Train de luxe (Howard Hawks, 1934)
Caractéristique de la première partie de l’œuvre hawksienne, cette comédie de situation repose sur un rythme binaire dicté par les deux fondements du cinéma américain que sont l’action et l’individu. La première sert évidemment la vivacité, alors que l’on s’arrête sur les seconds : il est donc logique que les mouvements renvoient à l’homme et les débordements à une normalité pressentie. Pour autant le cabotinage histrionique auxquels s’adonnent les comédiens, sous couleur d’autosatire des milieux théâtraux de Broadway, s’apparente à un concert hystérique de hurlements et de gesticulations, et le procédé consistant à rassembler dans l’espace clos d’un train une galerie de personnages loufoques sera porté à un point d’achèvement bien plus probant dans
Madame et ses Flirts de Sturges. Inégal.
3/6
Pauvres mais beaux (Dino Risi, 1957)
En brossant le portrait d’un groupe de jeunes Romains qui commencent à goûter à la nouvelle société du bien-être, Risi semble vouloir sécher les larmes néoréalistes coulées sur les rêches visages de l’Italie d’après-guerre pour leur rendre le sourire. L’occasion de suivre deux
ragazzi vivant encore chez papa et maman et n’ayant d’autre vocation que de courir les jupons. L’exubérance de ces loulous dragueurs des faubourgs se manifeste avec la vivacité de qui découvre sa propre existence, et le film en adopte le rythme (allegro), la liberté (impertinente), la légèreté (joyeuse). Quant à la fille ravissante pour laquelle ils se bagarrent, elle les laisse se rouler dans le ridicule pour finir avec un abruti qui la maltraite. Comédie certes, mais non sans férocité ni pessimisme dans sa peinture des rapports amoureux.
4/6
À l’attaque ! (Robert Guédiguian, 2000)
Dans
Providence, Alain Resnais formalisait de façon vertigineuse les affres de la création littéraire. Toutes proportions gardées, le réalisateur marseillais reprend le dispositif et épouse le travail laborieux, les errances, les coups de gomme et les enthousiasmes forcés de deux scénaristes aux prises avec un script rebelle. Le portrait de ces auteurs en ratés sympathiques et sincères dévoile un côté facétieux tout à fait réjouissant, en plus de pointer avec humour les limites d’un système où la grandeur généreuse du peuple s’oppose invariablement aux bassesses des puissants. L’ensemble, simple comme une leçon de choses et drôle comme une farce consciente de ses facilités, assume sa vocation engagée tout en détournant sa finalité par un éclat de rire, clin d’œil assez gros pour nous rendre complices et heureux.
4/6
The lodger (Alfred Hitchcock, 1927)
Il est tentant de considérer cette transposition de l’histoire de Jack l’éventreur comme l’acte de naissance artistique du cinéaste tant s’y profilent, sous forme de rudiments, un certain nombre de ses facteurs et motifs caractéristiques. Déjà l’artiste s’amuse et expérimente – le plan du plafond transparent, idée qui tient autant des subterfuges du muet que du mûrissement d’une forme dont le parlant se tient aux portes, n’est qu’un exemple. Il varie les vitesses et les genres (du film criminel au huis-clos amoureux), dispose ses pions trompeurs en multipliant les signes de culpabilité pour mieux les retourner, et décline pour la première fois le principe du MacGuffin, prétexte vide qui maintient le tout en mouvement. Mais l’ensemble, intéressant sur le plan historique, n’excède guère le stade d’ébauche inachevée.
3/6
La femme en bleu (Michel Deville, 1973)
Il suffit d’une scène où Michel Piccoli écoute attentivement
La Jeune Fille et la Mort de Schubert pour que le film nous garde sous son emprise, qu’il nous passionne du parcours de ce quadragénaire blasé se permettant de poursuivre un rêve qui s’avérera prémonitoire, et de mourir pour lui. Deville retrouve une forme de merveilleux quotidien au hasard d’une rencontre ou d’un chemin, une poésie qui se fait librement, et même joyeusement, malgré le tragique de la conclusion. Qu’elle soit politesse du désespoir ou impossibilité à traiter le drame autrement qu’en comédie, sa démarche est celle d’un moraliste à la fois inquiet et facétieux, qui privilégierait au récit classique une mosaïque de sentiments, de sensations, d’états d’âme, figurés par la témérité d’une mise en scène en perpétuelle réinvention.
5/6
Il boom (Vittorio De Sica, 1963)
En cette première moitié des années soixante, il restait encore à la comédie italienne beaucoup de chemin à parcourir dans la cruauté corrosive pour atteindre à la noirceur affreuse, sale et méchante d’un Scola. Mais De Sica fait un pas non négligeable à travers l’histoire d’un de ces losers toujours du mauvais côté de la marge, cherchant fébrilement à donner le change, et qui pour maintenir le lustre de sa situation et satisfaire les besoins de sa femme se voit contraint à une transaction pour le moins radicale. Nul épanchement de grotesque, d’outrance ni de bouffonnerie n’est de mise dans cette peinture drôlement angoissée d’un quotidien où l’on devine les couleuvres avalées, l’amour propre piétiné, la conscience fracassée. Et le cinéaste d’affirmer, derrière son humanisme de bon apôtre, une rage iconoclaste.
