailes comme une caresse quand Rath souffle innocemment sur le pagne de la photo de Lola. Mais aussi les maquillages sales et parfois répugnants des comparses, du clown-obstacle bouchant toujours la porte, les œufs dégoulinants sur le crâne, les chairs effondrées des compagnes-repoussoirs derrière la vedette du spectacle. Après ce film, Sternberg ne réalisera plus l'irréel que pour déréaliser le monde, dans une sorte de fuite et de dérision poursuivie à l'abri de l'art comme demeure.


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Ici la seule fatalité est charnelle, et se place d'emblée sur le terrain de la vie et de la lutte instinctive. Je n'aurai rien que je ne te l'aie pris ; pas de partage ni de communion possibles ; après la satisfaction la satiété, après la force l'épuisement, après la jeunesse la sénilité. La roue tourne et la vie continue. Si Rath est victime et Lola bourreau, c’est par la force des choses. Car cette dernière n'attire pas le professeur pour l'utiliser, l'exploiter ou le tromper comme dans presque toutes les histoires de garces, mais par bonté, largeur du cœur et aussi par la fascination réelle que lui impose son rang. Quand le vieux zouave doit se produire devant ceux qui le connurent citoyen honorable, elle est la première à s'y opposer. Elle partage en effet son tourment dans les bras d'un bellâtre. Son bien est aussi son mal. Parce qu'elle est généreuse, elle sera absolument égoïste ; parce qu'elle est à chacun, elle ne sera à personne ; parce qu'elle est l'idéal, nul ne la possédera ; parce qu'elle est l’absolu de la Femme, et parce que les yeux de la passion l'érigent ainsi, elle ne pourra durer sur cette terre. Rath devra la tuer ou en mourir. L’Ange Bleu est l’histoire pathétique d’une tentation, d’un être qui y succombe et se laisse détruire par elle. Lorsque le protagoniste abandonne son rituel solidement établi, organisé selon un horaire strict dont les manifestations sont l’agenda et la sonnerie de huit heures de la pendule, lorsque exaspéré par les images de la danseuse, égaré et fasciné, il se rend, par les ruelles étroites, tortueuses et sordides du quartier portuaire, à "L’Ange Bleu", le son rauque et lugubre d’une sirène de navire l’avertit. Il se retourne, hésite et poursuit son chemin, encore guidé par la conscience rigide de devoir protéger ses élèves du mal, pénétrant pour la première fois dans un univers différent qui lui restera toujours étranger. Et lorsqu’à la fin, devenu un être brisé et avili, réduit au plus humiliant simulacre, assimilé au coq viril mais caricatural de sa vie adulte inaccomplie, il retourne à travers ces mêmes ruelles dans son monde, retentit cette identique sirène, à la fois gémissante et ironique. Il tressaille à nouveau mais ensuite il s’agrippe au pupitre de sa salle de classe, seul souvenir de stabilité et d’innocence, ultime terrain de sa défaite. Entre ces deux arrêts, élaborés très consciemment, se joue sa tragédie.

En faisant de Rath une loque esseulée, sentimentale, désespérée et conservatrice, moquée par une jeune génération de butors imperméables à son malheur, Sternberg produit un tableau très exact de l’Allemagne pré-hitlérienne, un constat historique où la chute du professeur bourgeois constitue l'emblème grotesque de l’écroulement d’une société. Ses élèves, solidaires pour le martyriser, sont les seuls à souhaiter puis à favoriser son effondrement. Lola ne témoigne pas de réelle perfidie : elle est "faite pour l'amour" et pour rien d'autre, et n’a pas la volonté de nuire. L'un des tours de force de l’œuvre réside dans l'invention d'une symbolique nouvelle, ou plus précisément d'une manière inédite d'accéder au symbole. Sa clé est forgée poétiquement par le film lui-même. Apparus dans la première partie du récit, un certain nombre d'éléments resurgissent dans la seconde moitié, identiques, analogues ou parents, et ce retour leur confère une résonance lyrique qu'on peut si l'on y tient qualifier encore de symbolique. L’un des exemples les plus frappants est celui des oiseaux. Aux volailles qu'on entasse le matin sur le marché de la ville s'adjoindront les volatiles siffleurs dans leurs cages, les mouettes et les cormorans empaillés de "L'Ange Bleu", les pigeons sur l'horloge à jaquemarts, les plumes de Lola et, bien sûr, le cri de basse-cour et les œufs de Rath après les caquetages de son épouse. Ainsi le son permet toute une économie : "Cocorico", lance le professeur déchu (rarement une invention technique aura si vite imposé sa loi). S'il faut donner une traduction à cette présence entêtante, on pourrait dire qu’elle se rattache essentiellement à une obsession érotico-cosmique de la mer. Quoi qu'il en soit, Sternberg n'aurait pu faire de Marlene Dietrich cette "force qui va" ni composer autour d'elle le monde comme la toile autour de l'araignée, s'il n'avait été si follement et masochistement épris de son modèle, et s’il n'avait le premier consenti aux catastrophes qu'il promettait. Cette abdication préalable et très lucide explique vraisemblablement, entre autres choses, que L'Ange Bleu soit un film dans lequel le caractère inexorable du destin soit exprimé de manière aussi convaincante. La vie ne se donne qu'avec du sang.


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Dernière modification par Thaddeus le 30 avr. 23, 22:36, modifié 5 fois.
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Watkinssien
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Re: L'Ange Bleu (Josef Von Sternberg, 1930)

Message par Watkinssien »

Premier film de la collaboration fructueuse entre Josef von Sternberg et Marlene Dietrich, Der Blaue Engel est un véritable chef-d'oeuvre, qui instaura bon nombre d'ingrédients qui nourrira le cinéma parlant à venir.

Dans une petite ville allemande aux relents expressionnistes, l'histoire de déchéance et d'humiliation qui nous est contée propose un festival d'idées métaphoriques.

Film sur la fatalité, l'oeuvre propose la mise en place d'une image archétypale en la personne de Lola-Lola (immortalisée par la non moins immortelle Marlene), faite pour l'amour de la tête aux pieds, comme elle le chante dans sa chanson leitmotiv. Elle sera la source de l'amour fantasmé (chez les adolescents) de l'amour fou, chez le professeur (excellent Emil Jannings). Ses poses révélatrices, son érotisme vulgaire mais charnel sont inédits, mais également la place qu'elle obtient grâce à la mise en scène, car les deux personnages sont souvent situés dans l'espace l'un au-dessus de l'autre.

Film sur le désir physique, qui suit le fil conducteur métaphorique... du plumage. En effet, la première séquence nous présentant le professeur Unrat introduit un oiseau dans une cage qui est retrouvé sans vie. Cela signifie simplement que la sexualité du bonhomme est, à ce moment précis, morte. Puis l'on passe du monde des strass et des paillettes, où Lola est sans cesse entourée de plumes. Puis vient la déchéance avec le Cocorico le plus pathétique de l'histoire du cinéma.

Film visionnaire, nous présentant des élèves violents, immoraux, intolérants qui seront probablement des officiers nazis dans les années à venir et donc rentreront dans l'ordre.
Mais également visionnaire dans le film lui-même avec la présence du clown muet, qui va anticiper sur le destin infernal du professeur.

Autant d'éléments fascinants dans ce film sublimement mis en scène, à la violence morale encore choquante.

A noter que le film est sorti dans deux versions (allemande et anglaise) comme c'était de coutume dans cette période.
Inutile de dire qu'il faut le voir en allemand !
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The Eye Of Doom
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Re: L'Ange Bleu (Josef Von Sternberg, 1930)

Message par The Eye Of Doom »

Film mal aimé (par moi en tout cas), coincé entre les chefs d'œuvre muets et les spendeurs baroques qui suivront. Alors que j'ai revu plusieures fois Thunderbolt avec plaisir, je n'arrive pas à avoir envie de revoir L'Ange Bleu. J'ai le souvenir d'un film assez statique, plutot simpliste dans son propos et d'un Jamming pesant.
Quant à Marlène, elle n'a pas grand chose à jouer, par rapport au films suivants.
Tout cela c'est des souvenirs bien lointains....
Les critiques ci dessus sont en tout cas un clair encouragement à une revisite prochaine.
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Jeremy Fox
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Re: L'Ange Bleu (Josef Von Sternberg, 1930)

Message par Jeremy Fox »

Immense ennui pour ma part :oops:
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Addis-Abeba
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Re: L'Ange Bleu (Josef Von Sternberg - 1930)

Message par Addis-Abeba »

Film grandiose, bouleversant,à la réalisation et l'interprétation parfaite, le plan final, reflet parfait de la descente aux enfer du professeur est un des plus beaux de l’histoire du cinéma, pourquoi n'a t'on pas encore un bluray chez nous ?
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