4/6
Avant que nous disparaissions (Kiyoshi Kurosawa, 2017)
Où le cinéaste reprend à son compte les traditions SF de l’invasion extra-terrestre et de la population insidieusement
bodysnatchée, avec option fin du monde comme ultime menace. Il opte surtout pour la radicalité un brin abstraite d’un regard critique vers la base : tout apprentissage de l’humanité rabat forcément cette dernière sur ses éléments premiers. Que devient-on lorsque les notions de famille, de propriété, de travail, d’autrui ou d’amour sont dérobées par télépathie, effacées de la conscience ? Ainsi livre-t-il peut-être son opus le plus conceptuel, mais – écueil collatéral et souci majeur – il échoue à donner vraiment corps à ses idées, comme si le film, étrangement composite dans ses ruptures de ton, n’était lui-même que l’ersatz désincarné d’un autre devenu pure empreinte ou simple fantôme.
4/6
Daguerréotypes (Agnès Varda, 1976)
La rue Daguerre, dans le 14ème arrondissement, à deux pas du domicile d’Agnès Varda. Voici M. et Mme Chardonbleu, marchands de parfum et de brillantine depuis trente-trois, qui vendent des boutons à vingt centimes et fabriquent de l’eau de Cologne artisanale avec de la fougère et du chypre. Voilà le coiffeur, le boucher, le boulanger, l’horloger, le moniteur d’auto-école, petits artisans et commerçants dont la cinéaste, racontant les
fatti du quotidien, enregistre les gestes au travail : l’un qui choisit, découpe, apprête, empaquète la pièce de viande, l’autre qui pétrit, forme, enfourne et défourne les baguettes. À travers ces instantanés poétiques, traversés par une nécessité de la survie qui couve sous la lourde normalité des choses, se disent aussi une histoire de la capitale et la persistance d’un temps perdu.
4/6
Mektoub my love : canto uno] (Abdellatif Kechiche, 2017)
Être transporté par un film qui s’affranchit de toute pesanteur discursive et de la moindre ossature dramatique est un sentiment suffisamment rare pour qu’on le chérisse. Avec ce marivaudage ardent branché sans dérivatif sur le pouls incandescent du désir, le cinéaste atteint à la plénitude d’une méthode ne cherchant plus à capter la vie que comme une danse libre, radieuse et dionysiaque, un abandon total à la consomption de la chair et des mots. La lumière brûlante de la Méditerranée, l’embrasement volcanique des jeux sentimentaux auxquels se livrent ces jeunes gens beaux comme des dieux, l’extrême patience d’un regard d’artiste apte à recueillir et à exalter l’épiphanie des jours et des nuits participent d’un même épuisement voluptueux, de la même jouissance d’un monde toujours plus accordé à nos émois et à nos sens.
5/6
Top 10 Année 2017
La prière (Cédric Kahn, 2018)
La religion constitue-t-elle une voie de secours pour s’offrir un nouveau départ et solder les comptes d’une vie mise en pièces par l’enfer de la toxicomanie ? Telle est la question posée par le parcours de Thomas, adolescent poupin embrassant la foi dans la communauté isolée d’un haut plateau savoyard, régie par le travail, le partage et la prière. Si la tentation d’une rigueur ascétique pour figurer un cheminement spirituel appelle immanquablement à l’influence de Bresson, on voudrait trouver dans cette humble chronique d’une renaissance les aspérités qui lui permettraient de vraiment s’incarner. Un peu trop soumise aux exigences du scénario, à la formulation littérale d’hypothèses censées donner le change et apporter leur lot d’ambigüités, elle suit son cours avec une sérénité plus lisse que lyrique.
3/6
Ready player one (Steven Spielberg, 2018)
Du roi incontesté de l’
entertainment et de la pop culture qu’il a engendrée, on aurait pu s’attendre à un rollercoaster révolutionnaire, sondant le rapport contemporain de l’image au virtuel et annonçant le futur plausible d’une post-humanité toujours plus soumise au règne invasif du numérique. On se retrouve face à un divertissement déceptif, presque schizophrène, assez stéréotypé dans son développement narratif et la relative platitude de ses personnages, mais très personnel dans l’autoportrait que l’auteur y livre en filigrane – éternel enfant rêveur confronté à l’immensité de son héritage. Derrière la vitesse, la fluidité et le plaisir, notions maîtresses d’une cavalcade saturée de signes et de stimuli, c’est donc bien la hantise de l’échec qui colore d’inquiétude ce tourbillon hybride et souvent ébouriffant.
4/6
Docteur Jerry et mister Love (Jerry Lewis, 1963)
Le roman de Stevenson fait l’objet ici d’un traitement parodique exerçant une entreprise de destruction systématique et s’aventurant derrière le miroir pour oser explorer, par-delà l’extravagance de la comédie et des gags, un univers presque angoissant, proche de Kafka et de Borges. L’inversion du thème originel, qui voit un professeur de chimie myope, bossu, bredouillant et maladivement complexé se transformer en un play-boy prétentieux, goujat, dont la muflerie n’égale que la dose de gomina, favorise une satire qui tire à boulets rouges et non sans cruauté sur plusieurs institutions américaine. Mais c’est surtout par son achèvement plastique et certaines lumineuses idées formelles que l’œuvre dépasse l’aspect somme toute assez consensuel d’une morale voulant que la vraie beauté soit intérieure.
4/6